L’homosexualité acquise ou innée : pour une réflexion fondée sur le droit au respect de la vie privée
J’ai été désagréablement surpris par la lecture d’un article du Monde du 4 février annonçant qu’un chercheur relançait le débat sur le caractère inné ou acquis de l’homosexualité. Ce dernier défend la thèse, présentée dans la journal comme relativement nouvelle, que l’homosexualité est innée. N’ayant pas moi-même de qualification me permettant de former un jugement scientifique sur la question, je ne discuterai pas le fond des conclusions des recherches de Jacques Balthazart et des chercheurs de Liège. Je souhaite simplement interroger l’importance qui doit être accordée à ces “nouveaux” résultats dans le cadre d’une réflexion globale sur l’identité et la protection du droit à la vie privée. Selon moi, il est vain, voire contreproductif, d’entrer dans des querelles scientifiques avec des autorités religieuses, pour justifier le fait que les homosexuels ont les mêmes droits que les autres êtres humains.

Tout d’abord, les résultats des recherches qui sont présentés dans cet article ne me semblent pas nouveaux, ils corroborent tout au plus des conclusions déjà connues. Je peux citer par exemple le texte de Claude Aron publié dans le recueil collectif Bisexualité et différence des sexes (folio essais), qui reprend un numéro de la Nouvelle Revue de Psychanalyse de 1973. L’article du Monde, qui n’est qu’une reprise non-documentée d’autres sources, ne montre pas en quoi l’ouvrage de M. Balthazart relance véritablement le débat.
Mais il n’est pas utile de s’attarder sur le caractère ou non de nouveauté scientifique que représentent ces conclusions, d’autant moins que je partage l’idée de Jacques Balthazart qu’il faut favoriser l’acceptation de l’homosexualité. Au regard des bonnes intentions du chercheur, on comprend pourquoi le texte s’achève sur le fait que ces études fournissent des arguments contre les thèses vaticanes relatives à l’homosexualité, qui font reposer cette orientation sur une sorte de mauvaise foi de l’homosexuel.
Le souci est qu’il est totalement vain, et, comme je l’indiquais en introduction, contreproductif, d’entrer dans une polémique avec le Vatican sur ce point. Le savoir scientifique n’est pas toujours aussi stable qu’on l’imagine et surtout la question est peut-être plus complexe que l’alternative inné/acquis le suggère. L’article du monde en témoigne en donnant l’impression que les travaux des chercheurs de Liège permettent de « trancher la question » tout en indiquant, en toute fin d’article, que l’universitaire pense qu’il faut « dépasser le conflit stupide inné/acquis », car « tout est interaction entre les deux ». Le problème réside précisément dans la définition de ce point d’équilibre : les chercheurs semblent s’accorder, et c’était déjà le cas de Claude Aron dans l’article précédemment cité, sur l’impossibilité, en l’état actuel des connaissances - et peut-être à jamais, de définir précisément le rôle respectif de l’inné et de l’acquis dans les sources de l’homosexualité. Il est donc nécessaire de dépasser ce débat stérile. Je voudrais à ce stade développer deux points pour élargir la réflexion.
Premier point : il n’y a selon moi pas de raison d’exclure a priori le fait que l’homosexualité pourrait, pour certains individus, être considérée comme un choix, si l’on accepte l’idée que céder à une passion, ponctuelle, est un choix. A titre personnel, je pense que l’attirance envers un individu indépendamment de son sexe ou de son genre, du moment où elle se détache de l’acte de reproduction, pourrait, à condition que l’on se libère de certaines normes (hétérosexuelles) et contre-normes (produites en réaction par la communauté homosexuelle) sociales, être perçue comme l’exercice normal de la liberté individuelle, jeu subtil du libre arbitre et des passions.
Second point : pour reprendre la thèse que je soutiens dans un autre texte sur un sujet différent mais souvent associé (Les droits de l’Homme au-delà de l’identité : la question du transsexualisme sur http://ekaminski.blog.lemonde.fr/), il est peut-être des domaines qui n’appartiennent qu’à l’ordre de la croyance qui devraient être protégés en tant que tels. Je défends cette idée pour le genre et je le défends a fortiori pour l’orientation sexuelle. Ces croyances devraient être protégées comme est protégée la croyance des catholiques en un dieu, une vérité révélée et une forme déterminée de l’institution familiale. Rappelons que la liberté religieuse implique le droit à changer de religion...
Les deux points précédents me conduisent à mon argument principal : n’entrons pas dans un débat qui conduit à, pardon pour la tautologie, essentialiser les identités ! Celles-ci sont et vont être une des premières causes de tensions, sinon de conflits, dans le monde, alors qu’elles ne devraient être considérées que comme des erreurs-utiles (cf. mes précédents articles sur le sujet). Le meilleur moyen de ne pas entrer dans des querelles qui conduisent à des violences symboliques sous la forme d’imposition de croyances réciproques (qui suis-je ? pour quelle raison le suis-je ? dans quel but ?) est de protéger le droit au respect de la vie privée, à l’instar de la croyance religieuse. L’égalité des droits des homosexuels (au mariage, à l’adoption, contre les discriminations en générale) doit être défendue parce qu’ils sont des êtres humains et non parce qu’il est possible de montrer que l’homosexualité est due à une cause plutôt qu’à une autre1.
En effet, que la recherche en sciences dures ou sociales, la réflexion philosophique, prennent pour objet d’étude des croyances ne doit pas poser de problème. Cependant, faire d’une croyance un objet politique est un exercice beaucoup plus délicat. Il n’appartient pas à un régime démocratique de valider des croyances particulières, mais de s’assurer qu’elles cohabitent le mieux possible entre elles, dans le respect des droits de chacun. Et non en conformité avec la croyance de chacun.
Cet exemple de controverse malheureuse est un signe parmi d’autres au sein d’une tendance générale à l’exacerbation d’identités figées. Rappelons que les discussions sur l’identité nationale et la burqa empruntent cette même voie, fort éloignée de l’esprit des droits de l’Homme. Il est toujours plus facile, en l’absence de vision politique, de forger des solidarités factices en créant les conditions d’une confrontation à un Autre d’autant plus menaçant que le monde traverse une grande période d’incertitudes.
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