L’autre Rimbaud. D’un frère à l’autre !
Arthur et son frère Frédéric aimaient à manœuvrer une petite barque attachée au bord de la Meuse, pas très loin du Vieux Moulin, et s'amusaient à la secouer en lui imprimant un mouvement de tangage, avant de s'absorber dans la contemplation du flot en train de s'aplanir. Est-ce là l’origine du « Bateau ivre », ce chef d’œuvre qu’Arthur écrivit à 16 ans ?
Si la poésie demeure, le frère a vite disparu de la mémoire. « Alors qu’on croyait tout savoir de la famille Rimbaud, il restait donc ce secret » nous dit on, en quatrième de couverture. La célèbre photo de Rimbaud enfant, a en fait été amputée de la présence de son frère Frédéric, plus âgé que lui d'un an. Est-ce que le fait de signer ses lettres en affirmant sa position sociale, qu'on jugera Frédéric encore plus méprisable ? « Frédéric Rimbaud, conducteur d’omnibus à Artigny »
De cette fatwa mémorielle, et ses causes, David Le Bailly a écrit un livre attachant : L'Autre Rimbaud. Le sujet était difficile, bien peu documenté, et le ton juste était certainement difficile à trouver.
Pierre Michon, l'auteur des "vies minuscules" lors d'un passage sur France culture avait évoqué le sujet "Frédéric". Il avait eu l'idée de le traiter, puis y avait renoncé. David Le Bailly qui écoutait l’émission a pris la balle au bond.
Cela se lit comme une travail journalistique, avec des questions qui resteront suspendues, comme tout ce qui touche à la famille Rimbaud. Il était difficile de faire un travail d’enquête complet tant d'années après les faits. Les interrogations qui subsistent ne gâchent pas le livre, bien au contraire, et aboutissent à une ambiance rappelant le monde de Patrick Modiano. Mais l'histoire redonne de l'humanité et de la consistance à cet homme repoussé sciemment dans l'ombre.
Hors de l'histoire singulière des Rimbaud, le récit nous interroge sur le thème de la systémie familiale, et des souffrances qui y sont liées. C’est malheureusement assez banal, ces détestations familiales, qui prennent encore plus d'ampleur quand arrive la succession. Et chacun en feuilletant l’album photo de ses aïeux, pourra apporter ses propres échos.
« Toi le frère que je n’ai jamais eu, sais tu ce que nous aurions fait ensemble ? » Avait chanté ainsi Maxime Le Forestier.
L’émission de TV « Faites entrer l’accusé » nous a familiarisé avec les surprises en chaîne qui entourent les affaires célèbres, relevant les structures familiales souvent défaillantes. Mais il y a tant de crimes sans cadavres, de barrages contre le pacifique, d’enfants sacrifiés sans même que le sang ne coule ! L’auteur a été un fils unique, et le livre est aussi pour lui l’occasion de parler des fantasmes liés dans son enfance à cette absence de frère, qui a été pour lui une douleur, autour de l’objet manquant..
Dernier secret de Rimbaud ? L’histoire de la relégation de Frédéric, en fait, n’a pas été du ressort d’Arthur. Il est mort quand les choses les plus cruelles vont se jouer, autour de la succession de son œuvre. On peut douter aussi que cette histoire révélée, referme le couvercle des questionnements liés à sa trajectoire incandescente. Le questionnement est inhérent à l’œuvre du poète, et le reste de sa vie reste tout autant chargée en interrogations, qui renforce le mythe.
La voie qu’à choisi l’auteur est néanmoins originale, une première en ascension de la montagne Rimbaldienne. Il était intéressant de décentrer Rimbaud, pour mieux l’atteindre par les marges. Et comment ne pas être en sympathie avec ce frère attachant, dont le grand tort est d’avoir été piégé au jeu des comparaisons maternelles, préférant son benjamin, ce génie littéraire, qui malgré toutes ces fugues, ces incartades et ses outrages aux mœurs, restera le préféré ?
Depuis 140 ans, de nombreux écrivains et biographes se sont lancés à la poursuite d’Arthur, mais ils ont ignoré l’enfance, sujet pourtant récurrent dans sa poésie fiévreuse. Sa courte vie comporte au moins autant d’étapes que le chemin de croix de Jésus sur le mont Golgotha : Paris, la commune, Londres, les amours avec Verlaine. Engagé dans les troupes Hollandaises, déserteur à Java, interprète dans un cirque Allemand, chef de chantier à Chypre, trafiquant d’armes en Éthiopie, négociant de comptoir africain, explorateur, cartographe, photographe…
Il n'y a guère que Jacques Dutronc, dans sa chanson "Je suis un aventurier" pour inventer un héros présentant un tel inventaire à la Prévert de ses voyages : J'en ai vraiment vraiment beaucoup bavé.. Maintenant c'est terminé !"
Une œuvre bouclée à 19 ans, en même temps que ses valises..L'homme pressé n'écrira plus que des notes de voyage, et des lettres, comme celle ci, qu'il envoie à sa famille, après avoir passé le col du saint Gothard. La qualité de l'écriture reste la même....On est loin des tweets consternants que nos contemporains envoient en série à leurs « followers » ornés de leur bobine en selfie.
Extrait : "Au matin, après le pain-fromage-goutte, raffermis par cette hospitalité gratuite qu'on peut prolonger, aussi longtemps que la tempête le permet, on sort. Ce matin, au soleil, la montagne est merveilleuse. Plus de vent, toute descente, par les traverses, avec des sauts, des dégringolades kilométriques, qui vous font arriver à Airolo. L'autre coté du tunnel, où la route reprend le caractère alpestre, circulaire, et engorgé, mais descendant. C'est le Tessin...
La grande curiosité, l'exaltation, L'effort, l'épreuve attendue et dépassée, et autant ce rythme du marcheur passant le sommet du col, et basculant enfin de l'autre coté pour descendre vers la vallée. C'est comme un rêve Rimbaldien, passé aux travaux pratiques... : . "Je ne resterai pas en France. J'ai des fièvres. Il me faut le climat chaud du levant, à la recherche des pays de lumière, d'azur et de parfums, pour citer Théophile Gauthier" Avait-il écrit à son ami Delahaye..
Frédéric a-t-il eu envie de mettre les bouts en lisant les lettres oblitérées de timbres étranges, qui tombaient avec une belle régularité ? Elles sont vivement attendues par la famille.
La mère, Vitalie, les lit bien sûr en premier. Isabelle la fille, ne peut sans doute pas s’empêcher de regarder par dessus son épaule... Les deux bigotes doivent ciller un peu quand Arthur égratigne le clergé, à moins qu'elle ne rient, pleines d'indulgence : " La nuit on entend les hôtes exhaler en cantiques sacrés, leur plaisir de voler un peu plus les gouvernements qui subventionnent leur cahute..."
Elles pardonneront toujours tout au fils prodigue, comme elle l'ont fait avec l'homosexualité avec Verlaine. Mais Frédéric, qui travaille à la ferme, garde la marque de l'opprobre, le sceau du damné. Mais pourtant plus tard, on ne parlera que du poète maudit...
Il est intéressant de revenir dans la scène originelle : C'est dans les rues de Charleville, que les deux frères inséparables, vécurent leur première expérience de liberté, habillés tous deux pareillement, au point de les confondre. Mais ils étaient deux. Bien des amateurs de Rimbaud comme moi ont du prendre connaissance de l’information, mais ont occulté son signifiant. Le sort lamentable de Frédéric a ému pourtant plus d’un passionné de l’œuvre. Ainsi « Julien » un internaute, écrivant en 2009 ce billet depuis « overblog » au sujet de l’enterrement du poète, et intitulé, « Tant de choses se passent sur la tombe de Rimbaud » https://bit.ly/35nzmtm
Extrait : « Il ne sera publié aucun faire-part dans le journal local ; Vitalie veut que les obsèques se déroulent dans la plus stricte intimité. Même le frère aîné d’Arthur, Frédéric, n’est pas convié à ce triste événement. »
Frédéric, le fils, ne fait donc pas partie du cercle de famille. On lit bien son nom dans la biographie du poète, mais il semble apparaître sur le point aveugle de la rétine, pour ainsi dire nul de toute signification ou d’intérêt. Avons nous été complices de cette disparition, et de ce qu’elle signifie, en terme d’aveuglement, nous laissant guider par des faussaires ? La lumière Rimbaldienne est si dense qu’on néglige de regarder sur les cotés. Rimbaud est autrement plus attentif à noter les détails quand il traverse le Saint Gothard. "Une montagne peut avoir des pics, mais un pic n''est pas la montagne !"
Dans « La disparition » George Perec fait disparaître une lettre aussi fondamentale que la voyelle E de son ouvrage, sans que beaucoup de lecteurs s’en aperçoivent. S’il est possible de faire disparaître de telles traces, alors ne sommes nous pas prêts à toutes les manipulations ? Où est la vérité ?
Ne vous imaginez pas tout de même que c’est ce Frédéric qui aurait composé la moitié des poésies, là haut dans le grenier de la maison où ils se réfugiaient, rêvant dans un rayon de lumière tombant du vasistas.
Les poésies auraient été une œuvre réalisée à quatre mains….. Frédéric aurait écrit d’abord « Sensation », et donné à Arthur ce voleur de feu et foutu provocateur, l’idée de prolonger ce récit par ceux d’autres tombés de sa main.…. Celui ci aurait tout signé sous son nom, en disant à Frédéric que cela passerait mieux ainsi, car il connaissait des vrais poètes, avec lesquels il buvait des coups, et qui adouberaient ces textes. Ils avaient fait serment « croix de bois, croix de fer » de ne rien dire à la mother, et ricanaient de la supercherie !
Ce n’est qu’une rêverie, comme le reste de mes propos. Une illusion. Chacun est libre de choisir son bateau ivre, de se faire shaman, et de tirer les rallonges qu’il veut. Le sujet Rimbaud est propre à cela. La même boite à lettres qu'on trouve à Charleville, ou chacun peut adresser une bafouille, au poète d'outre tombe. https://bit.ly/2Ledwlt
Les deux frères, qu’une seule année séparait n’avaient pas encore viré de bord, abandonnant leurs études avant le baccalauréat.
Frédéric n’est pas très bon élève. Qui le serait en comparaison d’’Arthur, raflant tous les prix ? Mais il ira tout de même jusqu’en seconde, avant de mettre les bouts lui aussi. La première fugue, c’est Frédéric qui la fera, rejoignant le corps d’armée Française à Sedan..
La seule rébellion contre madame Rimbaud, née Cuif, ce moloch antique, distribuant les rôles, c’est encore Frédéric qui s’y risquera. Au bout d’un combat homérique, il finira par obtenir de la justice la permission de se marier, à 33 ans, malgré l’opposition farouche et pathétique de sa mère. Un jugement qui rentrera dans les annales et fera jurisprudence. Si Arthur a apporté sa pierre à la poésie, il était dit que son frère insérerait la sienne dans la justice !
Il semble pour les deux frères embarqués dans la même galère, que le bateau ivre se soit divisé en deux, au moment de l’adolescence. C’est le moment des quarantièmes rugissants d’Arthur. Son adolescence est furieuse. Promis aux plus grands espoirs, la bête de concours et de version latine brûle les ponts derrière lui.
A Charleville, on dit qu’il a de mauvaises fréquentations, et qu’il tourne mal. Il boit plus que de raison, se fout de la raison, et veut se faire voyant ! Cela passe par le dérèglement des sens. Voilà sa théorie fumeuse, très rock and roll, sur fond d’absinthe, la fée verte, qu’il nomme « absomphe » !
Il est absolument moderne ! On l’imagine en jean, en blouson noir, écoutant la musique des Doors, ou « Mister tambourine man » de Bob Dylan. Ses semelles de vent ont volé plus vite que la vitesse de la lumière. Il sait jouer des mots et croit naïvement qu’ils peuvent transformer la vie.
Pattie Smith est la dernière à s’être reconnu en lui. Elle a acheté la maison de « Roche » et a brûlé de l’encens sur la tombe du poète, à Charleville. Tous les ados du coin, habillés en gothique, franchissent quand la nuit tombe, le mur du cimetière, pour confier leurs secrets à Arthur. Ils veulent une confrontation directe avec le poète, qui reçoit tous les jours un courrier d'enfer !. Savent-ils que la « mother » Cuif, placée dans le même caveau familial les écoute ?
Sous le marbre, elle continue à tenir son fils à l’œil, et je ne serais pas surpris qu’elle vienne hanter de temps en temps la maison de Roche ! J’espère pour sa santé mentale que Pattie Smith a les nerfs solides si d’aventure elle veut dormir là bas !
A 17 ans Rimbaud a fugué de la maison familiale pour rejoindre Paris, et tous ces poètes du « Parnasse contemporain », qui l’attirent comme une mouche dans un verre de lampe. Il a tant rêvé à cette rencontre. Ça se passera pas bien du tout, sauf avec Verlaine qu’il dévoya, en dépit de son jeune âge. Tous deux partiront à Londres et Bruxelles pour de nouveaux scandales.
Bientôt, lui dont Victor Hugo dira que c’était l’incarnation de « Shakespeare enfant » raisonnera de l’affreux rire de l’idiot. Plus tard on dira que ces provocations Parisiennes étaient dadaïstes. Mais à l’époque il passe simplement pour un sale petit con, un vrai voyou, en proie à tous les dérèglements moraux. Simplement, il est trop pressé et impatient, méprisant ceux qu’ils jugent dépassés et sans génie aucun ; des besogneux du verbe, enfilant leur rimes comme des perles sur un fil.
Ils ont souvent dix ans de plus que lui. Ils sont morts et ils ne le savent pas ! Il a tout l’air de se demander ce qu’il fout au centre de ces notaires, sur ce tableau célèbre peint par Fantin-Latour ! On le voit assis à coté de Verlaine. Une composition de fleurs a été mis en place pour palier à l’absence d’un des poètes qu’il a agressé.
S’il vise alors la révélation, en mettant le réel sur l’établi, et en le cassant à grands coups de marteaux, beaucoup ne verront simplement qu’un dérèglement moral ! Arthur ne serait-il qu’un sale petit con, un enfant gâté, un mufle, voire un type dangereux ? Est-ce l’effet conjugué de l’adolescence, de l’absinthe, qui explliquent tous ces pétages de plombs qui le mettront à l’index ?
Si l’homosexualité semble maintenant banalisée, et même représenter un plus au niveau de la modernité et de l’affirmation du genre, au point d’apporter un argument supplémentaire au niveau d’un projet de panthéonisation burlesque, ce n’était absolument pas le cas à l’époque.
« Ils ont enrichi par leur génie notre patrimoine. Ils sont aussi deux symboles de la diversité. Ils durent endurer l’homophobie de leur époque. Ils sont les Oscar Wilde français. » Ainsi commence cette pétition burlesque et outrancière. Décidément, avec le temps, les scandales sont comme les rides, et se déplacent. https://bit.ly/3q1nAgg
Qu’à pu penser de lui son frère Frédéric qui est venu le voir à Paris, à l’époque ? Lui a-t-il fait quelques reproches, ou l’a-t-il mis en garde…. Ce sale gosse aux mœurs psychopathiques avait réussi le miracle de se mettre même ses logeurs à dos, jetant la vaisselle par la fenêtre puis vendant les meubles à la brocante !
Ce qui est sûr c’est que Frédéric qui ira bien plus tard rentre visite à Verlaine, connaît tout des mœurs scandaleuses de son frère. Il sera vu comme un danger par la sœur, cette gardienne du tombeau, ayant choisi de transformer le poète maudit en saint repentant. Frédéric, n’apparait-il pas le témoin de trop, trop bavard avec les copains quand il se met à boire. Ce qui arrive un peu trop souvent !
Le cher professeur Izambart, https://bit.ly/35qvhET son soutien de Charleville, à qui Arthur écrira « je m’encrapule le plus possible ! » finira par prendre ses distances envers l'enfant génial, mais insupportable !. Un directeur d’école l’avait déjà jugé comme susceptible d’aller vers le meilleur, ou le pire. Qu’importe ! Comme Jack Kerouac, l’auteur de « sur la route » le fera un siècle plus tard, avec la même régularité d’horloge, Arthur rentrera chez maman dès que les circonstances se gâtent, ou que son paletot idéal devient trop misérable. Mais l'arrêt de la littérature, à pas 20 ans, semble le faire tout à coup grandir. Il bascule de l'autre côté du col, et descend alors vers l'Afrique.
En Abyssinie, bien des années plus tard, « La mother » informe par ses lettres Arthur, des dernières lubies de son frère . « Voilà que Frédéric veut se marier ! N’est-ce pas scandaleux ? » Elle lui confie son exaspération. .
Les kilomètres ont dû opérer une grande distanciation. Les degrés celsius aussi. Tout cela est si loin. Il n'a aucune envie de s'opposer à sa mère, toujours si indulgente et prodigue avec lui ! Elle lui a envoyé un coûteux appareil photo, extrêmement rare à l’époque, et répond à ces demandes incessantes d’ouvrages techniques en tous genres. Il a mille autres intérêts que ce frère resté ataviquement accroché au pays. Sa réponse ne nous étonnera pas. Elle en dit plus sur lui même que sur son frère !
« Je crois qu’il ne faut pas encourager Frédéric à venir à Roche, s’il a un tant soit peu de travail ailleurs. Il s’ennuierait vite, et on ne peut pas compter qu’il y resterait. Quant à l’idée de se marier, quand on n’a pas le sou, ni la perspective ni le pouvoir d’en gagner, n’est-ce pas une idée misérable ? »
Peu à peu, une image projective du frère indésirable se détache, un peu flou, et en cela intéressante, Rimbaldienne. Comme ces clichés surexposés, ou mal développés, qu’Arthur fera lui aussi à Aden, arrivant même en ce domaine à laisser le spectateur incrédule et hésitant devant ce qu’il a sous les yeux. Mais comment saisir l'homme en mouvement, refusant de poser. Un jour il rêve de rentrer au pays, de se marier et d'avoir un fils ingénieur ; un autre il ne pense qu'à voyager de nouveau, s'étourdir de tant de toutes les beautés du monde. On dirait que Blaise Cendrars, cet autre grand poète, s'est étourdi de l'esprit de Rimbaud, quand il écrira plus tard ce poème manifeste "Tu es plus belle que le ciel et la mer", et qui commence par ce mantra récurrent à la vie d'Arthur : "Quand tu aimes, il faut partir !" https://bit.ly/3nxnrQ2
Il faut beaucoup de talent pour ressusciter un homme disparu, tout autant que les témoins qui l’ont connu. Et d’imagination aussi. Sinon, on risque de le tuer une seconde fois. Et en cela je parle pour chacun des deux frères, chacun libre et maudit à sa manière. L’œuvre d’art, autant dire le cœur de l’humanité, est dans ce clair obscur, bien mieux que dans les essais trop bien étayés, sûrs de leur fait.
Il semble bien qu’un mépris de classe ait facilité la marginalisation et l’ostracisme de Frédéric, auprès des grands écrivains ayant des préjugés sociaux ! Mais était-il vraiment un imbécile, craint déjà par sa mère, dont les emportements et les décisions jugées déraisonnables le marginalisèrent ?
Assurément non ! Ses lettres montrent sa lucidité et sa très bonne maîtrise du Français. Son combat judiciaire contre l'autorité de la mère, afin de choisir sa vie et pouvoir se marier avec la compagne qu'il s'est choisie, sont là pour attester d'une bonne qualité d'esprit. Son exclusion de la sphère familiale sera affirmée davantage encore après la mort d’Arthur, et la captation de l’héritage littéraire, par sa sœur et le beau frère matois. Il s’en désintéressa à tort, malgré la hauteur d’esprit qui est tout à son honneur, surtout pour l’avenir de ses quatre enfants qui seront placés dans une institution religieuse par leur grand-mère, après le divorce de Frédéric.
Nous sommes là dans une affaire assez glauque, qu’aurait pu inventer Georges Simenon, tant les personnages sont représentatifs des livres à l’ambiance lourde de la province que celui ci se plaisait à décrire : Un atavisme sournois des gens du cru, attachés à leurs biens et à leur réputation, cachant leurs lourds secrets derrières les portes closes. Un pays plus soucieux des voleurs de poules que des voleurs de feu !
Dans la famille Simenon, il y eut aussi un autre frère. « L’autre Simenon » https://bit.ly/3s77und a d’ailleurs été écrit il y a cinq ans par Patrick Rogiers, un écrivain Belge. Assouline avait déjà traité du sujet dans sa biographe de Georges Simenon. Christian Simenon aura une destinée moins glorieuse que son frère, l’écrivain reconnu mondialement. On peut dire de Christian que ce fut un salaud d’appellation contrôlée ! Devenu dès la fin 1941 chef de section au sein de l'état-major d’un parti d'extrême droite fondé dans les années 1930 par Léon Degrelle, il se sera alors égaré dans la collaboration la plus criminelle !.
Dans la famille Rimbaud, les hommes s’enfuirent souvent, abandonnant leur charge, laissant femmes et enfants derrière eux. En tout cas leur père, militaire de carrière, ce beau capitaine était reparti, et les avait bel et bien abandonnés à l’âge où ils avaient tout juste celui des enfants des étrennes.
La mère Cuif s’est consacrée à l’éducation de ses quatre enfants, et a su gérer d’une main de fer ses fermages. Une femme très bigote, et percluse de principes moraux ! Elle se déclarera veuve, pour pallier aux interrogations et à la rumeur infamante, autant que pour combler l’absence. Deux garçons séparés d’un an, deux filles, dont l’une ne va pas tarder à mourir à 17 ans d’une synovite. Cette femme est un roman à elle toute seule. .
« La mother » comme dira Arthur. La formule lapidaire qu’Arthur émet sur elle dans sa jeunesse résume sa personnalité : « Aussi inflexible que 73 administrations à casquette de plomb ». Avec le temps, on observe qu’Arthur malgré les kilomètres partage de plus en plus les points de vue et les objectifs d’arrivisme de la mère, la mème rectitude d’esprit. S’il n’a pas de casquette de plomb, il portera plus tard cette ceinture qui pèsera huit kilos de bon argent, dont il ne se défait jamais, comme une attache œdipienne, ou une ancre de marine.
Les identifications familiales sont récurrentes aux deux frères. Du père, cet officier colonial qui les abandonnera dans leur enfance, l’influence sera certaine. Tous deux s’engageront dans l’armée, et tous deux iront en Afrique. Frédéric sera même le premier à fuguer, rejoignant l’armée Française, en quête d’héroïsme et d’engagement, à 16 ans, lors de la guerre de 70.
Arthur, lui multipliera les errances, les expériences extrêmes, les allés retours à Roche, avant d’être « négociant » à Aden. Bien que cet éloignement la fasse souffrir, sa mère se console en se disant qu’il s’est assagi, soucieux maintenant de se faire une place, avant qu’il ne rentre, pense-t-elle, au pays.
Cette femme de tête a eu une enfance difficile. Ayant perdu sa mère à l’âge de dix ans, elle s’est construite dans la ferme de Roche, entre son père, et ses deux frères. L’un d’entre eux, s’engage à 18 ans dans l’armée d’Afrique, l’autre se marie, et le père forcera sa fille à quitter la ferme, qui périclitera ensuite.
Quand elle revient prendre possession des lieux, après un nouveau imbroglio, avec ses enfants, on peut imaginer son désir de revanche. Elle en a soupé, de l’apragmatisme des hommes, de leurs coups de tête, de leur alcoolisme, de leurs désertions !
Elle place rapidement Arthur, élève brillant, promis aux plus grands espoirs, sur un piédestal. Le sort de Frédéric lui échoit peu. Sans doute voit elle en lui toutes les tares redoutées, et l’apragmatisme des hommes qui l’a mis en danger dans le passé. C’est une figure récurrente dans une famille, un ensemble d'indiviidus, de transformer un des membres en bouc émissaire, devenant porteur symbolique de tous les défauts du groupe.
L’expression « bouc émissaire », employée au sens figuré, renvoie à une personne sur laquelle on fait retomber les torts des autres. Le bouc émissaire est le synonyme approximatif du souffre-douleur. Il puise son origine dans la Bible. Au livre de Lévitique 16, où on peut lire que le prêtre d’Israël posait ses deux mains sur la tête d’un bouc, et qu’ainsi on faisait passer tous les péchés commis par les Juifs à cet animal. Ce dernier était ensuite renvoyé au désert d’Azazel pour servir d’émissaire et y perdre tous les péchés.
Quels en sont les éléments moteurs ? Quels ont été les courants qui ont poussé Arthur vers la haute mer, et ceux qui ont fait dérivé Frédéric vers les marais de l’oubli ? Qui étaient les indiens de couleur qui les ont pris pour cible ? Le problème avec les frères Rimbaud, c’est quand en avançant à l’aveugle dans leur histoire, on répond à chaque question par deux autres.
Cela donne le vertige. Quelle est notre part de liberté. On a beau dire qu’il faut être absolument moderne, on ne parvient pas à faire table rase du passé ! A relire Rimbaud, on ne peut s’empêcher de frissonner ! Ces écrits semblent une préfiguration de ce qui va lui arriver ! Le voyant se fait prophète de son existence et de sa descente en enfer. A l’âge de 12 ans il jette sur un cahier d’écolier déjà cette vision qu’on retrouvera dans « la saison en enfer », et plus tard qui l’accompagnera en Afrique :
« Ah ! saperlipotte de saperlipopette ! sapristi ! moi je serai rentier ; il ne fait pas si bon de s'user les culottes sur les bancs, saperlipopettouille ! »
Il n’y a que des amputations dans cette histoire. Tout est divisé, psychotique, jusqu’au « je » qui est un autre aussi. Y mettre le nez ressemble à cette expérience que Joseph Conrad raconte dans « Au cœur des ténèbres », celle d’un cœur pur qui dans des conditions de vie extrêmes devient étranger à ce qu’il était, jusqu'à devenir paranoïaque.
« Les climats perdus me tanneront »…. La fin tragique, qui lui fera traverser le désert sur une civière avant d’agoniser à Marseille, est encore en concordance avec ses visions adolescentes.
« Il sent marcher sur lui d'atroces solitudes.
Alors, et toujours beau, sans dégoût du cercueil,
Qu'il croie aux vastes fins, Rêves ou Promenades
Immenses, à travers les nuits de Vérité
Et t'appelle en son âme et ses membres malades
Ô Mort mystérieuse, ô soeur de charité. »
L’œuvre d’Arthur a fait l’objet de pas mal de mythes, de légendes, et de falsifications. On recherche toujours un cahier qu’il aurait confié à Verlaine. Regardez bien dans votre grenier ! Quant au pistolet qui a servi à celui ci à tirer sur Arthur, il a été vendu une fortune aux enchères : 434000 euros. https://bit.ly/39dBvJt
Une photo d’Arthur Rimbaud avec groupe posant sur un balcon, pris à Aden, a été trouvée dans une brocante, il n’y pas dix ans. https://bit.ly/2JXWgAd. Bien que les experts n’aient pas de certitude absolue sur les acteurs présents, elle a été vendue 150 000 euros. Des exégètes ont retrouvé l’air détaché et légèrement flottant du poète. Après un verre d’absinthe bu cul sec, je dirais qu’il n’y a aucune hésitation à avoir sur l’authenticité de la photo !.
Avec trois verres en plus dans le nez, Rimbaud descend du balcon et vient même s’asseoir à votre table, et vous fabrique un sonnet, à moins qu’il ne vous envoie son poing dans la gueule ! Comment faire confiance à ce type ! Les poètes du Parnasse contemporain avaient toutes les raisons de se méfier !
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Même quelques cinq ou six dessins d’Arthur, reconnus forcément géniaux, ont été évalué à 150 000 euros. .https://bit.ly/2XnFLAt
Tout ce fric obtenu en pendant sa peau au porte manteau, comme disait Louis Ferdinand Céline, lui aurait fait perdre l’esprit. C’est qu’il ne voulait pas rentrer au pays, avant de se refaire, devenir celui qu’il avait entrevu, à pas 20 ans. « Je reviendrai, avec des membres de fer, la peau sombre, l'œil furieux : sur mon masque, on me jugera d'une race forte. J'aurai de l'or : je serai oisif et brutal. Les femmes soignent ces féroces infirmes retour des pays chauds. Je serai mêlé aux affaires politiques. Sauvé…. »
La ceinture qu’il trimballait constamment sur lui, contenant ses pauvres économies, fruit de plusieurs années de labeur d’une longue saison en enfer, et pesant huit kilos, n’était pourvu que de 16000 francs or. Bien peu pour ses projets de rentier, et d'éternel voyageur, allant toujours de l'avant, devant l'horizon mouvant.... Il aurait tant voulu mettre encore les bouts. Est ce lui qui a inspiré Blaise Cendrars, quand celui ci écrivit "Tu es plus belle que le ciel et la mer !" https://bit.ly/3q9EmcX
Il a semblé urgent à la famille d’arranger la légende Arthur. Et de bricoler aussi une réputation de quasi débile au frère. C’est à ces beaux ouvrages de dentellière, que s’est attelée Isabelle, la sœur bigote, parfaite héritière de la mère. Si Arthur à été trafiquant d’armes, Isabelle a trafiqué l’histoire familiale. Pas besoin d’aller se perdre en Afrique pour faire des affaires. C'est elle de loin la plus maligne. Elle a réussi à imposer l’image d’un Rimbaud se réconciliant avec la foi chrétienne sur son lit de mort.
Avec l’aide d’un époux opportuniste et flagorneur, elle s’est évertuée à faire le ménage dans la correspondance de l’écrivain, arrangeant son parcours, afin qu’il apparaisse le plus conforme à son désir, et aux convenances morales de l’époque. De Claudel à Ségalen, moult auteurs accepteront de consolider la supercherie !
Ne restait plus qu’à expulser Frédéric interdit de séjour de l’héritage. La facilité avec lequel celui-ci s’est soumis laisse songeur. Frédéric n’avait rien d’un arriviste ni d’un salaud, comme l’était Christian, le frère caché de Simenon.
Curieusement, dans ce cas, toute la tendresse de la mère, elle aussi une personnalité cassante, ira non pas au génie littéraire, mais à ce proscrit, collabo, et condamné à mort par contumace. A un journaliste venu l’interviewer alors que la gloire de Georges était au zénith, lui disant qu’elle devait être fier de son fils, elle rétorquera "Voyez vous, c'est étrange, mais son frère Christian était bien plus doué ! "…. Elle en voudra toujours à Georges qui avait donné conseil a Georges de s’engager dans la légion pour échapper au peloton d’exécution, et qui trouvera la mort en Indochine en 47 .https://bit.ly/3s6BhfH
Les fratries peuvent multiplier les questions, diviser les familles, ou potentialiser au fils des ans l'attachement profond, comme chez les deux frères Van Gogh. De l'histoire tragique d'Abel et Caîn, on peut opposer la complicité des Marx Brothers. Au bout du compte, on ne peut tirer de règles de tant de tant de cas singuliers.
Le grand crime de Frédéric, c’ est de s’être révolté contre la mère. Il en paiera le prix fort ! Il gardera tout de même le nom de famille. Rimbaud. Un nom qui pendant des générations, confiera Jacqueline, l’arrière petite fille de Frédéric, sera porteur de souffre. « Il y a 50 ans, dans le pays, on avait encore honte d’être les descendants d’Arthur Rimbaud ! Son histoire avec Verlaine était mal vue ! »
« Je ne m’occupe plus de ça ! » Disait sèchement Rimbaud à ceux qui lui demandait s’il écrivait toujours ! »
Peut-être bien que ces deux répliques doivent être saisies ensemble. A cent ans de distance, ne sont elles signifiantes d’une vérité refoulée ?
Sans doute cela ne s'accorde pas avec ce paletot idéal aux poches trouées qu’on a accroché pour l’éternité au poète. Mais une vie d’homme contient plusieurs cahiers.. Le voleur de feu aurait-il supporté que l’on souffle sur les braises du passé enfui, pour l’immobiliser dans un statuaire, et en faire le symbole d'une cause ?
Les alcooliques, une fois qu’ils ont renoncé à leur démon, savent qu'ils doivent trouver ailleurs que dans la boisson, la substance des rêves, s'ils veulent continuer à vivre. La transmutation ! N'est-ce pas là le dernier secret d'Arthur Rimbaud. ?
La poésie de Rimbaud est déclamatoire ! Elle s’accorde au pas du marcheur infatigable qu’il était, s’abrutissant de kilomètres, arpentant hier les Ardennes, le col du saint Gothard, et plus tard les déserts d’Abyssinie !
Jamais, sa vie durant, il n’a pas arrêté de marcher. Et ainsi de composer d'une autre manière. Inutile d'en faire un homme de métier ; ou d'une cause. Il nous avait prévenu : ! "J'ai horreur de tous les métiers. Maîtres et ouvriers, tous paysans, ignobles. La main à plume vaut la main à charrue. Quel siècle à mains !"
Plus que la poésie, et les affaires, la marche, c’est le fil rouge de sa vie. Cette longue errance n’a pas eu besoin de carte ni de journal, juste du pas mesuré du randonneur, déplaçant le compas de ces longues jambes au rythme de son souffle, pour retrouver l’essence de la vie.
Frédéric, à sa manière, parcourant tous les jours durant les petites routes des Ardennes, avec son cheval « Bijou » devant lui, n’était-il pas dans le même état d’esprit ?
L'envie me vient de les placer tous de nouveau dans le bateau ivre. Il pourrait avoir le nom de "Rosebud" peint sur les flans.
C’est ainsi, par les soirs bleus d’été, selon sa monture, ou ses chaussures, qu’on peut s’approprier au mieux du poème « Sensation » !
Une vie réussie ne tient pas aux panthéons, aux consécrations factices, mais à cette capacité de s’émouvoir, d’être en concordance parfaite avec l’ineffable, à certains moments particuliers, et d’ouvrir ainsi le ciel.
https://bit.ly/3ov7J9r ( « Sensation » chanté par Robert Charlebois )
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Quelques émissions précieuses sur Rimbaud, sa famille, ses voyages...
Arthur Rimbaud en mille morceaux – série de podcasts à https://bit.ly/2XvOu3x
Arthur Rimbaud à la croisée de la bibliothèque – série de … https://bit.ly/2XyS5xL
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