L’hémicycle, bleu comme une demi-orange ?
Rendons à Eluard ce qui appartient à Eluard : « Le mot frontière est un mot borgne. L’homme a deux yeux pour voir le monde ». En sortant du Zénith ce soir - mon premier meeting politique - j’ose croire que c’est cet esprit qui anime la création du MoDem quand ses porte-étendards disent vouloir « faire bouger les lignes ». Une véritable volonté de poser un regard différent sur le monde et la politique. Au-delà du « ni droite ni gauche » qui perdra vite toute crédibilité s’il n’est qu’un positionnement...

Quelques mots en préambule pour afficher clairement la couleur : il ne s’agit pas d’écrire un billet de propagande, mais plutôt un témoignage qui vise à ouvrir le débat sur ses doutes comme sur ses convictions.
J’ai voté Bayrou au premier tour des présidentielles. J’ai moi-même été surpris par ma déception au soir des résultats : j’y avais donc vraiment cru ! J’ai fait partie de ces « hésitants » pendant quinze jours. Courtisés de droite et de gauche avec plus ou moins de décence. Et j’ai fini par voter Royal. Non pas pour suivre aveuglément les litotes de François Bayrou. Mon TSS à moi était plutôt un Tout Sauf Ségolène, mais comment arbitrer entre la quasi-certitude d’une débandade économique et un risque démocratique ? Finalement la machine électorale UMP m’a facilité la vie. Une fois convaincu que les jeux étaient faits, j’ai pu voter Royal en espérant que réduire l’ampleur de la victoire était le meilleure chance qu’il se passe quelque chose au centre... Ce soir-là, j’ai attendu avec impatience l’allocution de l’ex-candidat centriste. Qu’allait-il faire de ma voix, de mes espoirs ?
Tf 1 ? Rien.
France 2 ? 30 secondes tronquées à la serpe.
J’ai fini par télécharger ladite intervention sur internet. Et dans la foulée, je me suis pré-inscrit à ce qui s’appelait encore maladroitement « Parti démocrate », convaincu soudain qu’on a les hommes politiques qu’on mérite, qu’il ne suffisait plus de dire : « Tous des pourris. Tous les mêmes. », qu’il fallait essayer autre chose. Voilà dans quel état d’esprit je suis allé, en cette soirée du 24 mai, m’entasser avec quelques milliers d’autres dans la chaleur étouffante du Zénith de Paris pour le lancement du nouvellement nommé « MoDem ». Au-delà du jeu de mots « branché » d’ailleurs, je trouve qu’il y a quelque chose de remarquable - si ce n’est totalement inédit - à ce que le baptême d’un parti politique se fasse, via internet, par sa base. Une dynamique puissante, comme semblent le montrer les 75 000 pré-adhésions dont je fais partie. Une dynamique qu’il va falloir très vite canaliser si on ne veut pas qu’elle se disperse. Combien sommes-nous à nous demander : « Qu’est-ce que je peux faire au-delà d’un vote ou d’un clic ? » ? Une dynamique qu’il ne faudra pas non plus décevoir car les plus grands espoirs portent les plus grandes exigences.
18 h : Entrée dans la salle. Scène vide. Deux pupitres, sur fond orange bien sûr. Et une certaine tension sous-jacente. Une inquiétude sur l’affluence ?
19 h 30 : On ouvre les rideaux à l’arrière de la salle. On peut enfin dévoiler le deuxième balcon sans crainte d’afficher des tribunes vides.
19 h 30-20 h 00 : L’attente dans une ambiance de stade de foot. Des tee-shirts oranges partout, des tentatives de « ola ». Une ferveur militante dans laquelle je ne me reconnais pas tant que ça.
20 h 00 : Le bal est lancé. Une cinquantaine de nouveaux adhérents sont propulsés sur scène et invités à expliquer leur démarche. On ressent une indéniable énergie, mais un peu trop parasitée à mon goût par une certaine idolâtrie. « Merci François Bayrou. François Bayrou nous a ouvert la voie. François Bayrou ceci. François Bayrou cela... ». Je n’ai rien contre l’homme, mais ce n’est pas lui que je suis. Ce sont des idées auxquelles j’adhère. Tout cela me semble un peu loin du projet et peut-être pas exactement à sa place dans le combat des législatives.
20 h 30 : 535 candidats. Le chiffre est lancé. Moyenne d’âge 45 ans avec 40% de femmes. Trois sortants. Un peu plus de 200 anciens et quelques 300 nouveaux venus, issus de la société civile. Qui ne sont ni des cousins, ni des frères, ni des chauffeurs, nous précise-t-on. On donne la parole à quelques vocations bien choisies : une avocate, une directrice d’établissement scolaire, un entrepreneur...
21h 00 : Les choses sérieuses commencent avec le discours de Marielle de Sarnez distribuant un bon point au gouvernement pour sa proposition d’un traité européen simplifié et deux mauvais points pour l’oubli de ses promesses sur la gestion des déficits ainsi que sur la programmation de la réforme de l’université.
Se succèdent ensuite à la tribune tous les supports du MoDem qui jouissent d’un soupçon de popularité. Difficile de cacher, difficile de ne pas sentir qu’ils sont douloureusement peu nombreux. Une Corinne Lepage assez terne. Un Jean-Luc Benhamias assez piètre orateur mais cohérent dans sa démarche et assez convaincant. Puis deux surprises intéressantes :
Une intervention de Vincent Lindon d’abord, sur un ton politiquement décalé mais profondément sincère et assez pertinent. « Pas d’oasis sans traversée du désert » clame-t-il en substance. Et il est effectivement envisageable que les 18% de François Bayrou (plutôt que les 23 qui lui auraient ouvert les portes du second tour et éventuellement de l’Elysée) aient été la meilleure chose qui pouvait arriver à sa formation politique. Les critiques selon lesquelles il manquait d’expérience ou de soutien parlementaire n’étaient sans doute pas totalement infondées. Et la surprenante dynamique qu’il a déclenchée offre aujourd’hui une formidable opportunité de construire quelque chose de nouveau. Il faudra que cet enthousiasme survive à la difficile bataille des législatives. Il faudra jouer des coudes pour trouver un espace politique et médiatique. Mais un espoir de cette nature ne saurait être négligé, malgré tous les risques que cela implique.
La seconde surprise est venue de Jean-pierre Rioux, historien sans siège à défendre ni mandat à briguer, invité à exprimer ses positions et ses interrogations sur la naissance du Mouvement démocratique (publiée le 22 mai dans un article de Libération http://www.liberation.fr/rebonds/255249.FR.php) dont on retiendra principalement que cette rencontre de volontariats pourrait rajeunir la politique et se lancer à la conquête de bien d’autres espaces en ouvrant le champ : scientifique, intellectuel, culturel et médiatique. « Une insurrection de l’intelligence dont la France a bien besoin » selon ses propres termes.
21 h 45 : Jean-marie Cavada prend la parole et chauffe la salle pour le clou de la soirée. François Bayrou monte enfin à la tribune. Le ton est sobre. Le propos construit. Il veut un mouvement citoyen. Des citoyens qui ne soient pas consommateurs mais producteurs d’idées. Il répète que le Mouvement démocrate sera un parti insoumis, dont les parlementaires voteront en leur âme et conscience. Une belle idée, mais dont il faudra certainement fixer les limites si on veut garder une cohérence de discours. Il martèle son refus de la bipolarisation qui mériterait sans doute d’être affiné par le malheureux point commun des notables de nos deux grands partis : l’habitude du pouvoir. Et dieu sait qu’en politique comme ailleurs les habitudes sont dangereuses. Sans doute même bien plus qu’ailleurs... L’ex-candidat centriste répète qu’il n’a pas d’a priori : il saura dire oui quand les décisions vont dans le bon sens et non à l’inverse. Il accorde lui aussi un bon point au gouvernement sur l’Europe, et manifeste de graves inquiétudes tant sur la « pause » - pour ne pas dire la fin - de la réduction des déficits, mais aussi bien sûr quant à la concentration des pouvoirs, leur proximité avec les grands groupes industriels et leur collusion avec les grands groupes de médias. A l’évocation de la nomination de Laurent Solly en tant que directeur général de TF1, la foule se met à huer. Mais il la fait taire avec un aplomb assez admirable. Il n’abandonne pas sa posture, même devant ses militants : les sujets graves ne souffrent pas les quolibets...
Il évoque le départ des anciens parlementaires en se refusant à critiquer les hommes. Mais il oppose les ralliements qui furent toujours le prélude des déceptions et des disparitions à la notion de rassemblement qui nécessite du courage mais reste le seul gage du succès. Il cite Malraux en 1952 quand de Gaulle faisait face à une vague de démissions de ses parlementaires : « Si un certain nombre de parlementaires vous abandonnent, c’est dommage. C’est un incident. Mais si vous abandonnez une idée, l’idée dont vous avez vécu, ce n’est pas un incident. C’est un suicide. »
Puis François Bayrou énonce, enfin, les sept principes fondamentaux du Mouvement démocrate :
Le Mouvement démocrate est un mouvement de citoyens actifs :
- Avec une charte éthique qui l’engage ;
- Pour donner un sens plein et entier à l’idée de démocratie ;
- L’action du Mouvement démocrate sera fondée sur la vérité ;
- Afin de retrouver l’enracinement intellectuel de l’action politique ;
- Le principe du Mouvement démocrate est le rassemblement ;
- Son but : la naissance et la promotion d’une génération politique nouvelle.
Tous les candidats présents dans la salle sont invités à le rejoindre sur scène. Les flashs crépitent et le zénith se vide doucement tandis que la Marseillaise est entonnée avec cœur.
Il est un peu plus de 22 h 30 et je rentre chez moi pour écrire ce témoignage que je voudrais conclure par un appel à tous ceux qui ont hésité à un moment où à un autre au cours de cette longue campagne présidentielle à voter pour François Bayrou. Et dieu sait qu’ils sont nombreux, bien plus de 7 millions !
Si vous avez hésité, c’est que vous avez eu envie d’y croire. Autrement dit un espoir, vite oublié peut-être, mais un espoir. Il y a une occasion unique aujourd’hui de construire quelque chose sur cet espoir. Il ne s’agit pas de se bercer d’illusions, mais d’essayer une méthode nouvelle, une approche nouvelle. Pour arriver à cela en revanche, il faut une structure, du temps de parole et un espace médiatique. Il faut un parti capable de canaliser cette force militante, d’encadrer sa réflexion et un bloc parlementaire pour l’exprimer.
L’enjeu de ces élections législatives est peut-être finalement moins d’assurer un contre-pouvoir immédiat au sein d’une Assemblée nationale dominée par l’UMP que de pérenniser un élan, de poser les bases de cette dynamique nouvelle.
Puisque la vérité est de mise dans ce nouveau parti, disons les choses très franchement : ce sont les voix et les élus qui assureront le financement de cet espoir de changement.1,63 € par voix et un peu plus de 44 000 € par élu. Voilà pourquoi, très pragmatiquement, je crois que je voterai démocrate le 10 juin prochain.
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