L’autre vérité sur le notariat français
« Rien n'est plus puissant qu'une idée dont l'heure est venue » disait Victor Hugo.
A la suite de la publication cet été d'un rapport accablant de l'Inspection Générale des Finances (IGF), certains naïfs pensaient enfin voir la vénérable institution du notariat aller à Canossa.
Ceux qui connaissent cette vieille maison de l'intérieur ne s'étaient en revanche bercés d'aucune illusion. Ceux-là n'ignorent pas la formidable propension des instances ordinales de cette profession à faire passer les vessies pour des lanternes.
Souvenez-vous de cette campagne de publicité pour le notariat : « la veste de votre notaire est élimée, mais il ne la retournera pas ». Ou comment faire croire que les notaires sont finalement proches du peuple. En somme, des sans-le-sou légèrement has been, mais prêts à tout pour vous aider. Cette affirmation présente-t-elle un quelconque rapport avec la réalité ?
Salarié loyal de plusieurs études notariales pendant de longues années, je ne peux plus rester silencieux face à la puissante campagne de désinformation à laquelle le notariat se livre depuis quelques semaines. Désormais retraité, je ne crains plus les représailles.
L'heure est peut-être venue pour cette corporation séculaire de se réformer profondément, et si ce n'est de gré, de force, puisqu'elle rejette en bloc l'idée même d'un aggiornamento.
Les informations erronées récemment distillées par le notariat, et en particulier le Conseil Supérieur du Notariat (C.S.N.), instance officielle non élue, entretiennent la confusion dans l'esprit des français.
Est-il vraiment question de « casser ce qui marche », ou plutôt de mettre fin à des anomalies d'un autre temps ?
Les grands médias ne semblent pas en mesure de mener une véritable enquête sur les notaires et leurs motivations véritables, semblant hésiter entre une réalité sans fard, dévoilée par la lumière crue du rapport de l'IGF, et les chiffres que le notariat mithridatise savamment.
Retour sur des semaines de mensonges et de manipulations.
Menaces sur la sécurité juridique et publicité mensongère
N'avez-vous pas vu ce spot de publicité à la télévision, mettant en scène une famille emménageant dans une maison qui s'avère ne pas lui appartenir ?
Le sous-entendu est limpide : si le gouvernement touche au notariat, cela ne sera pas sans graves conséquences sur la sécurité juridique des français.
Il s'agit là d'une manipulation pure et simple, puisque le projet de loi porté par le gouvernement ne menace en rien la sécurité des transactions immobilières.
En effet, le projet « Macron » ne vise qu'à faciliter l'installation des notaires, en leur permettant de formuler une demande d'installation individuelle sous réserve de respecter notamment des critères de compétence (diplôme et expérience).
Or le vivier de « diplômés notaires », également appelés « notaires assistants », est si important que ces derniers se rebellent contre l'institution qui renâcle à leur laisser une place, quand bien même ils justifieraient de nombreuses années d'expérience.
Des milliers de professionnels compétents et habitués à recevoir les clients à la place de leurs employeurs pourraient donc s'installer sans aucun risque pour les français.
Rappelons que la moyenne d'âge des notaires au Québec est beaucoup moins élevée, et que les notaires y ont les mêmes attributions qu'en France. Pourtant, malgré une liberté totale d'installation, le taux de litiges portant sur les actes notariés y est rigoureusement le même qu'en France.
Pourquoi faire peur aux français avec un risque qu'ils n'encourent pas ?
Ce qui préoccupe le notariat français, ce n'est absolument pas la sécurité juridique, mais l'arrivée sur le marché de nouveaux notaires avec lesquels il faudra « partager le gâteau ».
Quand les notaires trahissent leur parole : la question de l'accès à la profession
Il sera ici question de chiffres et d'anathèmes, mais point d'excuses.
Les chiffres qui fâchent
Le mot a été lâché par Emmanuel Macron ces dernières semaines : les notaires ont une attitude malthusienne. Traduction : ils font tout leur possible pour limiter artificiellement le nombre d'entrants sur le marché captif du notariat, afin de conserver leur juteux oligopole.
Le raisonnement paraît simple : il existe un gâteau à partager. Plus les convives sont nombreux, moins la part de chacun est importante.
L'affirmation d'Emmanuel Macron est-elle justifiée ? Il suffit pour le vérifier de confronter les engagements pris à la réalité.
Les notaires avaient promis d'augmenter le nombre de professionnels à 10 000 pour l'année 2000 et à 12 000 pour 2015.
Il y a aujourd'hui... 8 600 notaires chefs d'entreprise environ. Avez-vous croisé le chiffre de 9 600 notaires ? Il s'agit d'un maquillage consistant à inclure aux effectifs les notaires salariés.
Les notaires ne tiennent donc pas - de loin pas - leurs engagements.
Il est important de noter qu'ils ne s'en excusent pas davantage qu'ils ne s'en expliquent, comme l'a noté un député membre de la mission d'information sur les professions juridiques dirigée par Mme UNTERMAIER.
D'aucuns y verront une contradiction avec leur mission, celle de garants de la vérité juridique, du sérieux, et du respect de la parole donnée.
Certains notaires s'émeuvent pourtant d'un tel mépris pour les engagements souscrits, notamment Me WATIN-AUGOUARD, lors d'un discours prononcé le 2 décembre 2014 à l'assemblée de liaison des notaires de France (http://www.lexisnexis.fr/droit-document/fascicules/jcl-notarial-formuliare/744_EG_NO1_479744CH_1_PRO_086864.htm).
Quelques extraits de ce discours où Me WATIN s'adresse à Me VOGEL, président du CSN :
« Si les idées, les propositions avaient été plus sérieusement étudiées, permettez-moi de vous dire, que nous n’en serions pas là AUJOURD’HUI.
Certes vous nous faites des réponses circonstanciées, précises, intéressantes …
Ceci permet souvent ensuite de ne pas y donner suite : ce n’est pas d’actualité, à travailler, intéressant, à retenir mais en ce moment, à reformuler …
Depuis des années, pour être très clair, nous disons qu’il faut partager le gâteau ; mais bien entendu, cela ne s’applique bien sûr qu’à notre voisin.
Ce temps est révolu ; le plus difficile, c’est de l’appliquer à nous même.
Nous avons tous, sans exception, une part de responsabilité dans ce qui nous arrive. Si nous avions réellement fait le nécessaire pour accueillir des plus jeunes au sein de nos offices, sans regarder d’abord la perte de nos bénéfices, nous n’en serions pas là.
Acceptons de regarder l’avenir du notariat, acceptons de le partager avec les jeunes diplômés que nous avons formés, acceptons de partager le fameux gâteau, acceptons de prendre le risque de gagner moins.
De plus, je suis intimement persuadé que l’arrivée plus forte de jeunes dans nos offices, galvanisera notre profession, permettra une plus grande stimulation, une plus grande ouverture vers des marchés que nous avons plus ou moins abandonnés ;
[La] reconquête des marchés perdus est indispensable.
Encore faut-il accepter d’être plus nombreux, car avouons-le, nous n’avons pas le temps de traiter ces dossiers. »
Tout est dit. Certains notaires sont lucides, honnêtes, et prêts au changement.
Pourtant, ces derniers temps, les jeunes diplômés font l'objet d'une campagne de dénigrement et de censure sans précédent sur la toile.
Les diplômés notaires : ces incompétents de circonstance
« Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage », dit-on.
On invente des torts à ceux qu'on veut blâmer, les prétextes commodes palliant l'absence de justifications sérieuses.
Les diplômés notaires, également appelés « notaires assistants » sont titulaires d'un diplôme d'Etat sanctionnant plus de 7 années d'études, qui inclut plus de deux années de pratique professionnelle et la soutenance de deux mémoires ou rapports de stages.
Rappelons que le cursus est très sélectif, notamment lors de l'accès au Master 2.
Il n'est ainsi pas rare que plus de 400 dossiers soient déposés pour 20 retenus.
L'écrémage du cursus suffit donc à lui seul pour séparer le bon grain de l'ivraie, permettant d'assurer qu'en fin de parcours seuls les professionnels d'un haut niveau intègrent les études comme notaires assistants.
Comme cadres, les diplômés notaires donnent pleinement satisfaction à leurs employeurs.
C'est uniquement lorsqu'ils ont l'impudence de demander au C.S.N. de respecter ses promesses d'augmentation du nombre de notaires titulaires qu'ils deviennent tout à coup des incompétents, des ingrats, des « jaloux » des « bouffons », des « petites merdes » (lu sur les réseaux sociaux).
Cette schizophrénie caractéristique se retrouvera dans d'autres domaines.
Ce qui précède force la prise de conscience : la limitation du nombre de notaires chefs d'entreprise n'est pas fondée sur la compétence des jeunes diplômés.
La raison comme l'intérêt général commandent de ne tenir compte que de la compétence (diplôme et expérience) pour laisser s'installer un notaire, sous condition de respect du maillage territorial.
Pourtant, c'est bien un système de cooptation qui permet d'accéder à la profession, via le paiement d'une forte somme d'argent à un notaire qui cède son étude. D'où il découle que des centaines de notaires assistants parfaitement compétents sont laissés sur la touche pour garantir à leurs aînés de très confortables revenus.
Voir sur ce point le haut de la page 5 du rapport « Ferrand » : http://www.richardferrand.fr/wp-content/uploads/2014/11/Rapport_-Professions_reglementees-RF_octobre_2014-VF.pdf
Par ordre d'efficacité, pour acquérir une étude, il faut être : membre de la famille d'un notaire (en comptant seulement les enfants, 20 % des notaires sont devenus notaires par cette voie), argenté, avoir de bonnes relations, ou encore être très chanceux.
L'étude appartient à l’État ? Simple artifice. On paie sa clientèle, comme dans tout commerce, et on paie surtout le droit d'être « présenté » au Garde des Sceaux, qui en pratique ne refuse jamais, ou presque, le candidat adoubé. « Le droit n'est pas une marchandise », disaient-ils... et pourtant !
Les sommes en jeu vont de plusieurs centaines de milliers d'euros à plus d'un million d'euros, sans compter les éventuels dessous-de-tables dont beaucoup parlent.
Auditionnée par la mission d'information sur les professions juridiques réglementées, la représentante de la chambre des notaires de Paris a cité en exemple une étude qui se serait vendue à Paris pour une somme de 180 000 € (rires) !
(http://videos.assemblee-nationale.fr/video.5919.professions-juridiques-reglementees—auditions-diverses-14-octobre-2014)
L'énoncé de la somme a fort logiquement fait sourire les membres de la mission, au regard du caractère très peu pertinent de l'exemple. Même en province, les sommes en jeu sont bien plus élevées (pour avoir une idée : http://www.etudedenotaireavendre.com/Acheteurs%20Principal.htm).
Pourquoi cette tentative de dissimulation des réalités ? Pour laisser croire que tout notaire assistant peut accéder à une étude ?
Les chiffres sont têtus : environ 300 à 400 études sont cédées par an, tandis que plus de 1000 personnes obtiennent le diplôme de notaire sur la même période. La situation s'aggrave donc d'année en année.
Combien de diplômés notaires en France ? Nul ne le sait, et pour cause, le C.S.N. ne communique que sur ce qui l'arrange. Certains affirment qu'ils seraient plus de 10 000 à ce jour.
Signe de mépris, ou à tout le moins de désintérêt pour les étudiants méritants, le C.S.N. ne s'est pas donné la peine de convier les diplômés notaires au récent « tour de France » des notaires.
Cela aurait signifié leur accorder une légitimité qu'on leur refuse par ailleurs. Surtout pas !
En revanche, les notaires assistants, comme les autres salariés, ont été fermement priés de manifester le 10 décembre prochain, si par aventure l'absence totale de solidarité de classe avait pu laisser croire à certains qu'ils pouvaient s'affranchir de cette « confraternité » à sens unique.
Ces jeunes sont titulaires d'un diplôme de notaire, qui ne permet pas d'exercer la profession de notaire. Leur colère n'est-elle pas légitime ?
Certains employeurs font courir le bruit que ce diplôme ne serait qu'un « diplôme de cadre ».
L'intitulé officiel est pourtant bien « diplôme de notaire », et il constitue la seule condition à respecter pour pouvoir être nommé par le Garde des sceaux. De nombreux salariés ayant le statut de cadres n'en sont d'ailleurs pas titulaires.
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000027172537&dateTexte=&categorieLien=id
Nous sommes donc face à une tentative de sycophantes pour décrédibiliser des salariés pourtant méritants.
Soyons sérieux, et rappelons que la formation initiale des notaires assistants est doublement parachevée par leur expérience professionnelle et la formation obligatoire de gestion d'un office notarial, dite « futur notaire ».
Les fadaises du maillage territorial
Les notaires ont beaucoup communiqué sur la nécessité de préserver le maillage territorial, c'est-à-dire une répartition équilibrée des études de notaires sur le territoire.
La préoccupation paraît légitime, puisqu'il en va de la possibilité pour chacun d'accéder à un notaire près de chez lui. Il faut bien sûr tempérer cet argument, puisque sauf exceptions, les clients se rendent assez rarement chez un notaire.
Il n'empêche, l'argument semble fondé.
Que prévoit précisément le projet Macron pour le maillage territorial ?
A sa lecture, on s'aperçoit qu'il tient non seulement compte de la nécessité de maintenir un maillage équilibré, mais qu'il souhaite en outre l'améliorer. Vous lisez bien : l'améliorer.
Le rapport établi par le député Ferrand (lien ci-dessus) constate en effet que certains départements, parfois pauvres, ont un maillage beaucoup plus important que d'autres.
Pourquoi le C.S.N. n'a-t-il pas concédé que le projet Macron était plus qu'acceptable sur ce point ?
Pour deux raisons.
D'abord parce qu'il est difficile de mettre de côté un argument qui porte chez les français et dans le coeur des parlementaires. Ce serait admettre par la même occasion que le gouvernement a fait des concessions dans ce dossier.
Ensuite parce que la réponse du ministère de l'économie à la question du maillage, à savoir l'installation sur demande individuelle, implique la nomination de nouveaux notaires avec lesquels il faudra « partager le gâteau ».
Le problème du maillage a en effet été résolu en subordonnant l'installation des nouveaux notaires à un besoin identifié au préalable (critère de population ou de bassin d'emploi, par exemple).
Il ne s'agit donc pas d'une liberté totale d'installation, même si les notaires s'obstinent à clamer le contraire sur les réseaux sociaux.
Cependant, le notariat n'aura plus un contrôle absolu des créations d'offices comme c'était le cas jusqu'à présent, avec la limitation artificielle du nombre de notaires individuels ou associés que ce contrôle permettait.
Ce que le notariat redoute par dessus tout, en réalité, c'est qu'une autorité indépendante vienne mettre le nez dans ses affaires, et surtout supprime l'auto-contrôle censitaire à l'entrée de la profession.
Problèmes de chiffres
S'agissant des revenus
Les revenus des notaires sont très élevés, nul ne le conteste (sauf les notaires eux-mêmes, de temps à autre, et très timidement).
D'après l'INSEE, le revenu mensuel moyen des notaires s'établit à 19 000 €, le revenu médian s'établissant quant à lui à 13 000 € selon les dernières données disponibles.
Le notariat conteste vaguement ces chiffres parfaitement officiels, sans jamais rétablir « sa vérité » pour autant.
Les chiffres visés ci-dessus doivent donc être considérés comme non contestés à ce jour, ce qui n'empêche pas certains notaires de se déguiser en gueux pour tendre la sébile.
Citons à nouveau le discours lucide mais resté très confidentiel de Me WATIN, prononcé début décembre devant une assemblée de notaires, et déjà évoqué plus haut :
« Arrêtons de nous plaindre constamment, malgré des temps devenus plus difficiles ; à entendre les notaires, cela ne va jamais bien ; or, quel que soit notre lieu d’exercice, nous avons la chance d’avoir une rémunération largement supérieure à la moyenne des français. Ne l’oublions pas !
Loin de moi, l’idée que nous ne méritons pas notre rémunération.
Cela ne doit pas pour autant nous autoriser à être aveugles et sourds : connaissez-vous beaucoup d’entreprises qui bénéficient d’un retour sur investissement entre 3 et 5 ans ? Moi pas !
L’argent, toujours l’argent, serait-il devenu une valeur fondamentale pour un notaire ?
Alors arrêtons de nous lamenter. »
Quelle légitimité un notaire a-t-il d'être très largement mieux rémunéré qu'un magistrat, qu'un avocat, qu'un expert comptable et que... le Président de la République ?
Les notaires auditionnés par la mission parlementaire sur les professions réglementées du droit se sont montrés particulièrement audacieux face à Mme Untermaier.
http://videos.assemblee-nationale.fr/video.5892.professions-juridiques-reglementees—conseil-superieur-du-notariat-8-octobre-2014
Pour masquer l'importance de leurs revenus, ces derniers se sont livré à de savants calculs en trompe-l'oeil, aboutissant à des reste-à-vivre censés passer pour modestes.
Par imputation sur leurs revenus nets avant imposition, ils en ont retiré l'imposition (!), le coût de remboursement de leur étude (! !) voire les traites de leur logement (! !!) pour parvenir à des soldes qu'ils n'ont pas hésité à comparer avec le salaire net de leurs cadres (avant toute imputation de charges cette fois-ci).
Notons au passage que la déduction totale de la mensualité du prêt ayant permis le financement de l'étude est malhonnête, puisque le prêt finance l'acquisition d'un capital qui pourra être cédé en fin de carrière. Il s'agit donc en grande partie d'une économie et non d'une charge.
Quand on vous demande combien vous gagnez, annoncez-vous un chiffre après imposition et après déduction de toutes les charges ?
Le notariat affirme qu'en soi ces niveaux de rémunérations ne posent pas problème, évoquant la vieille antienne selon laquelle « les français n'aiment pas les riches ».
Faut-il rappeler que cet argent ne tombe pas du ciel, mais bien de la poche des clients ? L’État doit ici jouer son rôle d'arbitre entre 8 600 privilégiés et leurs clients.
Cela étant, et pour impressionnants qu'ils soient, les chiffres n'ont pas tant de valeur en soi que lorsqu'on les confronte aux arguments et revendications des notaires.
Il y a en effet quelque outrance à se poser tantôt en victimes, tantôt en défenseurs de l'intérêt général quand la seule préoccupation véritable est celle d'empêcher la diminution de ces rémunérations très élevées.
S'agissant du tarif
L'un des objectifs du projet de loi dit « Macron » est de procéder à une refonte du tarif des notaires, afin que ces derniers soient plus en phase avec les coûts de production.
Ce tarif, prévu par un décret de 1978 plusieurs fois révisé, permet de fixer de façon nationale le coût des prestations qu'il vise.
La surprise des clients auxquels on vient d'annoncer la facture en atteste : ledit tarif est complètement déconnecté des réalités, parfois sous-évalué, plus souvent largement surévalué.
Exemple d'acte sous-évalué : l'acte de notoriété, qui constate les qualités héréditaires dans le cadre d'une succession, est facturé environ 70 € TTC. Trop peu au regard du travail important à fournir pour établir cet acte.
Cela étant, les exemples d'actes surévalués sont bien plus nombreux : donations, donations-partage, attestations immobilières, prêts professionnels, ventes immobilières, mainlevées d'hypothèques...
On notera au surplus des incohérences. Ainsi, une donation simple rapporte beaucoup plus qu'une vente pour un immeuble de même valeur alors qu'elle demande moins de travail.
De même, radier une hypothèque sur un bien est facturé selon le montant prêté par le créancier hypothécaire, alors que le travail est le même quel que soit ce montant !
Pour défendre le grand écart entre le coût de production d'un acte et sa facturation, le notariat se présente comme un guichet social.
Une péréquation permettrait en effet aux actes surfacturés de compenser les actes sous-facturés, au plus grand bénéfice des clients modestes, et au détriment des clients aisés.
Les notaires avancent à qui veut l'entendre qu'il existerait environ 70 % d'actes à perte. Pas moins.
Par delà le fait que cette donnée est de toute évidence très exagérée, foi de comptable, il n'est possible ni de la corroborer avec des données concrètes, ni de la contester. En effet, le chiffre de 70 % d'actes à perte est avancé sans fondement, nous sommes donc priés de le croire… ou pas !
Autre affirmation à très faible indice de confiance : dans une vente immobilière, l'acte serait rentable à partir d'un prix de vente de 180 000 € (déclaration de Me Vogel, président du CSN). Les comptables des offices l'ont pris pour une plaisanterie ou pour un mensonge éhonté, c'est selon.
Pour comprendre que ce chiffre est peu crédible, il suffit de savoir que certaines études ne rédigent quasiment jamais d'actes de vente portant sur un prix de 180 000,- € (secteurs ruraux, notamment). Ces études auraient donc déposé le bilan depuis longtemps, ce qui n'est pas le cas.
Certaines chambres, en s'adressant à leurs collaborateurs, ont parlé d'un seuil de rentabilité de … 250 000 € et encore, à la condition que le notaire soit seul à intervenir sur le dossier ! Comment a-t-on pu oser communiquer sur ces chiffres fantaisistes ? Les notaires ne craignent-ils même pas le regard de leurs propres salariés ?
Car en réalité, la prétendue « péréquation » est largement excédentaire au profit du professionnel.
Le tarif actuel fait bien plus que compenser les actes à perte : il les surcompense très largement.
Cette surcompensation saute aux yeux : il suffit de prendre connaissance des revenus moyens des notaires, rappelés ci-dessus, et jamais contestés.
On peut s'interroger sur l'origine et les motivations de ce tarif ubuesque et abscons.
Face à cet évident manque de pertinence de la tarification, une solution simple vient à l'esprit : une refonte totale visant à le simplifier pour mieux tenir compte des coûts de production.
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Inutile de compenser un acte à perte par un acte largement bénéficiaire, il suffit de fixer un tarif raisonnablement bénéficiaire pour chaque acte.
C'est précisément ce que le gouvernement propose de faire, mais… le notariat s'y oppose violemment.
Il s'oppose d'autant plus farouchement à la refonte de ce tarif bancal qu'on propose de substituer une autorité administrative indépendante à la chancellerie, interlocuteur habituel et partenaire de longue date.
Force est de constater que ce partenaire a permis, sans motivation particulière, deux augmentations du tarif en 2007 (donations notamment) et 2011 (émoluments perçus sur les ventes).
Toujours cette crainte en filigrane : la diminution des revenus qui serait à attendre d'un tarif plus raisonnable.
Car s'ils répètent à l'envi que « le droit n'est pas une marchandise », simple slogan publicitaire voué à faire florès, il rapporte néanmoins beaucoup d'argent.
Les clients gagneront bien sûr à une refonte du tarif. Pourquoi ? Parce que le nouveau sera forcément moins cher que celui d'aujourd'hui !
S'agissant d'une hypothétique indemnisation
Le notariat ressasse que si la réforme est votée, ils pourraient réclamer une indemnisation de 8 milliards d'euros.
Ce chiffre est absolument fantaisiste, puisqu'il correspond grossièrement à la valeur vénale de l'ensemble des études.
Les notaires prétendent donc que si on laisse quelques jeunes s'installer la valeur vénale de leurs études serait ramenée à zéro. Cela revient à affirmer que lorsqu'un boucher ouvre à 30 km d'un autre, le fonds de commerce du premier installé perd toute valeur.
En réalité, et si l'installation sur demande individuelle est validée, les notaires n'auront plus le monopole de la nomination des notaires sur le marché, ce qui est une très bonne chose pour tous.
En revanche, la clientèle des notaires déjà installés, elle, conservera toute sa valeur, et le jeune qui s'installera à sa demande débutera bien entendu, courageusement, sans clientèle.
Les anciens notaires n'auront donc rien d'autre à craindre que de ne pas faire le poids face à des jeunes qu'elle feint de considérer comme des incapables notoires !
Ce cher conseil « gratuit »
Un autre argument des notaires contre l'actuelle réforme est celui du « conseil gratuit ». A la différence des avocats, en effet, les notaires ne facturent pas immédiatement les conseils donnés, dans la plupart des cas.
Il est pourtant parfaitement inexact d'affirmer que les conseils prodigués par les notaires sont gratuits dans l'absolu. De fait, le conseil est souvent suivi d'un acte, qui sera facturé à un tarif largement suffisant pour rémunérer l'ensemble de la prestation, conseil compris.
Or les plombiers ne se vantent pas de la gratuité de leur devis avant intervention ! Toutes les entreprises sont ici logées à la même enseigne, ou presque : le plombier, lui, ne bénéficie pas d'un tarif garanti par l’État.
Par extension et en admettant que le conseil ne soit pas suivi de l'établissement d'un acte facturé, ledit conseil est payé par les autres clients, toujours par le truchement d'un tarif particulièrement avantageux (pour les notaires).
70 % d'actes à perte et du conseil gratuit, mais des rémunérations très importantes, paradoxe ?
Soit les actes à perte ne sont pas si nombreux qu'on veut bien le dire, soit les actes rentables le sont bien trop, soit les deux.
Nous ne sommes pas des rentiers !
Il s'agit là du leitmotiv des notaires opposés à la réforme. En allant dans le détail, on comprend à la fois que les notaires ne répondent à aucune agression (personne ne les a littéralement traités de « rentiers »), et qu'ils jouent sur les mots.
Sur les réseaux sociaux, les notaires définissent le rentier comme « une personne qui vit sans travailler ».
Ce n'est pas la définition exacte donnée par un bon Larousse : « personne qui vit de ses rentes ou de revenus non professionnels ».
Il faut donc s'en référer à la définition du mot « rente ».
On trouve la définition suivante à l'item « rente de situation » : « avantage tiré du seul fait que l'on a une situation protégée ou bien placée ».
Il est incontestable que les notaires bénéficient d'une rente de situation au sens défini ci-dessus (limitation à l'entrée, tarif réglementé, maillage contrôlé par les pouvoirs publics).
Le notaire est un rentier non pas parce qu'il n'a pas besoin de quitter son lit pour gagner sa vie, mais parce qu'il est assuré, par la rareté de l'offre, d'avoir une demande à satisfaire à un prix élevé.
Si on ne peut affirmer que les notaires sont des rois fainéants - et d'ailleurs personne ne l'a fait - il demeure parfaitement exact de les désigner comme bénéficiaires d'une « rente de situation », ou d'une « rente économique ».
Un rapport établi en octobre 2014 par le cabinet ASTERES à la demande de l'UNAPL (taper « rapport ASTERES UNAPL » dans Google et cliquer sur le premier lien) définit la rente économique induite par le tarif réglementé comme « la distance entre le prix pratiqué et le prix d’équilibre ».
Ce rapport, pourtant commandé par le syndicat des professions réglementées, confirme expressément que ces professions (donc les notaires au premier chef) bénéficient d'une rente économique « constituant une perte sèche pour la collectivité » et « [réduisant] le pouvoir d’achat du consommateur et l’emploi sur le marché » (milieu de page 21 du rapport).
Quant aux déclarations sur les horaires de travail, soyons sincères : je n'ai jamais vu un seul notaire de toute ma carrière travailler 6 jours sur 7, 14 heures par jour, comme certains hypocrites l'affirment.
Doubles discours
Quant à leur statut
A Bruxelles, lorsqu'il s'agit d'échapper au statut de profession libérale, les notaires soutiennent qu'ils participent à l'exercice de l'autorité publique par l'apposition de leur sceau.
A l'inverse, devant le Conseil constitutionnel, l'avocat du Conseil Supérieur du Notariat a soutenu que les notaires étaient une profession libérale comme les autres pour échapper à l'inconstitutionnalité du « droit de présentation » qui aurait été prononcée si les notaires avaient été considérés comme titulaires d'une « charge », d'un « emploi » ou d'une « dignité » publiques.
Cette ambivalence sur le statut a pour corrélat une loyauté à géométrie variable envers l’État qu'ils sont censés représenter.
Quant à leur loyauté envers l'Etat
Pour s'opposer à l'entrée des jeunes notaires sur le marché, les anciens se retranchent derrière « la nomination par le Garde des Sceaux », faisant d'eux des « officiers publics », tout autre chose que ces diplômés notaires arrogants et incompétents.
Soulignons rapidement le caractère inopérant de l'argument : le Garde des Sceaux ne fait que nommer le successeur choisi par le notaire qui vend sa charge. Il ne procède à aucun contrôle de compétence du successeur et joue le rôle d'une simple chambre d'enregistrement.
En termes d'aptitudes, rien ne distingue donc un notaire fraîchement nommé par la chancellerie d'un notaire assistant ayant la même expérience. Le premier gagne juste cinq à dix fois plus que le second.
Cependant, le notaire ne se pare de la dignitas attachée à l'officier public que lorsque cela sert ses intérêts.
Il suffit en effet que l’État se rende compte que les notaires font l'objet d'un tarif excessivement favorable ou de conditions d'installation confinant à l'auto-contrôle endogamique, pour que ces professionnels crachent sur la main nourricière.
« Nous irons jusqu'au bout », affirment-ils tels de grands enfants.
Dangereusement vrai : les notaires retirent actuellement les fonds qu'ils détiennent à la Caisse des Dépôts et Consignations, avec l'objectif non dissimulé de nuire à l'intérêt général.
Ces transfuges inconséquents financent des campagnes de publicité ruineuses pour discréditer l’État qu'ils affirmaient fièrement représenter hier, quand il s'agissait de se soustraire à la réglementation communautaire.
Masques de vertu portés par des cadavres.
Conclusion
Au lieu de forcer leurs salariés à manifester le 10 décembre pour faire le nombre, au lieu de vider les comptes de la Caisse des Dépôts et Consignations au mépris de leurs obligations, au lieu de se déshonorer à déposer les actes avec une provision insuffisante, ou encore de financer de ruineuses campagnes de publicité contre l’État, LA FRANCE ATTEND QUE SES NOTAIRES REVIENNENT A LA RAISON.
Tous les français devraient-ils donc faire des efforts sauf eux ?
C'est ce que Me VOGEL s'obstine à soutenir dans son discours du premier décembre, optant pour une démagogie martiale au lieu d'être à la hauteur des enjeux.
Que propose-t-il face au projet du gouvernement ? Rien sinon le statu quo.
Citons à nouveau Me WATIN sur cette question :
« Avons-nous un projet global à soumettre à nos contradicteurs ?
A-t-il été élaboré avec les forces vives de la profession ? Désolé mais je n’en suis pas persuadé ! »
Le seul but du C.S.N. est d'obtenir le retrait total du projet pour préserver un intérêt corporatiste, en faisant « le siège des maires » avant de « harceler les sénateurs » (!).
N'a-t-il pas de honte de parler de « guerre juste car nécessaire » pour désigner le combat d'une infime minorité pour ses privilèges dans une France en crise ? Pas une once de vergogne ?
Les français savent désormais que si le notariat lutte avec la rage du désespoir, ce n'est ni pour eux, ni pour la France, ni même pour la préservation d'un quelconque modèle, mais seulement pour qu'on ne touche pas à ses immenses privilèges.
Le C.S.N. fera tout pour que rien ne change. Comme depuis toujours.
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