L’injustice du talent
Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, la droite et la gauche, vont
s’affronter le 2 mai sur les écrans de télévision, au cours d’un débat
qui fera sans doute un record d’audience.
Sera-ce un débat de rêve, tel que le citoyen le plus exigeant et le moins démagogue pourrait le souhaiter ? Je n’en sais rien.
Entre
la personnalité et le projet, il y a, peut-être, le talent. Pour la
première, les psychologues ont déjà pu s’en donner à coeur joie. Pour
le second, les analystes politiques continueront d’effectuer leur
travail et noteront scrupuleusement les tendances lourdes, les
variations et les constantes.
Mais pour le talent, qui s’en occupe à
l’heure actuelle ? Qui ose en dire un mot ? Pourquoi cette retenue,
cette réserve ? Pourtant elles sont essentielles, cette technique et
cette disposition qui constituent la meilleure passerelle possible
entre l’être et son message. Je devine qu’évoquer le talent dans une
campagne présidentielle peut paraître insultant ou réactionnaire, une
offense à la gauche ou une déviation de droite.
Pourtant, le talent
s’est imposé et s’impose comme un partenaire incontournable du débat
politique. Cette réflexion guère originale m’est venue en lisant les
doléances des candidats défaits, notamment à l’extrême gauche, et en
rapprochant les deux succès incontestables, sur le plan de la forme, de
ce premier tour. Ceux de Nicolas Sarkozy et d’Olivier Besancenot.
Lorsque
Marie-George Buffet ou José Bové cherchent désespérément les raisons à
mon sens de leur bienfaisant fiasco, notamment dans Libération, ils
mentionnent le vote utile, l’inégalité médiatique ou la diversité de
l’offre altermondialiste mais oublient à dessein le principal, sinon
leur absence de talent, du moins leur faible aptitude à l’expression et
à l’incarnation drue, charnelle et sensible de leur parole dans
l’espace.
Ce n’est pas tout que de savoir parler avec classicisme et
dans un bon français. Les improvisations et les mots d’esprit de
Philippe de Villiers ont semblé être préparés de si loin et de si
longue date qu’ils perdaient l’impact que l’orateur prétendait leur
donner. Lorsque tel ou telle énonçait avec une redoutable platitude un
mensonge ou une absurdité, ceux-ci choquaient parce qu’aucun élan
intime, aucune grâce - innée, acquise ou mixte - ne les embellissait,
ne les transcendait, pour en rendre l’écoute acceptable même pour
l’auditeur le plus rétif au fond de cette argumentation.
Si Olivier
Besancenot a dominé à la fois l’extrême gauche, les écologistes, le
sympathique Nihous ou la faconde glaçante d’un Schivardi, ce n’est pas
que son projet était meilleur que le leur - il faisait froid dans
l’esprit, notamment avec cette coupure scandaleuse de la France en deux
: nos vies et leurs profits ! - mais parce que le talent, cette
étincelle qu’aucune bureaucratie ne peut éteindre, qu’aucune lutte des
classes ne peut expliquer et aucune révolution abolir, irriguait ce que
sa personne avait à dire, ce que le militant désirait transmettre.
De
l’autre côté, si Nicolas Sarkozy a pris largement le dessus sur ses
trois adversaires principaux, c’est d’abord, et peut-être même
surtout, parce que la différence s’est faite sur une agilité
intellectuelle, sur une dialectique, sur une capacité à rebondir sur ce
qui devait déstabiliser, sur une aptitude à rendre le sulfureux banal,
voire évident, sur un ton qui mêlait intimement la passion de
convaincre et la densité forte du langage.
Ce ne sont pas seulement
les facettes d’un talent d’avocat. Si Nicolas Sarkozy l’a été, Olivier
Besancenot a abordé un autre chemin professionnel. Qu’on le veuille ou
non, elle est là, la scandaleuse inégalité d’une campagne. C’est la
dévastatrice inégalité des dons, des subjectivités ennuyeuses ou "qui
ont de la présence", comme on le dirait d’un acteur. Des paroles
existent quand d’autres coulent dans l’indifférence. Le talent, c’est
ce qui vient bousculer avec un total arbitraire la vanité un tantinet
compassée des justes causes ou conforter les argumentations déjà les
plus solides. Aucun Conseil constitutionnel, aucun Conseil supérieur de
l’audiovisuel n’y peut rien. C’est l’irruption de la nature dans la
démocratie et de la royauté en République.
Le talent est injuste, le
talent est élitiste. Olivier Besancenot, vous avez quelque chose en
vous qui ne ressemble pas à votre idéologie. Une part d’inventivité
libre, un "je" pour une fois délesté heureusement du "nous", un singulier
échappant à toutes les séductions trop sérieuses du pluriel. Nicolas
Sarkozy, vous savez depuis longtemps que vous possédez ce don et ce
souffle qui anime. L’essentiel est que vous ne le sachiez pas trop et
que ceux qui parlent à votre place ne nous découragent pas. Le talent
n’est pas forcément contagieux. Il vient rappeler à ceux qui pourraient
en douter que tout le monde ne se vaut pas, qu’il y a des miracles et
des pesanteurs, quelques élus et beaucoup de recalés.
Nicolas Sarkozy, Olivier Besancenot, un rêve de débat. J’aurais voulu être au premier rang.
Le 2 mai, nous aurons enfin un débat. C’est déjà beaucoup.
37 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON