L’UE en 2027 : fédération, empire ou curiosité historique ? Ou le fabuleux destin de la « démocratie cosmopolite »
La seule certitude concernant l’avenir de l’Union Européenne, c’est que le doute s’est installé dans les esprits des citoyens des états membres.
Même si les deux phénomènes obéissent à des motivations très différentes, le référendum britannique sur la sortie de l’UE et le mouvement catalan pour l’indépendance sont les éléments visibles révélateurs d’un mycélium nationaliste souterrain profond ; il ne suffit pas de cueillir les champignons qui apparaissent en surface pour que la vitalité de l’organisme souterrain soit un tant soit peu affecté.
Les processus qui ont mené à la victoire du « brexit » en juin 2016 et l'exacerbation du sentiment séparatiste catalan sont des indicateurs sur les limites objectives de l'utopie d'une unité européenne.
Pour les observateurs myopes dont les performances visuelles se limitent à un champ étroit et rapproché, l’avenir le plus probable de l'Europe serait un super-état néolibéral « démocratique » dirigé conjointement par Berlin et Bruxelles. Et en effet, après avoir fait main basse sur le pouvoir économique (finance, industrie et commerce), l'élite européenne travaille dur depuis longtemps pour que le pouvoir politique soit transféré des gouvernements nationaux à une super bureaucratie basée à Bruxelles, un effort permanent dans lequel Berlin joue le rôle de la locomotive et Paris celui du tender, deux éléments indissociables mais d’importance inégale.
Pour ceux qui préfèrent le rêve à la réalité, il existe une alternative : les Etats-Unis d'Europe, une Europe à intégration totale et sans états-nations, l’Europe des régions imaginée par des fabulistes talentueux qui ont réussi à convaincre les plus naïfs des tribuns de la scène politique, et dont les plus touchants sont ceux qui croient à ce qu’ils disent. Le projet repose sur une autre fable à grand succès : les normes et les « valeurs » de la « démocratie » appliquées à un niveau transnational et même mondial, la « démocratie cosmopolite » (le « monde » se résumant évidemment à ce que les larbins de la presse appellent « communauté internationale »).
En tant que citoyen d'un super-État néolibéral européen, votre vie serait définitivement déterminée par deux entités déjà en place aujourd’hui : la bureaucratie administrative (le mot « politique » aura disparu du lexique officiel) basée à Bruxelles et l'hégémonie économique (non élue, évidemment), Berlin-Paris. Ils dicteront le processus d'élaboration des programmes à exécuter, tandis que les états-nations résiduels tampons situés à la périphérie de l'union seront transformés en « satellites », une zone de sécurité inconfortable protégeant le territoire sanctuarisé des raids barbares.
Une telle anticipation ne fait que développer les germes qui lèvent sous nos yeux comme le révélateur faisait apparaitre les images dans les cuves des labos-photos argentiques.
Depuis les derniers traités européens, la coopération économique entre les états membres tourne autour de principes destinés à maintenir et renforcer les intérêts des agents économiques les plus puissants et influents en écrivant les feuilles de route distribuées aux états-majors des politiques publiques locales.
Ce cynisme autrefois baptisé « Realpolitik » définit également le véritable programme de politique étrangère des autorités et des institutions de l'UE, à travers leur double approche de l'intégration et de la sécession. Ces autorité se sont opposées à la déclaration d'indépendance de la Catalogne fin octobre 2017 parce qu'elles ne souhaitent pas voir l'Espagne (un Etat membre de l'UE) divisée,. Par contre, elles ont apporté un soutien unanime en 2008 à l'indépendance du Kosovo.
Pour des observateurs dotés de capacités optiques permettant un minimum de recul et d’élargissement du champ visuel, l’Europe ne se dirige pas vers un super-état libéral « démocratique », mais vers le statut de puissance impériale reposant sur les structures d'un super-état néolibéral dans lequel la notion même de « démocratie », fût-elle réduite au simulacre actuel, aura perdu tout contenu. Il suffit de constater la manière dont les programmes de renflouement de la Grèce, de l'Irlande, du Portugal, de l'Espagne et de Chypre ont été traités pendant la crise de l'euro pour comprendre que l’utilisation de tactiques anti-démocratiques lourdes est un modèle destiné à se généraliser.
En Grèce et en Italie, les gouvernements « démocratiquement élus » ont été contraints de démissionner sous la pression des autorités de l'UE et ont été remplacés par des gouvernements technocratiques non élus.
Dans le cas de la Grèce, le ministre des finances allemand et les représentants de l'UE ont même refusé d'accepter le résultat d'un référendum. Ils exercent un contrôle direct sur l'économie, après avoir transformé le pays en une colonie débitrice sous séquestre, à la suite de mesures d'austérité brutales et un refus catégorique de restructurer la dette. Dans cet exemple, les dirigeants allemands ont la mémoire courte. En 1953, le « London Debt Agreement » a considérablement allégé la dette de l’Allemagne pour ne pas reproduire le cas de figure des années 30, mais aujourd’hui, les héritiers d’Adenauer refusent de rembourser à une Grèce étranglée financièrement un prêt estimé à des dizaines de milliards d'euros que le pays a dû consentir aux occupants nazis pendant la Seconde Guerre mondiale.
L'émergence d’ États-Unis d'Europe « démocratiques » supposerait non seulement la refonte complète de l'architecture actuelle de l'UE et de l'unité fiscale, mais aussi le développement d'un nouveau niveau de conscience politique.
Les différents peuples d'Europe devraient adopter une version cosmopolite de la démocratie qui ne soit en contradiction ni avec leurs cultures politiques nationales, ni avec l'attachement émotionnel des nations à leurs « patries ».
Il semblerait que nous ne soyons pas près d’atteindre ce stade. Nous nous identifions aux « valeurs » et à l’histoire de nos peuples et de nos nations, et pas à celles du monde entier, même si nous adhérons à des principes dits « universels ». L’idée de « démocratie cosmopolite » est une coquille vide et intemporelle. Pour qu’une « démocratie cosmopolite » fonctionne, il faudrait appliquer un ensemble de normes, de pratiques et de valeurs dans un monde qui n’aurait ni frontières, ni cultures nationales ni expériences historiques distinctes. Une telle gouvernance mondiale serait une forme de panthéisme.
Les Etats-Unis d’Amérique ont été construits non pas ex-nihilo, mais sur un territoire occupé par des peuples auxquels les envahisseurs ont dénié toute légitimité, ce qui leur a permis de considérer que l’espace disponible était vierge et d’imaginer la mythologie moderne de l’ »american dream ». Le territoire européen n’est pas vierge, et la légitimité des peuples qui l’occupent n’est contestée par personne.
Contrairement à la perception procurée par une vision myope, un regard lucide et corrigé ne peut que constater que l'UE ne se dirige actuellement ni vers une forme de fédération, ni même une confédération. Elle a une tendance « naturelle » à concentrer de plus en plus de pouvoir politique au détriment des états-nations démocratiques afin d'étendre la tyrannie du marché néolibéral au profit du capital européen et mondial.
La notion d'une Europe unie sert davantage de guide politique vers la création d'un super-état technocratique (pour rester dans l’euphémisme) plutôt que la refonte du paysage politique européen sur le modèle d'un régime démocratique fédéral.
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