L’humiliante leçon de journalisme donnée par le président Sarkozy pendant sa conférence de presse

La jeune et fraîche journaliste, Roselyne Faivre, a cru finaud et courageux de l’interroger sur son éventuel mariage avec sa nouvelle compagne. Elle peut se flatter, la néophyte, de lui avoir offert sur un plateau l’occasion de jouer un numéro de haute voltige soigneusement préparé comme il l’a avoué à la fin de sa réponse. Mêlant ironie et gravité, il s’est brossé en quelques traits un autoportrait d’homme vertueux outragé en même temps qu’il tendait à ce journalisme d’accréditation un miroir hideux où contempler ses propres vices congénitaux.

Un homme vertueux outragé

Il s’est campé un personnage à deux vertus cardinales inattendues : l’humilité et la franchise.

- Son humilité, c’est d’être devenu président de la République et de prétendre rester dans sa vie privée, ses amours et ses plaisirs, un homme comme tout le monde qui a droit au bonheur, pas plus mais pas moins que quiconque ; il affiche des plaisirs ordinaires, Disneyland avec le fils de sa compagne et les pyramides en Égypte, en occultant tout de même soigneusement un luxe inaccessible au commun des mortels dont il veut être, palais, palaces, yacht et jets. De même « sur les questions essentielles comme l’amour  », il n’est pas non plus différent. Il souffre comme tout le monde. Évoquant son divorce en 2007, il confie dans une litote pudique que « ce ne fut pas la période la plus heureuse de (sa) vie ». On n’est pas loin de la chanson de son ami Johnny Halliday, que les gens appelaient « L’idole des jeunes » et dont ils enviaient la célébrité et le luxe sans savoir « dans la vie combien tout seul ( il était) ». Un réflexe de compassion est ici habilement stimulé.

Mais cette humilité va de pair avec un mépris sidéral qu’il voue à ses auditeurs au point d’en venir à leur apprendre des truismes triviaux qui leur auraient échappé : « (il) se lève le matin, leur assure-t-il, glacial d’ironie, et (se) couche, le soir, comme des millions de Français ». Faut-il être demeuré pour ne l’avoir pas soupçonné !

- Cet épanchement, c’est pour mieux faire croire à une franchise courageuse qui ressort d’un contraste saisissant entre sa conduite et celle de ses prédécesseurs. Il revendique une « rupture avec une tradition déplorable d’hypocrisie et de mensonge ». Peut-elle être contestée ? Avec Carla, répète-t-il, il n’a pas voulu mentir.

Mais, là encore, en prétendant ne pas juger les deux prédécesseurs sur qui, sans les nommer, il donne assez de détails croustillants pour les reconnaître, il manque aussitôt au devoir de vérité qu’il se fixe : c’est vrai qu’il ne les juge pas, il les exécute sans jugement ! L’un, dit-il, a caché sous une « chape de plomb » son voyage à Assouan en avion présidentiel avec ses deux familles. Quelqu’un peut contredire ?

Quant à l’ autre, il lui suffit d’insinuer ne pas vouloir « de photo au petit matin... glauque » pour que revienne en mémoire un fâcheux accident de voiture à l’heure du laitier au retour d’une équipée adultérine nocturne. Là encore, qui peut nier que son affichage public avec sa nouvelle compagne rompt heureusement avec cette « tradition d’hypocrisie et de mensonge » et qu’il constitue un progrès ?

Un journalisme de connivence voire d’omerta

C’est alors que les pauvres journalistes sagement assis en prennent pour leur grade, dans une flagellation mémorable.

- Car de cette hypocrisie, ils en ont été les premiers complices : « Tout le monde savait, accuse-t-il, mais personne ne parlait ! » Autrement dit, le journalisme d’accréditation est un journalisme de connivence voire d’omerta. Il le martèle à l’oie blanche qui a eu le culot de l’interroger sur sa liaison : « jamais (les journalistes) n’auraient posé (cette question) à (ses prédécesseurs) ». D’une ironie mordante dans un argument ad hominem, il les remercie de leur « confiance » pour avoir osé le faire sans risque avec lui, et, par antiphrase, dénonce leur lâcheté.

- Puis il couvre aussitôt de mépris leurs collègues qui ont osé le soupçonner de diversion en faisant connaître sa liaison lors des grèves sur les régimes spéciaux en novembre 2007 : il leur reproche leur inhumanité, leur « (éloignement) des réalités de la vie », leur ignorance des souffrances d’un divorce. Se présentant à nouveau en victime digne de compassion, il approche cette fois non plus du calvaire de Johnny mais de l’héroïsme du Christ pardonnant à ses bourreaux : il a lui aussi du sens moral à revendre. Sans aller jusqu’au pardon, ce n’est pas de la haine qu’il éprouve pour les siens, c’est pire : « de la honte pour eux  » !

- Le clou du spectacle est aussi celui qu’il leur plante au cœur. C’est un nouvel argument ad hominem : la peur de l’instrumentalisation que les journalistes allèguent à tout bout de champ pour faire croire à leur volonté d’indépendance. Afin tout de même de préserver vaille que vaille leur crédit auprès de leur public - si c’est encore possible - il feint d’attribuer à leur initiative une extorsion de photos contre son gré à Disneyland et en Égypte, quand il s’agit en fait de mises en scène soigneusement organisées par ses soins. Et il va par deux fois jusqu’à leur donner un conseil de journalisme : « Si vous avez peur d’être instrumentalisés, n’envoyez plus de photographes ! » Peut-on mieux démontrer que par cette contradiction dans la conduite une instrumentalisation volontaire des journalistes comme La Boétie parlait de « servitude volontaire » ?

Car il ne peut s’empêcher de prouver aussitôt qu’on ne lui arrache que les photos qu’il consent à donner : à propos de la date de son mariage, « Ce n’est pas le JDD (Le Journal du Dimanche) qui (la) fixera, répète-t-il. Il y a de fortes chances pour que vous l’appreniez quand ce sera déjà fait. » Autrement dit, quand vous êtes à mes basques, c’est parce que je vous ai sifflés. Quand je ne veux pas vous voir, vous ne pouvez pas m’approcher !

Ses collègues peuvent remercier « la pépette inconsciente » venue en minaudant tauréer à main nue la bête qui a feint d’être blessée ! C’est tout le journalisme d’accréditation et de connivence qui a été embroché par ses cornes, soulevé en l’air et piétiné. On serait tenté de trouver qu’il ne l’a pas volé si on ne se réjouissait pas du même coup devant un champ de ruines. Affectant d’avoir été offensé dans sa dignité, le président Sarkozy s’est offert un luxe de plus, celui de jouer l’humilité avec superbe et la franchise avec dissimulation en se payant, par-desus le marché, la tête de ceux dont il se sert quotidiennement pour propager l’image flatteuse qu’il veut donner de lui, et elle seule.

Reste à savoir comment ces malheureux journalistes vont s’en remettre après pareille humiliation. Et s’ils prenaient le président au mot et choisissaient de ne plus se laisser instrumentaliser ? Malheureusement, les contraintes drastiques qui s’exercent sur eux - dont celles des motivations de leurs employeurs - ne permettent pas de rêver.