L’Islande, après la crise, l’impasse (réponse à Kevin)
Réponse à l'article de Kevin sur le "beau temps" islandais... loin du beau temps, l'orage menace d'éclater et l'impasse s'est installée en Islande dans tous les rouages, qu'ils soient de l'initiative de la Constituante, à propos du chomage ou encore du surendettement du pays et de ses habitants à cause de la crise... la réalité confrontée aux visions...

Crise économique, crise sociale, crise politique, crise financière, crise... l'Islande est devenue l'avatar d'un mot, comme un symbole, étendard que l'on brandirait sur les terres de la fin d'un libéralisme excessif et fini. Mais l'on voit naître sur le web, notamment "engagé", une « Islande Mania », qui ferait de ce pays le grand vainqueur de l'après-crise, le pourfendeur du libéralisme, le moteur de la renaissance démocratique. L'Islande devient alors pour certains le symbole de la fierté retrouvée dans des temps sombres. Et un rédacteur ici présent, Kévin, a voulu ainsi rappelé ce credo d'une Islande placée sous le "beau temps » des lendemains qui chantent...
Le lyrisme des descriptions d'une Islande des années 40' tout comme le retour sur l'historicité du parlement islandais du haut Moyen-âge n'a jamais répondu à des réalités et encore moins à la situation actuelle de l'Islande. Vous êtes revenus, Kevin, sur la crise, d'une façon trop rapide. Vous connaissez l'Islande surement mieux que bien des commentateurs ici et que moi. Je n'ai pour ma part pas visité cette terre emblématique par son caractère comme par ses paysages et son histoire, et j'ose le signaler en premier lieu de mon propos.
Dans votre petit texte, vous avez signalé davantage quelques morceaux d'histoire que de réalités économiques et sociales ou encore politiques dans laquelle est aujourd'hui empêtrée l'Islande. Et lorsque l'on parle de crise, il faut parler de ces points et des faits. L'Islande, vous le rappelez, ne sera jamais une grande puissance ni un acteur de poids. Mais surtout, l'Islande n'est pas sortie de la crise. Les graves séismes financiers et économiques qu'a subis l'île nordique n'étaient qu'une entrée en matière, bien triste. Loin du beau temps, l’orage menace toujours d’éclater.
Le problème est tel qu'aujourd'hui, tout ce qui aurait pu faire espérer s'effondre ou s'effrite. Et là parlons réalités. Revenons sur ce qu'aime le web, la Démocratie Islandaise qui réécrirait sa constitution. L'idée est belle, la volonté est claire, les résultats des échecs. Loin des mobilisations de votes pour dire non au remboursement par l’Islande des pertes des clients britanniques et néerlandais de la banque Icesave, ce fut seulement 36 % de participation pour l’élection de 25 élus qui devaient réécrire la Constitution de 1944 qui aurait du être le pendant islandais de la Constituante française de 1789… Et même aux candidatures, pour une population de plus de 300 000 habitants, seules 522 personnes (de plus de 18 ans et ayant été soutenues par plus de 30 personnes) avaient répondu présentes. La suite est peu mise en avant par les médias dits du « mainstream » comme de « l’alter-info’ » : seuls quelques milliers d’islandais suivent le processus et les décisions et propositions de l’Assemblée Constituante. Certains à Reykjavik osent même dire que cette Constituante du 27 novembre 2010 n’était qu’un coup politique, comme une sorte de morphine donnée à une population exaspérée. Une morphine qui n’a pas pris. Et surtout, rien à propos de la Cour suprême qui dirige en vérité le pays et qui elle n’a rien à craindre de l’assemblée constituante ni du gouvernement actuel dont certains membres ont des alliés à la Cour.
Economiquement et socialement, le pays s’essouffle et pourrait agoniser une nouvelle fois. La machine à dévaluer la couronne ne peut relancer un pays éternellement, la France le sait bien pour en avoir fait l’expérience à maintes reprises. Et que font les islandais ? Ils font des prêts… en devises étrangères ! Les islandais étaient déjà habitués au cumul d’emplois mais la situation devient intenable pour bien des jeunes entrant dans la vie active. Le 1er octobre dernier, des milliers d'islandais manifestaient bruyamment contre leur parlement pour leur demande d’alléger… leurs dettes. Car si bien des gens parlent, grâce à la perfusion financière du FMI et de la Russie (car la Russie fit un prêt à l’Islande). La jeunesse fuit vers la Scandinavie continentale, la Norvège principalement, pour y trouver des emplois, et cela n’agit que peu sur le taux de chômage qui reste au dessus de 7 %, des niveaux historiques mettant à tout moment en danger l'économie du pays. Quant à la jeunesse qui reste, elle est confrontée au sous-emploi, au temps partiel qui s’envole (9 % des emplois obtenus). D’une Islande qui renaît économiquement, la réalité est toute autre comme vous pouvez le constater.
Ne parlons pas (en fait si) des banques qui ne feraient plus de dérives folles avec la fin de l’ultra-libéralisme qu’a connu le pays. Les nationalisations de 2009 sont bien loin avec les grands discours qui les accompagnaient. Les banques maîtrisées en Islande avec le plan du gouvernement Sigurdsdottir ? La fin de l’ultra-libéralisme dans l’île ? Pas de sottises, la banque Arion banki a renoué avec les bénéfices et a mis à la porte des dizaines d’employés. Une fois encore la réalité est toute autre… car l’Islande ne pourrait survivre économiquement qu’avec la chasse à la baleine et la pêche redéveloppée ou avec ses exportations technologiques ou d’aluminium. Le pouvoir bancaire le sait et reviendra avec ses affres sur un pays qui a besoin de se redresser mais qui pourrait le faire une nouvelle fois par ce qui l’a pourtant mené au chaos.
Et enfin, l’affaire Icesave, qui devrait passer par la Haye et dont beaucoup d’analystes pensent que l’Etat islandais, qui avait déjà demandé à deux reprises par référendum à son peuple s’il voulait payer plus de 3,5 milliards d’€ pour les clients de la banque effondrée, sera mis en accusation pour non respect des normes financières, donnant raison aux clients britanniques et néerlandais qui devraient finalement obtenir ces 3,5 milliards d’€. D’où l’Etat islandais les sortira ? L’avenir nous le dira. D’ailleurs, les clients ont assuré que si La Haye ne leur donnait pas raison, ils poursuivraient leurs demandes.
L’Islande connaîtrait donc le beau temps selon Kevin et certains observateurs, de tous milieux. L’optimisme presque naïf n’a jamais aidé et l’on voit qu’ici on vient même nous parler d’un « bilan positif » jugé à chaud sans recul. Je suis bien triste de le dire, mais les islandais et les islandaises pourraient bien à terme devoir faire une vraie révolution, contrairement à celle qu’internet a voulu voir dans leur pays, car la crise sociale, économique, politique et financière n’est pas finie et pourrait même exploser à nouveau si il y avait convergences de tous ces problèmes à terme. Plus que jamais l’Islande est dans l’impasse. Et si cette impasse est une possible « solution » (non transposable à la Grèce…) selon Kevin, il faudra encore chercher je le crois bien, des solutions…
Cédric Labrousse
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