L’Europe : un traquenard ultra libéral
L’Europe est d’actualité tous les jours, même si on ne nous en parle que pour les grandes cérémonies habituelles comme les Européennes, les référendums ou les 50 ans du traité de Rome. Pourtant, depuis plus de 50 ans, nous sommes dans un processus unique, qui n’a jamais dévié malgré les évolutions de la conjoncture et des populations européennes. Regardons de plus près de quel processus il s’agit.
Petite chrono rapide de l’Europe...
Bon, reprenons avec la crise
économique des années 30 qui ruine littéralement les États-Unis et
l’Europe à partir d’une forte surproduction américaine et de la
spéculation notamment. La Seconde Guerre mondiale est venue très opportunément offrir de nouveaux marchés
à des entreprises comme Ford, IBM, ITT, General Motors, etc. Mais,
surtout, elle a engendré un très lourd endettement des États envers les
banques centrales, dont les actionnaires étaient des Rockefeller,
Rothschild, Lazard, Morgan, Worms, etc. (une partie des membres de la synarchie
européenne reformée dans les années 20). Tant les entreprises que les
banques ont collaboré aussi bien avec le Reich ou Franco qu’avec la
France libre ou l’Angleterre (c’est le moins que l’on puisse dire, mais
c’est une affaire à suivre.)
Après la guerre, il a fallu trouver
d’autres moyens pour maintenir une consommation élevée, et faciliter
les échanges de marchandises.
Les États-Unis, dans leur grande mansuétude, nous octroient l’aide du plan Marshall,
en 1946. Ladite aide, qui était constituée de dons, mais aussi de prêts,
s’étale jusqu’en 1952 et doit servir à la reconstruction du continent.
Mais le plan s’accompagnait de quelques contreparties :
-
que l’on créée l’OECE (Organisation européenne de coopération économique) afin que l’organisme gère la répartition des budgets de reconstruction dans les 16 pays destinataires. Ce fut fait en 1948.
-
que l’argent serve à acheter des produits fabriqués par les entreprises américaines.
-
que l’Europe mène la libéralisation interne de ses échanges.
Dès 1949, les pressions américaines pour la libéralisation de nouveaux secteurs, notamment les denrées alimentaires, se font sentir. En 1950 le président du Conseil de l’OECE présente un plan d’action pour l’intégration économique à la demande pressante des États-Unis, qui conditionnent la suite de leur aide à davantage de libéralisation des échanges.
L’OECE et l’Union européenne des paiements
En même temps que l’OECE, on crée l’OTAN
sous la forme d’un pacte militaire avec les États-Unis et le Canada, pour coordonner les politiques de défense et de sécurité, à savoir essentiellement contre la terrible menace soviétique. On crée aussi le Conseil de l’Europe dont les statuts ne prévoient pas (pas encore) un transfert de compétence des États vers le Conseil, ni une vision fédéraliste de l’Europe.
Selon le texte instituant l’OECE "L’objectif de l’Organisation est la réalisation d’une économie européenne saine par la voie de la coopération économique de ses Membres.". L’OECE est dotée d’un Conseil, d’un Comité exécutif et d’un secrétariat. Notons que le secrétaire général était Robert Marjolin, économiste ami de Jean Monnet, ancien commissaire général adjoint au Plan, qui a ensuite mis en route l’Union économique et monétaire. Il a étudié aux États-Unis grâce à une bourse de la fondation Rockefeller en 1932 et a fini sa carrière comme administrateur de multinationales, telles que Royal Dutch Shell (appartenant à la reine des Pays-Bas et au prince Bernhard, cofondateur du Bilderberg ) ou la Chase Manhattan Bank (à Rockefeller, l’autre grand fondateur du Bilderberg en 1954, fondateur également de la Trilatérale et membre éminent du CFR), et comme conseiller de nombreuses autres multinationales, telles que IBM ou American Express. Je reviendrai plus tard sur ce personnage.
L’OECE chapeaute l’Union européenne des paiements
(UEP), créée dans la foulée. Il y a bien des choses à dire sur cette UEP, censée éviter les discordances européennes dues au manque d’or pouvant garantir les valeurs des différentes monnaies. Elle gérait entre autres les transactions financières entre les pays membres, en utilisant comme valeur une unité de compte commune assurant la parité des monnaies avec le dollar, ceci dans le cadre du système monétaire de Bretton Woods. Elle pouvait aussi octroyer des crédits aux États membres, ceux-ci ayant alors un excédent ou un déficit comptable vis-à-vis de la « zone UEP ». En cas de déficit supérieur à un certain quota, l’État devait payer en or. Le fonds de compensation était fourni par le Plan marshal (350 M $).
L’UEP est dotée d’un Comité de direction composé des représentants (surtout de hauts fonctionnaires) des pays membres, qui peut prendre des décisions par rapport aux États membres ou proposer au Conseil de l’OECE, ceci dans les domaines budgétaire et fiscal, du crédit, de l’investissement et du commerce extérieur. Selon La Revue économique "il [peut] aussi exercer sur les pays membres une pression morale qui peut conduire à une certaine harmonisation des politiques qu’ils suivent dans ces domaines"
L’UEP
a pris fin en 1958, quand les monnaies européennes sont déclarées
convertibles par rapport au dollar. L’OECE décline avec la fin du Plan
Marshall et se réoriente vers l’Otan. On décide alors d’élargir ses
compétences, et on la transforme en Organisation de coopération et de
développement économique. Mais reprenons la chronologie.
La CECA
En 1950, Jean Monnet et Robert Schuman, soudainement pris d’un superbe élan communautaire (version officielle), ont l’idée de créer la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA, mise en place en 1951). La nouveauté réside dans l’établissement d’un organe supranational et indépendant des États, la Haute Autorité
que préside Jean Monnet, pour administrer la CECA conjointement avec
le Conseil des ministres des 6 pays de la Communauté. La CECA est
également dotée d’une Assemblée composée de députés nommés par les
Parlements nationaux, et d’une Cour de justice dont les décisions sont
obligatoires. Au même moment, on tente d’établir la Communauté
européenne de défense (CED), impliquant la création d’une armée
européenne placée sous le commandement de l’Otan. Le projet échoue notamment du fait de la France.
Nous avons donc là les bases d’une organisation supranationale, imposant aux États des politiques libérales, comme c’est écrit spécifiquement dans l’article 9 du Titre II : « Chaque État membre s’engage à respecter ce caractère supranational » (celui de la Haute Autorité). Les décisions de la Haute Autorité sont elles aussi obligatoires pour les États membres. Elle peut aussi infliger des sanctions pécuniaires ou des astreintes aux États membres, elle peut aussi emprunter pour ensuite prêter aux États et entreprises des secteurs du charbon et de l’acier. L’article 60 dparagraphe 1 du titre III est révélateur sur l’orientation donnée à la fameuse « construction européenne » :
"Sont interdites en matière de prix les pratiques contraires aux articles 2,3 et 4 notamment :
- les pratiques déloyales de concurrence, en particulier les baisses de prix purement temporaires ou purement locales tendant, à l’intérieur du marché commun, à l’acquisition d’une position de monopole ;
- les pratiques discriminatoires comportant, dans le marché commun, l’application par un vendeur de conditions inégales (...) notamment suivant la nationalité des acheteurs."
Le but, selon le traité instituant la CECA, est de créer un marché commun (zone de libre échange), des « institutions communes » et la libre concurrence pour les secteurs hautement stratégiques que sont le charbon et l’acier. Ces deux produits sont indispensables au fonctionnement économique de l’Europe. Les subventions d’État et les monopoles d’État dans ces secteurs sont interdits, car ils faussent la libre concurrence.
Les traités de Rome
La
CECA a si bien marché qu’en 1957 on décide d’élargir encore le champ
d’application des principes libéraux à de nouveaux secteurs. Des
personnages-clés se mettent à la tâche. Pour n’en citer que quelques-uns : Adenauer, Walter Hallstein (qui devient l’année suivante le 1er
président de la Commission de la Communauté économique européenne
CEE), Paul Henri Spaak, (homme d’affaires belge et ex-président de
l’Assemblée de la CECA), Robert Marjolin (dont j’ai déjà parlé, ex-secrétaire général de l’OECE grâce à Monnet, vice-président le la CEE
de 1958 à 1967 chargé des questions économiques et financières. Il est
aussi ami avec un dénommé Alexandre Kojève, un bureaucrate proche de la synarchie des années 30 derrière de nombreuses avancées de l’Europe depuis vingt ans, qui aimait beaucoup les idées - qu’il a ensuite enseignées à la célèbre université de Chicago - d’un « empire universel et homogène »
et de la « fin de l’histoire »), Jean François Deniau (directeur des
Relations extérieures de la Commission européenne dès 1958), Jean
Monnet (promoteur des « États-Unis d’Europe ». Il n’occupait aucune
fonction officielle entre 1955 et 1957, la période à laquelle il a
préparé les traités de Rome. Cependant, il était à la tête du très
fédéraliste Comité d’action pour les États-Unis d’Europe, qu’il a mis
sur pied).
À Rome, le 25 mars 1957, deux traités sont signés :
- le traité instituant la Communauté économique européenne, dont l’article 2 définit la mission de la CEE qui est, "par
l’établissement d’un marché commun et par le rapprochement progressif
des politiques économiques, de promouvoir un développement harmonieux
des activités économiques dans l’ensemble de la Communauté (...)« . C’est-à-dire selon l’article 3 la fin des droits de douane et quotas, une politique commerciale commune, l’ »abolition (...) des obstacles à la libre circulation des personnes, des services et des capitaux« , des politiques agricole et des transports communes, l’ »établissement d’un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché commun« , la coordination es politiques économiques, la création d’une »Banque européenne d’investissement".
La CEE est dotée d’une Assemblée formée de délégués nommés par les Parlements nationaux, d’un Conseil formé de ministres des États membres, d’une Commission « dotée d’un pouvoir de décision propre », et d’une Cour de justice.
-
le traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom) vise à « créer les conditions de développement d’une puissante industrie nucléaire » pour « une croissance rapide de l’industrie nucléaire », ceci via un « marché commun nucléaire ».
L’OCDE
En 1960, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) succède à l’OECE. Elle regroupe aujourd’hui trente États, dont la Turquie depuis 1961. L’OCDE est orientée vers six grandes branches de secteurs qui finalement regroupent l’ensemble des secteurs économiques
: Économie, Gouvernance, Société, Finances publiques, Innovation, Durabilité. Sur la bannière de la page d’accueil du site de l’OCDE, on peut lire son credo : « Pour une meilleure économie mondiale »...
Selon la version la plus connue, l’OCDE est une institution de réflexion, qui publie de nombreuses études et rapports dans tous les domaines. Selon la « Convention relative à l’Organisation européenne de coopération économique » signée le 14 décembre 1960, elle vise à pousser les États "à développer au maximum et à utiliser le plus efficacement leurs capacités et leurs possibilités pour réaliser la plus forte expansion possible de leur économie (...)" dans le cadre des traités précédents, notamment bien sûr le traité CEE instituant le marché commun et la libre concurrence. L’OCDE doit donc « promouvoir des politiques » destinées :
- "à réaliser la plus forte expansion possible de l’économie et de l’emploi et une progression du niveau de vie (...) tout en maintenant la stabilité financière, et à contribuer ainsi au développement de l’économie mondiale.
- à contribuer à une saine expansion économique dans les pays membres (...)
- à contribuer à l’expansion du commerce mondial sur une base multilatérale et non discriminatoire conformément aux obligations internationales.«
Les États membres s’engagent de leur côté notamment à :
- »assurer l’utilisation efficace de leurs resosurces économiques« (sic.)
- »suivre des politques conçues pour assurer la croissance économique et la stabilité financière interne et externe, et d’éviter que ne se développent des situations qui pourraient mettre en danger leur économie ou celle d’autres pays«
- »poursuivre leurs efforts en vue de réduire ou de supprimer les obstacles aux échanges de biens et de services, ainsi qu’aux paiements courants, et de maintenir et étendre la libération des mouvements de capitaux "
Les décisions de l’OCDE sont elles aussi contraignantes pour les États membres, elle peut conclure des accords avec les institutions internationales comme la Banque Mondiale, le FMI, etc. Elle est dotée d’un Conseil et d’un Secrétariat indépendants des États.
La mise en place de l’OCDE est à inscrire dans lignée de la Convention de coopération économique européenne à la base de l’OECE, signée dès le 16 avril 1948, et révisée lors de la convention OCDE. Celle-ci pousse les États membres à augmenter la production, moderniser l’appareil productif, « réduire progressivement les entraves à leur commerce mutuel », restaurer ou maintenir la stabilité de leurs économies. Cette convention incite à « l’exécution d’un programme commun de relèvement ». Examinons de plus près ce texte si peu mentionné dans les étapes de la construction européenne :
L’article 4, qui je le rappelle date de 1948, stipule que "les parties contractantes développeront dans la plus large mesure possible et de façon concertée leur échanges réciproques de biens et de services (...) et coopéreront pour atténuer les restrictions à leurs échanges et à leurs paiements réciproques (ndlr. c’est-à-dire les mouvements de capitaux), en vue d’abolir dès que possible celles qui les entravent actuellement.«
L’article 5 établit que »les parties contractantes s’engagent à resserrer leurs liens économiques par tous les moyens qu’elles estimeront propres à réaliser les objectifs de la présente convention. Elles poursuivront leurs études en cours sur les Unions douanières ou les régimes analogues tels que les zones de libre échange« .
L’article 6 continue dans cette voie : »les parties contractantes coopéreront entre elles (...) pour réduire les tarifs et autres obstacles à l’expansion des échanges« .
L’article 8 est également intéressant, car toute sa portée réside dans la définition du terme »rationnelle« : »les parties contractantes utiliseront de la façon la plus complète et la plus rationnelle la main-d’oeuvre disponible".
Certes, l’OCDE fournit un cadre pour les échanges de biens, services et capitaux entre États membres, mais aussi pour la coordination de leurs politiques économiques dans le sens du libre échange. Ses points de vue servent de caution aux gouvernements lorsqu’il défendent des politiques libérales, et reflètent le Dogme libéral contenu depuis le début dans les textes européens.
Peu à peu, l’OCDE est prise d’ambitions internationales et cherche à faire rentrer des États non membres dans son circuit. Dès 1976, l’OCDE se préoccupe d’élaborer des « Principes directeurs » pour les entreprises multinationales, et crée le CIME (Comité de l’investissement des entreprises multinationales) rebaptisé ensuite Comité de l’investissement. Le CIME, donc, rédige ces « principes » . Ceux-ci sont non contraignants, et sont sont révisés en 2000. L’OCDE les intègre dans sa « Déclaration de l’OCDE et Décisions sur l’investissement international des entreprises multinationales » de 1976, révisée également en 2000. La Déclaration se soucie d’"améliorer le climat des investissements étrangers, favoriser la contribution positive des les entreprises multinationales peuvent apporter au progrès économique, social et environnemental, et permettre de réduire au minimum et de résoudre les difficultés qui peuvent résulter de ces opérations" tout en demandant aux entreprises d’avoir l’obligeance de respecter l’environnement, le droit social, etc. L’Annexe 2 est révélatrice d’un certain paradoxe résidant dans le fait d’inciter les multinationales à respecter le développement durable et autres aspects sociaux tout en leur donnant les moyens légaux de ne pas s’y plier, ainsi qu’en prônant une croissance économique continue et l’accumulation des profits. L’Annexe 2 s’intitule donc : "Considérations générales et approches pratiques concernant les obligations contradictoires imposées aux entreprises multinationales"
En effet, contradictions il y a. Que fait-on dans le cas où des "Principes directeurs" non contraignants entrent en contradiction avec un traité international ? Eh bien on respecte le traité, or les traités ont clairement tendance à aller vers le libéralisme total de tous les secteurs. Un regroupement de 47 ONG, OECD Watch, a établi un bilan de l’impact de ces « Principes directeurs », publié en 2005. OECD Watch observe donc que "Les Principes directeurs de l’OCDE à l’attention des multinationales ne sont pas un instrument adéquat pour enrayer les mauvais comportements des entreprises".
Mais l’OCDE se mêle vite de légiférer en matière d’investissements étrangers et de fiscalité, comme en témoigne la tentative de faire ratifier l’Accord multilatéral sur l’investissement au milieu des années 90.
L’AMI
L’OCDE
est en fait un système complexe, dans lequel se croisent de nombreux
groupes d’intérêts. Ce sont en principe les États qui discutent entre
eux au sein de l’OCDE, États soumis à l’influence des lobbies
sectoriels ou intersectoriels. Les institutions supranationales comme
la Commission européenne (art. 13 de la Convention de l’OCDE) ont aussi
voix au chapitre, ainsi que les lobbies et think tank présents autour
de l’OCDE, prêts à lui fournir études et rapports. Mais elle est aussi
un forum de négociation entre les membres.
Regardons de plus près comment a été lancé l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) qui a défrayé les chroniques alternatives il y a quelques années. Ce texte, selon l’OCDE, devait "mettre en place un cadre multilatéral pour l’investissement international, comportant des normes élevées de libéralisation et de protection de l’investissement et des procédures efficaces de règlements des différends« , via une uniformisation du droit lié aux investissements et la mise en place d’un »arbitrage international« . De l’aveu même de l’OCDE, l’AMI »vise aussi à empêcher que l’on revienne sur les acquis du vaste mouvement de libéralisation des investissements (...) et à démanteler les mesures discriminatoires à l’égard des investisseurs étrangers qui existent encore.« Il s’agit donc d’assurer aux investisseurs un »accès optimal aux marchés« ainsi qu’une »sécurité juridique optimale« c’est-à-dire une protection juridique totale desdits investissements, notamment en assurant le »libre transfert des bénéfices, des dividendes et autres produits de l’investissement". Les entreprises pouvaient donc poursuivre des États
si elle s’estimaient lésées au regard de l’AMI et des autres principes libre échangistes déjà validés, et obtenir des dédommagements. De plus, tout, y compris les services et les ressources naturelles, est libéralisé. Voilà pour les grands principes.
L’AMI est préparé depuis 1991 par deux Comités de l’OCDE composé de représentants des gouvernements des pays membres, et est négocié dans la plus grande discrétion entre 1995 et fin 1997 au sein de l’OCDE, entre les représentants des États membres. Juste avant le début de ces discussions à huis clos, l’OMC a fait passer l’Accord général sur le commerce des services (AGCS), qui libéralise très opportunément tous les secteurs de services.
L’OCDE
a publié en 2002 des documents relatifs aux négociations, qui restaient
jusqu’alors soigneusement rangés dans les tiroirs. Ceux-ci sont fort instructifs car ils donnent un aperçu de l’état d’esprit qui régnait lors desdites négociations. Le "rapport
du Comité de l’investissement des entreprises multinationales CIME et
du Comité des mouvements de capitaux et des transactions invisibles (sic.)
CMIT" de 1995, qui permet à l’OCDE d’ouvrir les discussions, est
symptomatique. Ce sont ces deux Comités qui ont préparé le projet
depuis quelques années.
Il semble que, pour la CIME et le CMIT, l’AMI soit une urgence dès 1995. L’introduction du fameux rapport commence ainsi : « Le moment est venu de négocier à l’OCDE un accord multilatéral sur l’investissement (AMI) », car, explique-t-on plus loin, " Les investisseurs étrangers peuvent encore rencontrer des obstacles, faire l’objet d’une discrimination et être vistimes d’un climat d’incertitude.(diantre, les pauvres) Les gouvernements des pays de l’OCDE et les Communautés européennes, les entreprises et les travailleurs (ceux-là même qui ont su se mobiliser pour faire cesser les discussions relatives à l’AMI) estiment important l’établissement de nouvelles règles multilatérales pour l’investissement fixant des normes élevées et instaurant un cadre équilibré et équitable pour régler les problèmes concernant l’investissement.« . Le bien fondé d’un tel texte ? Tout simplement parce que »L’investissement, en provenance ou à destination de l’étranger, est bénéfique pour la croissance économique, la productivité et la compétitivité.".
Il est consternant de lire que le syndicat des travailleurs (TUAC), s’est déclaré favorable à l’AMI, ce qui ne semble pas être le cas d’après ses communiqués. Il a cependant été consulté lors des « discussions » sur le projet.
Ce « rapport » définit le « but des négociations » qui est "d’arriver
à un accord (...) qui fixerait des normes élevées pour le traitement et
la protection des investissements (...), irait au-delà des engagements
actuels pour parvenir à un niveau élevé de libéralisation (...), aurait
un caractère contraignant (...)". Il impliquerait, de plus, des
États non-membres de l’OCDE, et dépasserait les textes déjà édictés par
l’OCDE, comme ses fameux Codes sur lesquels nous allons revenir.
La CIME et le CMIT préconisent de "poursuivre
l’analyse des nouveaux domaines de libéralisation, notamment la
circulation et l’emploi du personnel-clé, les obligations de résultat
contraignant, les privatisations, les entreprises d’État, les
monopoles, les concessions, les pratiques des sociétés et les
incitations à l’investissement« ainsi que pour ce qui touche aux »expropriations« , c’est-à-dire quand un État nationalise une entreprise, puisque dans ces cas-là l’AMI »garantirait
à l’investisseur et à son investissement un traitement juste et
équitable ainsi qu’une protection et une sécurité complètes",
cette dernière proposition semblant contradictoire avec les notions de
« justice » et d’« équité » puisque la protection et la sécurité ne
seraient assurées que pour les entreprises, pardon "les investisseurs
et les investissements« et ce, sans aucune contrepartie.
Le projet de texte consolidé rédigé par des »Groupes d’experts" et publié en 1998 reprend tout à fait les mêmes idées.
La France a fini par se retirer des négociations à l’OCDE en 1998 après une très forte mobilisation
populaire et syndicale, comme le constate l’Observateur de l’OCDE (la
revue de l’OCDE). Dans de nombreux pays, l’information a circulé et les
gens se sont ainsi mobilisés. Certains Etats ont donc fini par réclamer
une "période de consultation",
notamment des ONG... Pour la France, Jospin a immédiatement rassuré
les porteurs du projet "AMI", affirmant que l’OMC serait un très bon
cadre pour relancer cette négociation. Aujourd’hui, c’est la Commission
qui pourrait valider ou rejeter le texte pour l’ensemble des Etats
européens.
Depuis,
le grand enjeu est de faire passer l’AMI via l’OMC, dans le cadre de
l’AGCS (Accord général sur le commerce des services, entré en vigueur
juste avant les négociations portant sur l’AMI à l’OCDE).
Fin de la première partie
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