L’homme qui a vu l’ours
Faut-il réintroduire l’ours dans les Pyrénées, les vipères dans le Cantal, les moustiques dans les marais du Languedoc et la bête dans le Gévaudan ? Quel mouche a donc piqué les autorités qui ont décidé un beau jour qu’il fallait « ressusciter » notre patrimoine naturel, quitte à importer des ours bruns de l’étranger ? L’argumentaire du ministère est, de ce point de vue, éloquent, même s’il est parfois déroutant. Dire par exemple que, « en préservant l’ours brun et son habitat, nous préservons aussi de nombreuses espèces animales et végétales tout aussi importantes », fait tousser tous les spécialistes animaliers.
L’Etat nous ferait presque croire un instant que l’ours, en général, est un plantigrade herbivore qui préserve la nature des mauvaises herbes, dédaignant les moutons, le miel et les arbres fruitiers. Mais peut-être que l’ours slovène, que l’on savait nomade et carnassier, contrairement à celui des Pyrénées, est désormais « rééduqué », omnivore jusqu’à l’excès, par sa nouvelle citoyenneté. « Immigration choisie », dirait Nicolas Sarkozy.
Le même site Internet gouvernemental consacré à l’ours brun ne fait pas dans la mesure. Pour lui, c’est « d’abord pour des raisons éthiques que la sauvegarde de l’ours brun s’impose ». Tout en précisant, quelques lignes plus loin, que la survie de l’espèce dans le monde n’est pas menacée. Enfin, si l’ours slovène n’a qu’un lointain rapport génétique avec l’ours brun des Pyrénées, on fera comme si, le vrai « cousin » de ce dernier, l’ours suédois, étant vraiment trop dangereux.
La farce prend une tournure plus sournoise quand le rédacteur de la « pensée officielle » affirme que « la conservation de cette espèce répond également à une forte demande sociale »... Alors que l’on sait que les réunions de concertation sur le sujet ont surtout mis en lumière des oppositions et des boycotts massifs, à l’exception principalement de quatre communes de Haute-Garonne.
Personne n’ignore ainsi que les militants d’Arbas, si favorables à l’ours que cela en devient suspect, ne le verront jamais car leur commune est située bien trop bas dans la vallée. On peut, dès lors, s’interroger sur tant d’acharnement. D’autant que la réintégration envisagée de cinq ours ne sera jamais suffisante pour régénérer la biodiversité. Les chercheurs américains ont en effet démontré qu’il fallait au moins une cinquantaine d’individus pour qu’une population de plantigrades soit viable. Enfin, Yves Coppens et Jean-Louis Etienne, qu’on ne peut taxer d’insensibilité sur le sujet, ont déjà expliqué la vacuité du projet. Mais, foin de toute raison, l’Etat s’obstine avec aussi, de son côté, quelques grands noms, tel Hubert Reeves, nostalgique de son ours noir du Canada. Reste désormais au Conseil d’Etat le soin de trancher et d’autoriser ou non, mardi, les nostalgiques du passé à jouer, sous prétexte d’écologie, les... apprentis sorciers.
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