L’assassinat de Samuel Paty, l’orchestration d’une manipulation qui s’est malheureusement transformée en drame
Il y a 3 ans je terminais un livre sur la « pression islamiste » qui tentait d’expliquer comment en l’espace de 30 ans, l’islam wahhabite se prétendant l’islam des origines, avait réussi à transformer pour certaines personnes, la pratique de l’islam en France en un islam intolérant et rigoriste.
Ce qui s’est passé vendredi 16 octobre avec la mort de Samuel Paty en est une conséquence dramatique sur l’école qui s’est joué en 3 étapes.
- Les 2 caricatures remises aux élèves par Samuel Paty
1ère étape : le cours
Le 6 octobre, le professeur d’histoire-géographie et d’instruction civique Samuel Paty qui a la réputation d’être un enseignant compétent, ouvert, passionné par son métier et attentif à ses élèves. fait un cours sur la liberté d’expression et utilise pour cela 2 caricatures (exposées sous le titre) parmi les fameuses caricatures de Mahomet publiées la 1ère fois au Danemark le 30 septembre 2005 dans l'un des quotidiens danois les plus important le « Jyllands-Posten », à propos d'un article sur l'autocensure et la liberté de la presse qui répondait à un écrivain se plaignant que personne n'osait illustrer son livre sur la vie de Mahomet. Pour appuyer le propos, l'article était accompagné des caricatures de douze dessinateurs. Déjà à l’époque, on sait que l’affaire a été orchestré et qu’elle prend une dimension internationale, à la suite de visites de délégations d'imams danois au Moyen-Orient pour mobiliser les États musulmans. Au cours de ces visites, ils montrent les douze dessins du « Jyllands-Posten » auxquels ils associent trois autres dessins (non parus dans la presse danoise) beaucoup plus choquants. C'est à la suite de cette tournée manipulatoire que l'affaire prend une toute autre ampleur avec des manifestations parfois pacifiques et souvent violentes dans plusieurs pays musulmans.
A l’époque, pour défendre la liberté de la presse et le droit à la caricature, plusieurs titres de la presse occidentale en France, en Belgique, en Allemagne, reprennent les caricatures publiées. France-Soir les reprend le 1er février 2006, Libération en publie 4 sur 12, et Charlie Hebdo les reprend le 8 février, en y ajoutant les caricatures de dessinateurs du journal.
Cette publication sera à l’origine du massacre de la rédaction en janvier 2015.
Avant de montrer l’une des deux caricatures (montrant le prophète nu) aux élèves de sa classe, Samuel Paty conseille à ceux qui pourraient être choqués de détourner les yeux. Il ne leur conseille pas de sortir et ne demande pas aux musulmans de lever la main.
2ème étape : la montée en épingle, le mensonge et l’orchestration d’une manipulation
A la suite du cours, la direction du collège reçoit un certain nombre d’appels de parents choqués du sujet choisi et des caricatures montrées. Mais surtout, le lendemain se présente le père d’une élève de 4ème qui on le saura plus tard n’a pas assisté au cours et qui l’aurait raconté à son père comme si elle y avait assisté et avait été choquée. Le père dénonce cette pratique et demande à la direction du collège le renvoi de l’enseignant.
Un jours plus tard, le père met en ligne une vidéo qui dénonce l’enseignant et ses méthodes, parlant de présentation de photos d’un homme nu associé au prophète, le traitant de « voyou », l’accusant d’avoir ces pratiques depuis des années sur l’ensemble des 4èmes, parlant de sa fille de 13 ans choquée (qui rappelons le n’a pas assisté au cours) et donnant en ligne ses coordonnées pour les personnes qui souhaitent le contacter. La vidéo sera extrêmement relayées et notamment par la mosquée de Pantin et ses 90.000 abonnés. Il ira plus tard déposer plainte à la police pour « présentation d’images pornographiques ». Il reviendra au collège avec cette fois un militant islamiste extrêmement actif, proche des frères musulmans et des milieux d’extrême droite, Abdelhakim Sefrioui. Celui-ci à son tour mettra une ligne une vidéo reprenant les mêmes thèmes que le père de l’élève. Suite à ces vidéos, les réseaux sociaux s’enflamment sur le comportement de l’enseignant jugé indigne qui reçoit des menaces.
Les textes de ces vidéos (on le verra plus loin) sont totalement mensonger, la description qui est faite de l’enseignant et de ses méthodes n’a strictement rien à voir avec la réalité. A ce niveau que penser de ce texte ? Est-ce un père qui a été abusé par sa fille ou est-ce la manipulation d’un homme qui souhaite « punir » un blasphèmateur ? En revanche l’intention de détruire l’enseignant en réclamant son renvoi de l’éducation nationale semble avérée.
3ème étape : le lien évident entre cette orchestration et l’assassinat
Il est très probable qu’aucun des acteurs de la 2ème étape n’ait imaginé ou même souhaité que leurs actes aient de telles conséquences. Mais suite à la mise en ligne de la 1ère vidéo par le père de l’élève, celui-ci donne ses coordonnées et propose à ceux qui se sentent concernés de l’appeler. Dans les commentaires de la vidéo, sont inscrits le nom de l’enseignant et les coordonnées du collège. Le futur tueur de 18 ans, Abdoullakh Anzorov, qui semble probablement influençable et avoir été très marqué par le message de la vidéo, prend contact avec lui, ils s’appellent et s’envoient des textos. Il ne semble pas avoir évoqué ses intentions meurtrières, mais la teneur du message de la vidéo n’a probablement pas changé dans leurs échanges car après cela, il semble entreprendre la préparation de son assassinat. Il achète un couteau, il se renseigne et se fait transporter en voiture par un ami sur les 80 kms qui le sépare du collège, il soudoie un élève pour qu’il lui désigne l’enseignant, il le rattrape et le poignarde. Dans l’épilogue tragique de ces 3 étapes on ne peut qu’être frappé par le nombre d’assistance involontaires ou pas dont le tueur a bénéficié.
L’enquête en cours ne sera probablement pas facile et un lourd poids repose sur ces vidéos mises en ligne et sur les messages qui ont été délivrés. Je vous propose donc de nous arrêter sur les mots.
L’orchestration d’une destruction sur les réseaux sociaux
Brahim, le père de l’élève qui aurait assisté au cours, se plaint sur les réseaux sociaux de l'attitude de ce professeur. Il dénonce « une offense du sacré » pour avoir montré à des élèves de quatrième, dont sa fille assure-t-il, une photo du prophète nu. Puis, ce père exhorte « ses lecteurs à écrire au CCIF, à l'inspection académique, au ministre de l'Education nationale ou au président de la république. »
Le 8 octobre, en soirée, il diffuse sa vidéo :
Texte de la vidéo du père de l’une des élèves : (qui n’était en fait pas présente à ce cours)
« Salam Alekoum tout le monde, j’ai décidé de faire cette vidéo pour vous dire en face que ma fille a été choquée suite au comportement de son prof. Je n’aime plus employer ce mot prof, c’est un voyou, un voyou d’histoire qui est censé leur apprendre l’histoire et la géographie. |
Alors cette semaine, il s’est permis de leur dire : « les élèves musulmans lèvent la main », ils ont levé la main et il leur a dit, « voilà vous sortez ». Ma fille a refusé de sortir en lui demandant pourquoi ? Il leur a dit qu’il allait diffuser une photo qui va les choquer. Certains élèves sont sortis. Effectivement, il a montré un homme tout nu en leur disant que c’est le prophète. Il a dit, c’est le prophète des musulmans.
Quel est le message qu’il a voulu passer à ces enfants ? Quelle est la haine ? Pourquoi cette haine ? Pourquoi un prof d’histoire se comporte comme ça devant des élèves de 13 ans ? Cette histoire c’est mon histoire, c’est la suite de ma fille et ma fille elle a 13 ans et il n’y a pas que la classe de ma fille qui est concernée, il y a toutes les classes de 4ème. Et à mon avis, il se comporte comme ça depuis plusieurs années. Alors tout ceux qui ne sont pas d’accord avec ce comportement, ou tous ceux qui ont rencontré des difficultés ou leurs enfants ils ont été renvoyés, parce-que ma fille, comme elle a refusé de sortir de la classe, le prof il l’a renvoyé de la classe en lui mettant un autre motif. Si vous voulez qu’on soit ensemble, qu’on dise stop, touchez pas à nos enfants, envoyez moi un message … (suivent ses coordonnées)… ce voyou ne doit plus rester dans l’éducation nationale, ne doit plus éduquer des enfants, il doit s’éduquer lui-même… Merci de partager un maximum, je pense que vous êtes tous concernés. »
Cependant, l’audition le 12 octobre par la police de Samuel Paty, 4 jours avant sa mort, qui a été rendue publique, contredit en totalité le contenu de cette vidéo.
Les « inventions et mensonges » de la vidéo :
- La présence de la fille de cet homme, au cours : Dans son audition le 12 octobre, « Samuel Paty, (…), apporte un détail inédit et qui a, depuis, été confirmé par l'enquête judiciaire : l'élève qui se plaignait de l'attitude de son professeur n'était pas présente lors du cours en question. Cette dernière le situe en effet le 5 octobre, alors qu'il s'est en réalité déroulé le 6. Et, ce jour-là, relève le professeur devant les policiers, elle était absente. Elle a inventé un récit au travers de rumeurs d'élèves. » (FranceInfo)
- Les musulmans levez la main et sortez : Dans son témoignage, Samuel Paty déclare : "J'avais proposé à mes élèves de détourner le regard quelques secondes s'ils pensaient être choqués pour une raison ou pour une autre, assure-t-il. A aucun moment je n'ai déclaré aux élèves : « Les musulmans, vous pouvez sortir car vous allez être choqués. » Et je n'ai pas demandé aux élèves quels étaient ceux qui étaient de confession musulmane."
- La photo d’un homme nu : L’enseignant n’a jamais montré la photo d’un homme nu mais une caricature parue dans Charlie Hebdo ( d’où l’impossibilité de retenir la plainte du père le 8 octobre, pour « diffusion d'images pornographiques »).
- Le renvoi de sa fille était due à des absences non justifiés et non à son refus de sortir qui n’a jamais été demandé et qui n’était pas possible puisqu’elle était absente.
A partir de ces « fausses affirmations », l’ensemble de la vidéo du père paraît mensongère et rentre effectivement dans le cadre de la diffamation.
Par ailleurs, élément reliant très clairement la vidéo à l’assassinat, l’enquête policière va montrer que suite à cette vidéo, le futur assassin, Abdoullakh Anzorov va rentrer en contact avec le père de la jeune fille. Ils se sont parlés et se sont envoyés des textos. Les textos sont connus, mais la teneur des conversations, non.
Le relai et la fermeture de la mosquée de Pantin :
La mosquée de Pantin relaye sur sa page facebook comptant 90.000 abonnés cette vidéo.
Elle a été fermée pour 6 mois par le préfet en vertu de la loi Sécurité Intérieure et Lutte contre le Terrorisme (SILT) d’octobre 2017. On lui reproche d’avoir relayé la vidéo très probablement liée à l’assassinat de l’enseignant mais aussi à l’un de ses imams d’avoir incité ses fidèles à retirer les enfants de l’école publique.
L’intervention d’Abdelhakim Sefrioui :
Début octobre, Abdelhakim Sefrioui accompagne au collège du Bois d'Aulne, Ibrahim, le père de l’élève pour demander le renvoi de Samuel Paty. Comment se sont-ils rencontrés ?
Dans le bureau de la principale, il se présente comme membre du « conseil des imams de France », un titre ronflant, mais un groupuscule intégriste qui n’a jamais fait partie des autorités religieuses officielles de l’islam de France. Il est fiché S au Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste depuis des années. C’est un proche des frères musulmans, activiste infatigable, qui harcelle les imams qu’il juge trop modérés et qui est le fondateur du « collectif Cheikh Yassine » (créateur du Hamas et un des terroristes les plus célèbre, mort en 2004 tué par l'armée israélienne.), une organisation proche de l’extrême droite que le ministère de l'Intérieur envisageait déjà de dissoudre en 2014, pour antisémitisme et sa responsabilité dans l’organisation de plusieurs manifestations pro-palestiniennes violentes.
Le 20/10/2020 Emmanuel Macron déclare que le collectif va être dissous.
Texte de la vidéo d’Abdelhakim Sefrioui
« Avec Ibrahim, le père de la petite Zaïna, et moi au nom du « conseil des imams de France », nous sommes allés voir l’administration du collège. Donc comme j’avais dit devant le collège que y’avait déjà un manque de respect à la base de nous laisser attendre pendant une heure dans le |
froid et le vent, une fois qu’on était admis à l’intérieur, on a expliqué la gravité de la chose, mais ça n’avait pas l’air de choquer autrement, ni la principale, ni la CPE. Apparemment ils étaient au courant que ça se faisait depuis 5, 6 ans. Ça fait 5, 6 ans que des enfants de 12, 13 ans, des musulmans, sont choqués, sont agressés, sont humiliés devant leurs camarades - parce que c’est ce que nous ont dit, ceux avec qui on a parlé - et ça ne pose aucun problème. Donc on a exprimé notre désaccord et notre stupéfaction de savoir que l’administration pouvait savoir ça et le tolérer. D’ailleurs il nous a dit même que c’était sur le site du programme de l’école. Donc on lui a fait savoir une chose, c’est que nous, Conseil des Imams de France, et les musulmans en France, refusons catégoriquement ce genre de comportements irresponsables et agressifs qui ne respectent pas le droit de ces enfants à garder leur intégrité psychologique.
On a dit qu’on exigeait la suspension immédiate de ce voyou, parce que c’était pas un enseignant. Un enseignant c’est autre chose et c’est une fonction qui a beaucoup de noblesse. D’ailleurs c’est le cas d’une bonne partie des enseignants qui respectent leur travail, qui respectent la finalité de leur travail. Seulement à la fin de notre entretien, on a compris qu’il n’allait rien y avoir de la part de l’établissement, elle nous a fait savoir ça, mais elle nous a fait savoir qu’elle allait remonter l’information. Effectivement, nous sommes partis de là-bas avec la ferme intention de mobiliser pour une action devant l’établissement et devant l’inspection académique. Mais dans l’après-midi, l’inspection académique a contacté le parent d’élève et lui a exprimé son étonnement de savoir que ça s’est passé comme ça dans le cours de ce voyou et qu’ils allaient sévir. »
En résumé, dans cette vidéo, face à une description mensongère et choquante du comportement de l’enseignant, le décrivant comme choquant, agressant et humiliant devant leur camarades, des enfants musulmans de 12 à 13 ans, il souligne la volonté de l’administration du collège de ne rien faire, puis semble dire que l’inspection académique semble vouloir le punir.
Ces vidéos et ces descriptions mensongères et choquantes ont-elles été suffisantes pour influencer une personnalité fragile et déclencher cet assassinat particulièrement horrible ?
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