La cohérence du programme de la droite
L’UMP fait passer texte sur texte pendant la session extraordinaire de cet été. Les textes sur le travail, emploi et pouvoir d’achat, celui sur le renforcement la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, celui concernant les libertés et responsabilités des universités sont déjà adoptés. Celui concernant le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs est sur les rails. L’ensemble de ces textes, traitant de sujets a priori divers, forme une cohérence idéologique que les Français qui ont adoubé le candidat UMP et lui ont offert une majorité confortable n’ont peut-être pas bien perçue.
Quelle est cette cohérence ?
Elle comporte les axes suivants :
- Individualisme : moi d’abord.
- Affirmation de la présence d’une classe aisée : des mécanismes de concentration de la richesse ;
- Mise sous pression des pauvres et des déviants : flicage et répression pour les plus précaires.
Ces axes d’une véritable politique de droite n’étonnent pas venant d’un gouvernement conservateur, mais il est bon de les expliciter enfin pour que tous ceux qui ne font pas partie de la frange la plus aisée de la population puissent comprendre l’erreur monumentale qu’ils ont faites en confiant le pouvoir à celui dont ils ont cru qu’il pourrait mieux les servir.
I : Individualisme : moi d’abord
Cette notion suinte de l’ensemble des projets de loi cités en introduction. "Je veux gagner plus d’argent et payer moins d’impôt, je veux être en sécurité, je veux la liberté d’action pour mon université, je veux pouvoir prendre le train et le métro tout le temps." À quoi on peut ajouter le débat sur carte scolaire : je veux choisir l’école de mes enfants. Ou celui sur l’immigration : je veux que les autres restent chez eux.
Ces demandes peuvent paraître légitimes. Mais elles révèlent un individualisme forcené. Car chacune des propositions précédentes peut être complétée. Je veux gagner plus d’argent même si pour cela d’autres ne travailleront pas. Je veux payer moins d’impôt même si cela signifie moins de solidarité. Je veux être en sécurité même si pour cela d’autres perdront leur liberté. Je veux la liberté d’action pour mon université même si cela doit empêcher certains de faire des études. Je veux prendre le train et le métro tout le temps même si cela doit empêcher d’autres de faire grève.
Toutes ces mesures ont en commun et pour inévitable conséquence de diminuer les solidarités et les moyens de redistribution existants. La baisse des charges sociales et des impôts, au vu des montants en jeu, ne sera probablement pas compensée par une hausse du PIB, même en gagnant un point de croissance par ailleurs. De plus, le choix de la sécurité pour soi en rognant les droits de tous est une grave erreur que Tocqueville dénonçait déjà en son temps. La liberté des universités est la porte ouverte à l’inégalité des diplômes entre universités cotées et les autres. Prendre les transports en faisant fi du droit de grève est la porte ouverte à ne plus pouvoir faire grève du tout.
Il s’agit donc bien pour ceux qui soutiennent cette politique d’accepter de restreindre leur accès aux biens collectifs (salaires indirects des cotisations, services publics financés par la collectivité) tout en espérant être parmi les individus qui sauront louvoyer dans le courant des réformes individualistes. Je gagnerai plus d’argent, je n’ai rien à me reprocher, je ferai les bonnes études, je ne fait jamais grève. Mais il faut un optimisme forcené pour penser en même temps qu’on ne sera jamais chômeur, jamais malade, jamais en difficulté financière, jamais rejeté par une école ou une université. Ou alors, il faut une sacrée confiance en soi. Confiance que confère souvent la puissance de l’argent.
Car, en effet, qui bénéficiera de toutes ces mesures ? Pour le paquet fiscal, il s’agit d’individus qui travaillent déjà, qui sont déjà propriétaires, qui possèdent déjà de l’argent à transmettre, qui sont parfois soumis à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ou encore les salariés les mieux payés qui pensent pouvoir financer leurs périodes de chômage ou de mauvaise santé par eux-mêmes. Pour la loi sur la récidive, ce sont ceux qui n’ont jamais affaire à la justice : des gens socialement insérés, sans difficultés matérielles, éduqués, et en moyenne commettant moins de délits (vols et violences en particulier). Pour la loi sur les universités, ce sont ceux qui ont accès aux meilleures écoles et universités. Il s’agit de gens qui ont un dossier favorable et qui pourront acquitter des droits d’entrée pouvant devenir élevés ainsi que les frais annexes des études (logement, transport, matériel...). Pour les transports, il s’agit de gens qui ne pensent pas devoir avoir recours à la grève, puisque le service minimum sera progressivement étendu à d’autres secteurs, comme l’a reconnu M. Mariton et comme le prévoient déjà des amendements d’élus corses en particulier. Donc plutôt des professions libérales, des commerçants, des entrepreneurs, des indépendants : ce sont les électeurs traditionnels de la droite, en moyenne.
Qui se reconnaît parmi ces individus ? Il s’agit d’une part minoritaire de la population française, très inférieure au nombre de voix portées sur le candidat UMP aux présidentielles...
II : Affirmation de la présence d’une classe aisée : des mécanismes de concentration de la richesse
C’est principalement le fait du « paquet fiscal ». Entre le bouclier fiscal et la quasi-suppression des droits de mutations (impôt sur les successions), les mécanismes de taxation de la richesse sont clairement mis à mal en faveur des plus riches. Le bouclier fiscal économisera en effet 250 millions d’euros par an aux mille familles les plus imposées, comme le relevait récemment Le Monde (citant un rapport du Sénat) tout en annihilant l’ISF, qui ne concerne que peu de contribuables. Quant aux successions, elles sont déjà exonérées, avant cette loi, dans plus de 90 % des cas, car d’un montant trop faible. Il s’agit d’exonérer un peu plus les grosses successions. Avec ce paquet fiscal, il s’agit donc bien de permettre à la frange de la population qui possède déjà les plus hauts revenus et les plus gros patrimoines d’être encore moins taxée, tout en lui permettant de transmettre à sa descendance encore plus de patrimoine. Les heureux enfants bénéficiaires de ces mannes n’en auront que moins de difficultés à débuter dans la vie ou à consolider leur patrimoine avant de le transmettre à leur tour, tout en ayant profité des conditions de vie de leur parents pour vivre une jeunesse confortable.
Ajoutons à cela que les mécanismes mis en jeu dans la suppression programmée de la carte scolaire ou l’autonomie des universités sont prévus pour permettre une meilleure reproduction de classe, les enfants des familles les plus aisées ayant suite à ces mesures encore plus de facilité à choisir les établissements les plus huppés, les mieux cotés, permettant les meilleures études avec les meilleurs résultats et l’accès aux filières les plus prestigieuses. On me rétorquera qu’il faut travailler dur pour réussir dans les meilleures filières. C’est sans doute vrai. Mais encore faut-il pouvoir y accéder avant de prétendre faire valoir sa force de travail intellectuel... L’organisation de l’éducation proposée par le gouvernement UMP va au contraire rendre encore plus difficile l’accès aux « bonnes » filières pour les enfants des classes défavorisées sociologiquement et géographiquement.
Quant aux salariés qui pensent pouvoir gagner plus d’argent en travaillant plus, ils font un bien mauvais calcul, car ils raisonnent toutes choses égales par ailleurs. Ils semblent penser qu’ils continueront à bénéficier des mêmes aides sociales, de l’école gratuite, de l’université abordable, de la santé quasi gratuite, etc. Mais les réformes en cours concernant l’école (école plus lointaine ?), la santé (franchise) ou les retraites (allongement de la durée de cotisation principalement) sont de nature à coûter cher aux salariés qui devront payer la différence de leur poche. Sans aller jusqu’à émettre l’hypothèse d’une privatisation prochaine de la Sécu et des retraites, les complémentaires risquent d’être de plus en plus coûteuses. Où est alors le bénéfice des heures sup imposées ?
Ajoutons encore une chose : travailler plus, c’est aussi risquer plus de maladie professionnelle. L’espérance de vie est déjà plus faible pour les travailleurs de niveau les moins élevés. Augmenter les amplitudes de travail ne va certainement pas aider à augmenter l’espérance de vie, quand la pénibilité reste constante et que les gains de productivité consécutifs aux 35 heures restent en place (cadences élevées acceptables quand on travaille sept heures par jour, mais pas si on travaille neuf heures par jour, par exemple). Ces conséquences prévisibles sur la santé des salariés semblent mal prises en compte par ceux qui se réjouissent d’aller gagner un peu plus à travailler plus.
De même travailler plus, ce sont des coûts en plus : frais de garde des enfants quelques heures de plus, prendre sa voiture plutôt que le bus qui ne passe pas plus tard, etc. Tout cela est-il vraiment pris en compte ? Au final, si on ajoute que des aides sociales peuvent être perdues pour cause de dépassement de seuil fiscal, il n’est pas du tout évident qu’il soit très intéressant de travailler plus !
III. Mise sous pression des pauvres et des déviants : flicage et répression pour les plus précaires
Ce volet a déjà bien été engagé par les lois Sarkozy-Perben sous le quinquennat précédent : fichiers de données biométriques, télésurveillance, extension des droits de police et de douanes, conservation des données informatiques, etc. Sous prétexte de lutter contre le terrorisme, un arsenal législatif énorme permet aujourd’hui de réprimer un très grand nombre de situations que les Français pensaient « normales » : les villes sont sous surveillance vidéo, les attroupements et manifestations sont dispersés avec encore moins de ménagement, les personnes « atypiques » sont contrôlées à vue, les squats sont évacués, les étrangers sont détenus et renvoyés dans des conditions surprenantes pour un État moderne, etc. Aujourd’hui, malgré l’arsenal existant, on nous propose de frapper plus durement encore les récidivistes et de lutter encore plus contre l’immigration.
Sans faire d’angélisme, il est évident qu’il faut apporter des réponses aux difficultés rencontrées quand les actes de délinquance surviennent ou quand les immigrés illégaux ou non se retrouvent dans des situations impossibles. Mais pourquoi uniquement réprimer ? Pourquoi ne proposer que l’emprisonnement pour les uns et l’éloignement pour les autres ? Cette volonté ne semble participer qu’à protéger le corps social de ces individus tenus pour nuisibles. Plutôt que de proposer les moyens de réinsérer et d’accueillir, on stigmatise et on exclut. Où est la logique ?
C’est la logique de gens qui ne veulent plus être dérangés par des gens différents, qui ne supportent la misère que quand elle reste dans ses ghettos, qui ne supportent les étrangers que quand ils jouent au foot pour l’équipe locale (et qu’ils font gagner la dite équipe).
La remise en cause du droit de grève procède de la même logique. Il faut que les transports (et les autres secteurs bientôt) soient le moins perturbés possible. Pourquoi ? Pour que les gens puissent aller travailler, essentiellement, et ainsi rapporter à leur employeur. Il faut que l’économie, tenue par ceux-là même qui continueront d’engranger les richesses à leur principal profit, puisse continuer de faire fructifier le capital.
Nul principe de liberté d’aller et venir ou de liberté de travailler là-dedans, mais bien la préoccupation de maximiser les taux d’utilisation de l’outil de production ou des services. Pour le plus grand bien des salariés, juré ! Et donc de leur employeur et de ses actionnaires, au passage.
Les salariés ne peuvent pas refuser de faire des heures sup, la loi actuelle a bien veillé à ne pas changer cela, malgré les promesses répétées du candidat UMP (« Travailler plus pour gagner plus, pour ceux qui le souhaitent »). Il est donc impossible de refuser des heures sup. De même qu’il sera bientôt impossible de refuser de travailler le dimanche, si l’employeur l’impose. À l’heure du précariat (l’intérim ne s’est jamais aussi bien porté), il va faire de moins en moins bon être salarié sous pression.
IV. Conclusion
La somme de tous ces textes, les premiers de l’ère Sarkozy, démontre l’incroyable cohérence de la politique proposée : favoriser ceux qui possèdent déjà la richesse, pour leur permettre de l’accroître encore plus facilement.
Il n’est pas immoral de vouloir s’enrichir, mais pas au détriment de l’équilibre social. L’objectif affiché est certes de faire augmenter la croissance (vous lisez bien : augmenter la croissance. La France n’est pas en déclin !) en permettant à ces capitaux nouvellement acquis de faire levier dans l’économie française. L’idée de base est donc de favoriser l’offre économique. Cependant, sans aucune garantie de réussite macroéconomique, les Français les plus riches continueront pourtant de s’enrichir, tout en diminuant les recettes de l’État, en déstructurant les solidarités et en mettant à bas le principe d’égalité des chances, en faisant passer l’individu avant la société.
Au-delà de cette accentuation de l’écart des richesses entre riches et pauvres, politiquement voulue par Sarkozy et l’UMP, la mise sous surveillance de l’ensemble de la société et la répression accrue des comportements déviants n’est pas de bonne augure pour ceux qui resteront sans emploi, précaire ou pauvre. Ceux-là bénéficieront moins de l’assistance publique désargentée et privée de bras (un fonctionnaire sur deux partant à la retraite ne sera pas remplacé, nous assure-t-on !) et ne pourront plus compter sur l’école républicaine pour voir leurs enfants s’en sortir. Car les meilleures écoles seront inaccessibles aux enfants des quartiers pauvres, trop mal fréquentés ou trop éloignés des « bonnes » écoles, souvent celles des centres-villes aux logements trop chers. Quant à l’université, elle risque d’accueillir encore moins d’enfants des couches dites populaires puisqu’ils réussiront encore moins dans des écoles de seconde zone et que des barrières sont mises en place lors de l’inscription (pré-choix obligatoire puis conseil d’orientation) puis lors des cursus en fac (sélection en début de mastère ?). Les enfants des familles pauvres étant par ailleurs souvent les plus criminogènes, il y a fort à parier que ce sont eux qui iront peupler les nouvelles prisons bâties par la droite pour assurer la paix sociale des plus riches d’un côté et des pas trop pauvres de l’autre.
Belle société que nous prépare cette droite décomplexée. Mais en toute cohérence idéologique et avec l’arrogance de ceux qui pensent faire ce pour quoi on les a élus. C’est d’ailleurs le plus difficile à comprendre dans ces dernières élections : comment le candidat des déjà riches a-t-il pu se faire passer pour le candidat des encore pauvres ? Comment aujourd’hui au vu des textes déjà adoptés et de ceux annoncés est-il encore possible de se faire des illusions et espérer être de ceux qui seront plus aisés dans cinq ans, si on n’est pas déjà bien doté ? Mystère.
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