L’espace public est à tout le monde (même aux femmes, c’est dire)
Tu sais quoi ? Je vais dire un truc super banal, mais c’est juste pour attirer ton attention : l’espace public est à tout le monde.
Oui, oui, tout l’espace public : les parcs, les bancs, les routes (fais gaffe quand même, y’a des voitures), les rues.
Ben ouais, dit comme ça, ça sonne un peu pensée philosophique à 3 grammes et demi. Alors, laisse-moi t’expliquer.
T’es qui toi pour décider qui a le droit de sa balader ?
Je me présente : Jean-Fabien, macho standard ni plus ni moins. Je ris aux blagues dès qu’elles contiennent le mot « bite » ou « nichon », j'aime mater les filles en donnant du coup de coude à mon voisin de débauche, j’aime à penser que les femmes aiment les grosses bites (ça y est, je ris), tout un tas de truc à la con donc.
Je sais pas pourquoi, c'est comme ça (un défaut de fabrication peut-être) et je n’ai planifié aucune tentative de progression sur l’échelle de la maturité dans les 10 ans à venir. Disons que je m’assume ainsi. Je suis une sorte de connard heureux.
A un détail près qui me distingue d'une autre catégorie de macho : je suis inoffensif.
Je suis même plus qu’inoffensif, je me décompose dès lors qu’il est question d’établir un vrai contact. Pire, si une fille vient me voir parce que je l'ai zieutée avec un peu trop d’insistance dans le métro (certains appellent ça « faire le premier pas »), il est assez probable qu’entre 3 bafouillements et 15 « heuuuu » (Hollande, sors de ce corps), je vais essayer de trouver un échappatoire en lui signifiant que je suis gay. C’est que j’ai des principes : c’est moi qui suis le mec, oui ou merde ?
A vrai dire, Je n'oserais jamais toucher une femme – même pas en rêve – sans y être explicitement invité (« prends-moi contre le mur » est une forme d’invitation contre laquelle je n’aurais pas le cœur de m’opposer) de peur d'être foudroyé sur place et réincarné en caleçon de Misou-Misou.
Alors oui, j’avoue. Quand une amie m’a parlé des frotteurs du métro, j’ai fait répéter. « Les fraudeurs ? ». « Non, non. Les frotteurs », m’a-t-elle répondu.
J’avais aucune idée de ce que c’était.
Quesako ?
Le frotteurisme est une paraphilie me dit Wikipedia et je n’ai pas le courage de le contredire. Il s’agit d’une pratique dans laquelle un individu tente de rechercher le contact physique avec des personnes principalement non consentantes, dans des endroits publics, et dans le but d'en retirer une jouissance.
Comme ça me parlait pas des masses, j’ai commencé à chercher sur internet. Et là, je suis tombé sur le blog de Diglee avec notamment des liens vers des reportages.
J’avoue : j’ai pris cher (j’arrête pas d’avouer aujourd’hui, je ferais un très mauvais gangster).
Comment dire ? Voir des malades se frotter à des inconnues dans le métro, se faire chopper, faire genre « euh, moi ? Ha non, j’ai juste le syndrome de Gilles de la Tourette et y’a que ma queue qui est affectée », c’était juste too much. J’ai eu du mal à y croire (je me suis même frotté les yeux moi-même, la contagion était proche).
Certains diraient que c’est une technique de drague non homologuée, à part que la drague inclut une certaine forme de réciprocité que le pervers frotteur n’attend pas.
Vous me direz qu’on pourrait essayer de raisonner ces atrophiés du bulbe au membre turgescent en leur expliquant que la femme est un être humain (incroyable) ou que la loi française rend cette pratique passible de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, mais cela me semble pas la bonne approche. En fait, ce qui m’a fasciné, c’est la relative indifférence des gens par rapport à ce phénomène (dans le reportage et ailleurs) et la banalisation de ces pratiques de harcèlement.
Le harcèlement de rue, parlons-en
Parce qu’il n’y a pas que les frotteurs, phénomène extrême certes, mais dont l’ampleur est loin d’atteindre celle du harcèlement de rue, par exemple.
J’ai récemment eu entre les mains un livre (« Paye ta shnek »), sorte de compilation des phrases de drague plus ou moins lourdingues que les racailles lobotomisées envoient comme autant de bouteilles à la mer à destination des femmes passant à proximité, dans l’espoir un peu fou sans doute que l’une d’elles sera fascinée par leur esprit. Evidemment, les chances de succès sont à peu près équivalentes à celles de rencontrer la reine Elisabeth au McDonald’s des champs Elysées en survêtement, mais ils continuent inlassablement, et deviennent volontiers agressifs dès lors que le mépris de la belle se mêle au refus. De « charmante », la demoiselle devient vite une « pute ». Car, toutes celles qui se refusent à moi le sont, n’est-il pas ?
En interrogeant quelques amies filles, je me suis rendu compte à quel point ce phénomène était généralisé (elles avaient toutes une anecdote, voire des tonnes, à raconter) et rendait particulièrement invivable plusieurs quartiers, au point que les femmes abandonnaient même l’idée de marcher seule dans certaines zones bien identifiées (genre les Champs Elysées après minuit), lassées de ces pratiques, ou tout simplement apeurées à l’idée de croiser ces parfaits représentants de la bêtise ordinaire.
Quand on pense à ces idiots alpaguer la passante sur un air de « t’as un 06, salope ? », on est assez vite enclin à vouloir leur hurler à la tronche « non mais ho, dis-donc, t’as pas l’impression de tirer l’humanité vers le bas ? », tout en sachant qu’en appeler à l’humanité n’est peut-être pas l’argument qui leur paraîtra le plus familier.
Cela m’a rappelé une dédicace près de Montparnasse récemment où une femme a commencé à me parler de tout et de rien. A un moment, sans doute parce que la couverture de mon livre arborait une magnifique paire de jambes féminines, elle m’a dit « vu comme les filles sont habillées aujourd’hui, faut pas s’étonner si elles se font violer, hein ? ». Je lui ai fait répéter, à elle aussi (à croire que j’ai des problèmes d’audition). La femme devant moi, mauvaise copie de Christine Boutin (l’originale est pourtant déjà pas terrible) s’est encore plus enfoncée et m’a sorti un discours tout à fait flippant et rétrograde sur le retour aux valeurs morales. Si elle n’avait été, en plus, islamophobe, elle m’aurait sans doute vanté les mérites du voile intégral. Elle, qui devrait être solidaire de par sa condition féminine, pensait que le problème venait de la victime elle-même, et pas du violeur.
Je me suis senti tellement con que je n’ai pas su quoi dire.
Et pourtant, c’est la première forme de défense de l’espace public : ne pas laisser les gens dire des énormités en public sans réagir (même si parler de « public » pour l’une de mes dédicaces est un tantinet exagéré). Ce n’est pas tant les femmes qui doivent être solidaires que tout individu finalement.
En y repensant, je me fais un peu honte. J’avais tout un tas de phrase à disposition. J’aurais pu lui dire que vue sa tronche, même déguisée en lapin Playboy, elle risquait pas grand-chose. J’aurais surtout dû lui dire que la première des libertés était de pouvoir faire ce que l’on voulait, tant que ce n’entravait pas la liberté des autres. Qu’elle-même avait le droit d’être conne, que donc on pouvait bien autoriser une fille à montrer ses jambes. Et que moi d’ailleurs, j’adorais mater les jambes et que ça ne faisait pas de moi un violeur en puissance. Bordel, j’aurais dû prendre ça comme un cas d’école et lui faire comprendre à quel point elle était truffe.
Mais non, je me suis écrasé. Je me suis écrasé, comme ces anonymes dans le métro qui regardent, sidérés mais statiques, une fille se faire emmerder sans rien faire.
L’effet témoin
Récemment, on a vu cette fille se faire quasiment violer dans une rame bondée du métro sans que personne ne réagisse (les gens changeant même de voiture).
Il paraît qu’il existe un phénomène psycho-social des situations d'urgence dans lesquelles notre comportement d’aide est inhibé par la simple présence d'autres personnes présentes sur le lieu. Ainsi, plus le nombre de personnes qui assistent à une situation exigeant un secours est important, plus les chances que l’un d’entre eux décide d’apporter son aide sont faibles. La probabilité d’aide est ainsi inversement proportionnelle au nombre de témoins présents. On appelle ça l’effet du témoin.
Je pense qu’il a bon dos, l’effet du témoin. Même si je ne doute pas une seconde de la validité de cette théorie, je pense qu’elle est la conséquence d’une évolution de notre société qui n’a rien d’irréversible. Cette capacité à vivre avec l’idée que l’on peut agresser quelqu’un et que l’on n’y fasse rien n’est-elle pas aussi le symbole d’une perte globale de valeurs, telle que la solidarité ?
Dans une société de consommation où l’on nous fait croire que tout s’achète pour peu que l’on mette le prix, où l’accès au loisir et à l’exécution de nos désirs est un dû, on en arrive même à croire que le corps d’un(e) autre serait à disposition (c’est d’ailleurs un peu le pitch classique de 99% des films porno, mais je m’égare). On arrive surtout à une forme d’individualisme forcené ou l’autre, c’est l’autre, et il n’y a pas de raison que ses ennuis deviennent les miens. Pourquoi irais-je me faire péter une dent pour une fille que je ne connais pas (et qui, en plus, l’a sans doute bien cherché, non ?). Ben parce que ça pourrait être ta tronche qui se fait emmerder, par exemple, gros nigaud.
T’as jamais entendu la phrase « une injustice pour l’un devient une menace pour tous » (Montesquieu ?) ?
Comment réagir ?
D’après moi, le premier axe de défense pour garder un minimum de décence dans l'espace public est totalement lié à cette solidarité dont je parlais trois lignes plus haut. Si vous voyez une meuf qui hurle dans le métro, la prenez pas pour une tarée. Oui, certaines meufs sont barjot, mais, en l’espèce, le match est trop déséquilibré, et puis, en général, elles ne sont dingues pour des conneries (un slip qui traîne, une assiette mal lavée), mais une main au cul mérite une réaction proportionnée, non ?
Si quelqu’un faisait ça à ta meuf (ou pire, à ta mère (y’a des pervers même chez les pervers)), je pense que tu commencerais à entrevoir le problème que ça pose.
Non mais si toutes les meufs disparaissent des rues, qui on va draguer, nous ? Va falloir qu'on aille dans les boîtes avec tous les gros relou qui tournent autour puis se collent aux meufs comme des mouches à merde ?
C'est que j'ai un standing moi. Draguer une meuf avec un peu de classe et de savoir vivre est un art (qui se perd manifestement).
L’espace urbain est à tout le monde, ce n’est pas une jungle sans loi, et la meilleure façon de s’y sentir bien soi-même est d’y respecter tout le monde et de combattre ceux qui le rendent invivable.
Changer les choses commence par soi et par prendre conscience du problème.
Si l’on ne fait rien, qui sait ? Bientôt, on verra peut-être des décervelés trouver drôle qu’un abruti « bifle » une candidate dans un programme de téléréalité (lien).
Si vous ne voulez pas que toutes les miss du monde se mettent au taikwendo (comme Miss USA), car il ne me semble pas que la réponse la plus adéquate à la violence soit la violence, pas plus que le problème est la longueur de la jupe, faites circuler bande de nazes (et respectez un peu les demoiselles – dans le cas contraire, vous n'aurez pas à faire à moi (j'ai un article à finir, je peux pas tout faire) mais ce sera pas bon pour votre karma).
Avec un peu de chance, la prochaine fois qu’une fille se fera emmerder dans le métro, vous serez plusieurs à vous interposer.
A ce moment-là, franchement, je serai hyper fier de vous.
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