L’empire contre-attaque
Après 75 ans de règne, la « Pax Americana » touche à sa fin et avec elle le modèle économique et sociétal dont elle est issue, le capitalisme.
En effet, la Révolution industrielle de la fin du 18ème siècle et la naissance de la thèse du libre-échange, élaborée par le philosophe et économiste anglais Adam Smith dans son ouvrage « The Wealth of Nations », représentent le socle de notre modèle de société.
S’inspirant des préceptes d’Adam Smith, le Royaume Uni avait bâti un empire économique dans lequel le soleil ne se couchait jamais et dont la domination perdurait pendant près d’un siècle. Ce n’était qu’après la fin de la Seconde Guerre mondiale que la « Pax Britannica » finit par céder le flambeau à la « Pax Americana ».
Actuellement, aux quatre coins de la planète, en Amérique Latine, en Asie et au Moyen Orient des manifestations de masse expriment, parfois de manière diffuse, un désarroi flagrant, dont un dénominateur en commun émerge clairement, la défiance d’un modèle de société vieux de deux siècles, et il se pourrait bien que la déchéance du dernier gardien du temple, l’Empire américain, commence à la source de sa domination économique, Le Moyen Orient.
Le 18 novembre dernier le magazine en ligne « The Intercept » et le quotidien « The New York Times » (1) publiaient une série de transmissions secrètes en provenance du « Ministère des Renseignements et de la Sécurité nationale » iranien VEVAK, successeur de la tristement célèbre police secrète du Shah, la SAVAK, documents datant de 2014. Le moins que l’on puisse dire, à la lecture de quelques extraits des 700 pages interceptées, le « Satan » se tire une balle dans le pied, une fois de plus. Sans être de véritables révélations, la « fuite » confirme tout de même un secret de polichinelle bien gardé au Moyen Orient, celui d’un Iran qui s’y installe durablement en tant que pouvoir régional.
A peine un mois avant l’opération « Liberté iraquienne », l’invasion de l’Iraq en 2003 par des troupes américaines et anglaises, sous le commandement du Pentagone, qui avait coûté la vie à près d’un million de civils, Tariq Aziz, ministre iraquien des affaires étrangères déclara à un journaliste : « Les Etats-Unis ont les moyens de déposer le président Saddam Hussein et de détruire le parti « Baas » » (parti politique, réunissant socialisme, panarabisme et laïcité, des principes chères à l’élite iraquienne, au même titre, pour faire un raccourci historique, qu’à l’égyptien Gamal Abdel Nasser, mort en 1970, et au libyen Mouammar Kadhafi, dont les projets politiques avaient subi des sorts similaires) « seulement, il faut qu’ils soient conscients qu’ils ouvrent ainsi la « boîte de Pandore » qu’ils ne seront jamais en mesure de refermer », la « boîte de Pandore » contenant le fanatisme religieux et l’émergence de l’Iran en tant que puissance régionale.
En effet, entre le soutien de fanatiques religieux dans la lutte contre le communisme en Afghanistan et la chute du régime iraquien, les Etats-Unis ont ouvert un boulevard aux mollahs, débarrassant l’Iran de deux de ses principaux ennemis historiques, à peu de frais pour le dernier.
De facto alliés dans la lutte contre l’état islamique ISIS, sans qu’il y ait eu une quelconque coordination des opérations avec la coalition américano-britannique, au grand regret des autorités iraniennes selon les documents divulgués, l’armée iranienne déployait, à partir de 2014, des troupes au sol pour combattre les guerriers d’Allah, la coalition américano-britannique préférant « Star Wars » à distance. L’avantage du déploiement de troupes au sol ayant été la collecte de précieux renseignements par la VEVAK, divulgués maintenant, entre autres, dans les documents publiés.
Dès la chute du régime « Baas » en 2003, les services secrets iraniens avaient commencé à s’infiltrer subrepticement dans les institutions iraquiennes, l’objectif ayant été celui de toute puissance expansionniste, s’engouffrer dans la brèche, laissée par les « vaincus », en l’occurrence les troupes américaines.
La base des services secrets (CIA) la plus importante en dehors des frontières américaines, fut démantelée après le départ des troupes en 2011, et les agents iraquiens, recrutés à l’occasion du débarquement en 2003, suite au démantèlement des services secrets du régime « Baas », se retrouvaient sans emploi et, par la force des choses, se faisaient, en partie, recruter par les services secrets iraniens avec, on imagine, de précieuses informations à la clé.
Les actuelles manifestations de masse en Iraq s’insurgent notamment contre la nouvelle élite, aussi corrompue que les précédentes, à la botte du nouveau maître à bord, l’Iran. Toutefois, de nombreux observateurs s’accordent à dire que ces mouvements de protestations, comme par ailleurs ceux qui ont lieu actuellement en Iran et au Liban, ne sont pas de nature confessionnelle mais sociale et patriote.
Les manifestants en Iran s’élèvent contre une augmentation du prix de l’essence de 8 centimes le litre à 24 centimes, une conséquence des sanctions économiques imposées par les Etats-Unis suite à l’annulation unilatéral de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien par les Etats-Unis. Ces protestations pacifiques, sont perturbées systématiquement par des « casseurs » bien organisés. L’organisation MEK « Organisation des moudjahiddines du peuple iranien », basée en Albanie, soutenue par les Etats-Unis (2), n’attend qu’une bonne occasion.
La seconde pierre d’achoppement de la « Pax Americana » se trouve dans son arrière-cour, l’Amérique Latine, avec la libération de l’ancien président brésilien, Luiz Inàcio Lula Da Silva, par la Cour suprême, un pied de nez au président ultralibéral Jair Bolsonaro et son ministre de la « Justice et de la Sécurité publique », Sérgio Fernando Moro, ancien magistrat chargé de l’instruction du dossier « Lava Jato », maintenant désavoué par ses pairs, sans doute suite aux révélations du journaliste Glenn Greenwald du magazine en ligne « The Intercept ». (3)
On pourrait faire un bref détour à Santiago de Chile, berceau du néolibéralisme (4) des « Chicago Boys », foyer de révoltes et contestations du système « Pinochet », réprimées par l’armée du président Sebastiàn Pinera, frère du « Chicago boy » et disciple de l’économiste américain Milton Friedman, José Pinera, en passant par l’Equateur, foyer de révoltes contre les conditions drastiques, attachées à un nouveau prêt du FMI, contracté par le président Lenin Moreno, en passant par la Colombie, bastion américain, abritant 9 bases militaires et 1'000 soldats, foyer de révoltes contre le président ultralibéral Ivàn Duque, successeur d’Alvaro Uribe, (réformes du marché du travail et du système des retraites) qui s’était moqué du processus de paix avec les « Farc » (« Forces armées révolutionnaires colombiennes » mouvement d’obédience communiste), en passant par le Panama, importante base militaire américaine pour la protection du canal, protestations de masse contre une nouvelle constitution, ainsi que la Bolivie, où des manifestants descendent dans la rue en masse pour réclamer le retour du président Evo Morales, chassé par un coup d’Etat militaire, orchestré par une oligarchie, soutenue par le sénateur républicain de Floride, Marco Rubio, pour finir en Argentine et le Méxique où le début d’un retour à la normale semble se dessiner avec les élections d’Alberto Fernàndez et Andrés Manuel Lòpez Obrador.
La troisième pierre d’achoppement, c’est La Chine. L’objectif des manifestations dans l’ancienne colonie britannique, Hong Kong, est essentiellement lié à une prolongation de son statut spécial, garanti par l’empire britannique jusqu’en 1997, époque où le poids de l’économie de l’ile représentait encore un multiple de celui de la Chine continentale, aujourd’hui la deuxième puissance économique de la planète derrière les Etats-Unis.
Les figures emblématiques du mouvement pour la démocratie à Hong Kong, le patron de presse Jimmy Lai, ami proche de l’économiste américain, Milton Friedman, mort en 2006, ainsi que l’étudiant Joshua Wong, fréquemment reçu par le sénateur de Floride, Marco Rubio et le groupe de réflexion « National Endowment for Democracy » NED (MintPress), fondé en 1983 par le président Ronald Reagan, instigateur de la révolution néolibérale.
- Connaissant la rhétorique « va-t-en-guerrre » historique du « New York Times », notamment la défense de l’invasion de l’Iraq en 2003 par la journaliste, entre temps licenciée, Judith Miller, la publication des documents fuités, par le « New York Times », par ailleurs une infraction qui peut mener à l’incarcération pour haute trahison d’après une récente réinterprétation originale par la justice américaine, du « Premier Amendement de la Constitution des Etats Unis » interdisant le législateur toute interférence dans la liberté de culte, garantissant liberté d’expression ainsi que liberté de la presse, ne manque pas d’une certaine ironie du sort.
(2) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/qui-veut-la-peau-du-regime-iranien-211021
(3) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/l-asservissement-de-la-justice-216284
(4) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/chili-1973-france-2017-194377
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