L’indispensable restauration du langage
Quand des journalistes corroborent la version de "l'assassinat" de Clément Méric ils se rendent odieux.
Mais ils n'est pas certain que tous en soient conscients. Les plus jeunes ont peut-être très réellement cru qu'il leur fallait simplement répéter, dans ce cas-là, ce que des profs de la génération précédente leur avaient enseigné.
Ils ont peut-être même reçu cet enseignement dans la prestigieuse école supérieure où l'on apprend "la science politique".
Le langage médiatique est presqu'officiellement devenu le langage politique militant, fut-il délibérément mensonger, et je crains que ce soit la "Gauche" qui, dans la France de ces dernières décennies, a fait le plus pour qu'il en soit ainsi.
Elle a même pris des initiatives (prononcé des discours, édité des livres, créé des sites Internet) pour expliquer que les mots ont un sens et que… c'est désormais le sens déformé qu'il faut utiliser dans le monde présent et à venir.
Bien souvent les étudiants de la dernière génération, futurs journalistes ou eux-mêmes futurs enseignants, ou futurs sociologues, ou futurs magistrats… ne savent plus ce que parler veut dire, ou pensent en toute bonne conscience que c'est la même chose que mentir quand c'est profitable.
C'est même le langage décrivant les réalités faisant obstacle aux nouveaux domaines de militance de "la Gauche" qui est devenu le langage à enseigner dès le plus jeune âge. Et c'est ainsi que le Ministre de l'Education Nationale croit utile de "déconstruire" dès l'école primaire les "stéréotypes" qui font obstacle à la très moderniste théorie des genres, promue par des intellectuels commençant à s'ennuyer dans les vieux concepts de la Gauche et du Féminisme d'hier (1)
J'ai récemment donné, à la suite d'un article de rosemar (2) deux exemples de déformation du sens des mots pour les rendre "performatifs", en l'occurrence pour les faire servir une mauvaise cause :
- la destruction du mariage et son remplacement par un "mariage" au sens presque contraire, à partir de l'utilisation devenue courante d'un oxymore employé comme un mot décrivant une réalité, le mot homoparentalité.
- la déformation délibérée et manifeste, par Caroline Fourest, du mot agression.
Cette intellectuelle d'un nouveau genre a joué un très grand rôle dans la déformation du sens des mots - et dans l'adoption par ses collègues du sens déformé - mais il est fort possible que, dans le pire des cas, c'est avec une réelle bonne intention qu'elle a contribué à imposer un énorme mensonge, celui qui fait maintenant le plus de mal en France depuis des années.
C'était en effet à une époque où, encore peu connue, elle avait fait preuve d'un réel courage non-conformiste en dénonçant, après la première réunion de l'ONU sur les Droits de l'homme à Durban, l'odieuse tentative qui y avait été faite de faire passer Israël pour le pays le plus responsable de violations des Droits humains.
Elle avait ensuite - pour compenser et se faire accepter malgré tout des islamistes pacifiques ? - demandé qu'on évite d'utiliser le mot islamophobie, pourtant parfaitement clair en langue française … parce que l'ayatollah Khomeini l'avait promu avec de très mauvaises intentions !
Elle ne semble toujours pas s'être rendu compte qu'elle avait ainsi contribué à banaliser en France l'une des formes les plus pernicieuses de la paresse intellectuelle et de la lâcheté politique : le mot islamophobie est désormais systématiquement interprété comme étant porteur de haine, de racisme, de xénophobie, et c'est ignoble. (3)
Il est désormais interdit, tout simplement, de chercher à savoir si, et comprendre pourquoi, l'islam fait des ravages en France, en Europe et partout dans le monde.
La Gauche, cependant, n'a pas tous les torts
Etant moi-même de gauche depuis toujours je mets le plus souvent des guillemets quand je parle de la Gauche depuis longtemps dominante, et selon moi en pleine dérive, qu'elle soit extrême ou pas. Je vais cesser de le faire, d'une part parce que ça me fatigue et d'autre part parce que mon ordinateur n'arrête pas de m'embêter quand je frappe des guillemets.
Mais je voudrais cependant dire ici qu'il faut accorder au moins à la Gauche cette bien réelle "compréhension sinon excuse" à ses tricheries langagières, à ses fuites, à son manque de courage : l'économisme mondialisé (ou le libéralisme capitaliste mondialisé, comme on voudra) a créé une situation planétaire d'une gravité sans précédent.
Pour appuyer cette affirmation je voudrais prendre encore un mot récemment utilisé dans un but performatif. Le Président François Hollande a manifesté, de différentes manières, sa volonté de rendre le pays plus compétitif dans le but de "diminuer le chômage". On a approuvé, ou douté de la volonté réelle, ou estimé que les moyens n'étaient pas appropriés, qu'ils étaient insuffisants, etc… mais on n'a guère relevé ce qui me semble le plus évident : plus de compétitivité ne diminue pas le chômage mais l'augmente.
Bien sûr la compétitivité est en soi une vraie valeur. Il vaut mieux être brillant dans son métier, vif, volontaire, lucide, entreprenant, courageux, productif, "gagneur"… plutôt que maladroit, incompétent, mou, paresseux, démissionnaire, "perdant"… Mais qui ne voit qu'aujourd'hui le plus compétitif, dans une entreprise industrielle comme dans une société de services ou dans une banque, est celui qui sait et ose supprimer les emplois peu productifs, qui sait et ose automatiser et remplacer les hommes par des machines, délocaliser et faire faire le travail par des travailleurs moins payés ?
Les travailleurs et leurs syndicats s'indignent, à juste titre, quand des entreprises licencient et ferment des usines et des bureaux alors qu'elles font des bénéfices, mais c'est parce qu'elles ferment les usines et licencient qu'elles font des bénéfices et survivent, restent compétitives alors que d'autres meurent.
Ce qu'il faut voir c'est que, dans le monde tel qu'il fonctionne, c'est-à-dire avec les règles stupides et révoltantes que, en Europe par exemple, il s'est donné à Maastricht (soumission aux lois du marché, interdiction de tout protectionnisme, ouverture des frontières et libre circulation des individus…) ce sont les plus compétitifs (individus, équipes, entreprises, pays, ensembles de pays…) qui s'en sortiront le moins mal, garderont leur emploi, leur entreprise... au moins pour un certain temps, mais en augmentant toujours plus le chômage et en aggravant toujours plus la situation des plus déshérités.
Surtout si, en plus, on prend conscience que, pour que la simple survie sur terre reste possible, la croissance de la production et de la consommation globales ne doit pas être un objectif mais que c'est au contraire leur décroissance qui doit être visée, et rapidement mise en application.
Oui, situation mondiale plus difficile que jamais. Mais à laquelle ce ne peut pas être la Droite qui apportera une solution car, par nature, la situation des plus déshérités, la Droite s'en fout, ça ne l'a jamais empêchée de dormir !
Je ne vois pas comment la Gauche (l'ensemble des Gauches, françaises, européennes et mondiales) va entreprendre les radicales révolutions indispensables à la survie de l'espèce humaine dans la paix, la solidarité, la priorité aux plus démunis mais, ce qui me paraît certain, c'est que ça ne pourra pas se faire sans que l'économisme soit mis à bas, sans que ses actuels serviteurs cessent enfin d'imposer que les hommes restent à son service.
Pour rechercher les moyens de mettre enfin l'économie au service des hommes nous avons au moins, en France, un trésor qu'il faut cesser de négliger, de gaspiller, de saccager. Nous avons une langue qui permet de tout dire avec la plus grande exactitude et la plus grande honnêteté.
Albert Camus disait que "mal nommer les choses c'est ajouter au malheur du monde". Il aurait pu ajouter - peut-être l'a-t-il fait, je ne connais pas le contexte - que les mal nommer volontairement c'est ajouter volontairement du malheur dans le monde.
Il aurait pu ajouter encore que "bien nommer les choses, c'est se donner les plus grandes chances de pouvoir faire disparaître le malheur du monde".
Il faut arrêter de suivre les tricheurs du langage qui, au gouvernement, dans les partis, les religions, les écoles, les médias (sites Internet de libre expression compris) ne font que conforter égoïstement des positions personnelles ou de groupes en empêchant les peuples de chercher les vraies solutions - forcément révolutionnaires mais au bon sens du terme - à la dramatique situation dans laquelle l'économisme a plongé l'humanité toute entière.
(2) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/mourir-pour-des-idees-136942
(les deux exemples sont détaillés dans mes commentaires du 10 juin à 23 h et du 11 à 16 h 58)
(3) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/lettre-ouverte-a-l-ambassadeur-des-82314
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