L’impossible compromis historique ?
- C’est grave, docteur ?
- Ma bonne dame, votre fille France est en proie à une forme particulièrement virulente de fièvre qui se manifeste par des phases aiguës de délire, occasionnelles mais récurrentes.
Je recommanderais bien des bains de siège et en cas de forte poussée d’adrénaline infectieuse un traitement par jets pulsés d’eau glacée visant à ramener la température dans des limites acceptables…
- Merci, docteur…
Dans ce contexte, il pourrait sembler extravagant de rechercher des solutions politiques et pourtant l’exploration du passé et de ses œuvres nous amène à nous souvenir d’un concept politique dont l’intelligence n’a été démentie que par les félons qui l’ont mis en chantier en sacrifiant l’objectif à un opportunisme de bas-étage, à savoir le fameux Compromis historique théorisé par le philosophe communiste italien Antonio Gramsci.
Dans l’Italie pré-mussolinienne de 1914 puis carrément fasciste qui lui coûta la prison, Antonio Gramsci s’est posé la question du pouvoir et d’abord de son partage par ceux dont il se sentait en charge, pour faire court il sentit la nécessité de l’alliance entre le prolétariat du Nord, les ouvriers de l’industrie, et les masses méridionales essentiellement des journaliers agricoles.
La révolution devenue impossible, Mussolini avait pris les devants, restait à se doter des armes de la persuasion à une époque où l’aristocratie de cour, de plume, les milieux d’affaires et la grande industrie sans compter les latifundiaires, héritiers de la noblesse du XIXe étaient tout entiers acquis au mirage fasciste dont l’organisation corporatiste donc verticale de la société ne mettait pas en danger l’étendue de leurs privilèges pour peu qu'ils se pliassent aux caprices du Duce.
Il fallait convaincre les milieux dirigeants ( la superstructure de l’organisation sociale de l’état ) de la nécessité historique de partager le pouvoir avec les gens de peu, immensément plus nombreux mais en déficit d’organisation et malléables aux sirènes de la propagande bourgeoise, d’où le lien avec l’idéologie au sens noble : c’est le fameux bloc historique.
J’ai évidemment conscience d’avoir schématisé à l’excès et je m’en excuse auprès des puristes.
Le compromis historique est resté à l’agenda du parti communiste italien ( PCI ) jusqu’à l’opération Mains propres qui mit en miettes le système politique italien fait d’arrangements obscènes entre le parti socialiste et la démocratie chrétienne plus quelques autres formations satellitaires sans que fût sinon fort rarement présent le sens de l’état : sur toute autre considération prévalait un esprit de prévarication bien huilé.
Cependant en se précipitant pour partager le pouvoir avec les débris des formations adverses à qui il lançait des bouées, le PCI a sacrifié son objectif, jusqu’à son nom pour se couler dans le moule du libéralisme économique.
Si bien et si profondément d’ailleurs qu’il faut désormais une loupe fort grossissante pour déceler les différences programmatiques entre la Droite ex-berlusconienne et ce qu’il est convenu d’appeler la Gauche de Renzi ( mais avant lui de Romano Prodi ou encore du fossoyeur du PCI D’Alema ). D’où les spectaculaires résultats électoraux d’improbables mouvements comme le mouvement cinq étoiles !
A la décharge des dirigeants communistes d’alors, on peut avancer que le modèle communiste - qui n’en était pas un – venait de s’effondrer et qu’une opération marketing était difficilement évitable.
Alors pourquoi est-ce que je reviens sur un concept un peu daté et qui a été dévoyé ?
Parce que aujourd’hui en France, l’avenir semble de plus en plus bouché par la perspective d’une intégration de plus en plus poussée dans une U.E qui bien qu’elle aille à vau l’eau tire curieusement encore une grande force de ses faillites successives, la force de l’inertie, sans doute ?
Le temps est venu où il faut tout faire pour arrêter l’irréversible, pour que demain ou après-demain le retour au rêve de France ne soit pas perçu comme une lubie saugrenue au même titre que celles des rêveurs qui voudraient restaurer dans leurs droits régaliens le Duché de Bretagne ou le comté de Flandre.
Je ne suis pas loin de penser que le courant souverainiste est important en France à Droite mais aussi dans une partie importante de la Gauche et qu’il est même peut-être majoritaire dans le pays mais il est éclaté en différentes chapelles ou partis.
Le compromis historique devrait s’articuler sur ce qui réunit toutes ces personnes : la volonté de restaurer la France dans ses droits régaliens dont celui essentiel de battre monnaie car il ne peut y avoir d'indépendance avec une monnaie commune, de lui rendre son autonomie décisionnelle avec la capacité de planifier son avenir industriel sans être dépendante d’un corsetage budgétaire inepte et contre-productif ( c’est le cas de l’écrire ) imposé d'ailleurs, d’engager des investissements d’utilité publique en faisant appel à l’épargne populaire et en la rémunérant, en un mot de lui rendre la maîtrise de son espace vital sans avoir de comptes à rendre à un suzerain, fût-il informel, évanescent.
Cela s’appelle tout bêtement l’indépendance nationale et les éléments de ce programme devraient pouvoir dans l’idéal former la base d’une plate-forme politique commune.
Je pense que c’est plus ou moins la position de Jacques Sapir et de quelques autres économistes et sociologues à l'écoute du peuple de France et à la recherche de solutions.
Le Brexit a démontré en Grande Bretagne que l'impossible était possible et en plus aucune des calamités prédites par les opposants ne s’est produite.
La prochaine crise financière qui se profile pourra difficilement être mise au débit des Europhobes britanniques même si la tentation sera grande chez les dirigeants des autres pays de voiler leur pusillanimité et leur incompétence avec ce prétexte.
La principale difficulté à la mise en œuvre de ce compromis – outre le facteur déterminant de l’ego surdimensionné de certaines personnalités politiques peu taillées pour le costume d’hommes d’état – réside dans l’attitude du principal parti souverainiste, le FN ou quel que sera son nom futur, dont le racisme est la clef de voûte ( même s’il se pare des oripeaux de l’islamophobie ).
Ce que la politique devrait commander, l’éthique le refuse.
L’indépendance de la France ne peut nous conduire à restaurer la France des catacombes et à cet égard le spectacle affligeant donné par la télévision publique des participants à la fête du FN à Brachay ( Càvous France 5 du 5 septembre ) est suffisamment édifiant et consternant, une vraie cour des Miracles, pour se défier du modèle porté par ce parti.
Je ne suis pas dupe non plus, je sais que le montage a été visiblement fait pour montrer une image dégradante des militants frontistes mais cela laisse une impression dont les dirigeants frontistes sont dans l’impossibilité de se démarquer sans manquer de respect à ces militants.
Alors nous sommes devant la quadrature du cercle : le potentiel existe de la restauration d'une France indépendante, les ingrédients sont là mais la crainte existe que le remède soit pire que le mal et l’on attendra une meilleure conjoncture.
Quand on acceptera de voir la crise identitaire pour ce qu’elle est vraiment : le fait que le pays n’a plus aucune marge de manœuvre ( même si certains prétendent être encore en capacité d’agir sur les causes ) car là réside sa perte d'identité véritable et quand on se rendra compte que pour garder un semblant de débat politique on est contraint d’agiter des leurres.
En raison de son poids électoral et quelles que soient les motivations très diverses voire contradictoires qui concourent à son succès électoral, le sursaut ne peut venir que du parti souverainiste dominant.
Mais celui-ci préfère continuer pour le moment à capitaliser sur les peurs, les frustrations, le racisme endémique plutôt que de voir la réalité nouvelle de la France, de s’en saisir et d’en faire un instrument de progrès.
Alors comme sœur Anne on ne voit rien venir...
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