La culture est (aussi) politique
Adhésion d’artistes pour tel ou tel candidat, politiciens qui écrivent tous un livre, jusqu’aux intellectuels qui dédient la majorité de leurs interventions dans une société bicéphale ; la culture serait-elle politique ?
C’est du moins ce que nous laisse penser le discours de Nicolas Sarkozy quant à la politique culturelle à venir. Depuis Malraux, culture rime inévitablement avec politique et l’on serait être politique sans pratiquer un l’art de la rhétorique (si cher à Cicéron).
Mais une semaine devant la télévision apprendra au profane que la culture n’a pas le vent en poupe en période électorale. Finkelkrau, Glucksmann, Bernard Henri-Lévy, Michel Onfray et les autres s’entretiennent sans relâche sur les grandes thématiques qui font l’actualité et prennent - parfois - parti pour l’un ou l’autre des candidats à la présidentielle. Si Aristote et Platon se déchiraient sur des concepts aussi capitaux que la liberté, si la génération des philosophes nés après Descartes - Spinoza, Leibniz ou Pascal, pour ne citer qu’eux - s’entretenait sur l’Etat autant que sur des sujets métaphysiques, la philosophie vue par sa petite lucarne télévisuelle transparaît telle un simple édito journalistique qui n’aurait d’autre poids que les commentaires des uns contre les autres.
La critique faite aux philosophes contemporains est aisée. Il est vrai qu’après le Siècle des Lumières, le temps des idéologies au XIXe siècle et la critique de celles-ci au XXe siècle, on ne peut pas en vouloir à la génération actuelle d’abandonner les concepts et les débats philosophiques à proprement parler. Mais à ce constat, s’ajoute un autre, moins élitiste peut-être : les écrivains eux-mêmes se font médiateurs d’opinions. Si l’engagement pour une grande cause existe en France depuis Voltaire et connaît son sommet avec le "J’accuse" de Zola, Philippe Sollers relie volontiers le message politique de Ségolène Royal ; quant au ralliement d’Alain Soral à Le Pen, le propos n’est pas tant idéologique qu’il ne s’assimile à la connivence de deux visions bornées et extrémistes du monde. Sans vouloir délimiter mon propos à l’écrit, des chanteurs, des cinéastes, des stars de toujours et celles d’un jour apportent leurs voix en masse au peuple silencieux des spectateurs qui applaudit ou quitte la salle.
Où est passé la littérature ? La création ? Où s’arrête l’engagement pour un Absolu, un au-delà qui dépasse la petite personne de l’artiste ou de l’intellectuel, avec ces intérêts marchands qui poussent les élites culturelles à rejoindre un camp ou un autre ? La société du spectacle engendre, effectivement, et confond la création en une marchandise et des systèmes de production qui la font marque, sous-marque, l’infime produit de consommation. "L’intellectuel de gauche" est une marque déposée avec un prestige romantique sur son rival "l’intellectuel de droite". Il en va de même pour les chanteurs et les autres. Hier encore, Roger Hanin se vantait de son communisme quasi déifié, même s’il a dit publiquement qu’il voterait Nicolas Sarkozy.
Le 4 avril 2007 dans un discours quant à ces propositions en matière culturelle, Nicolas Sarkozy tenait ce propos : "Depuis le début de la Ve République, la place et le contenu de la politique culturelle ont toujours été directement liés à l’engagement personnel du président de la République." A culture s’ajouterait ainsi irrémédiablement politique ? Laurent le Magnifique (le fameux "Prince" de Machiavel) fut le premier à comprendre que la culture était une arme politique et à l’exploiter comme telle. Celle-ci lui permettait d’accroître sa réputation tant dans les milieux éduqués que devant le peuple admiratif. Conquérir les yeux puis les coeurs afin d’obtenir un pouvoir personnel par définition et par usage est la pratique inverse de la religion. Par le mécénat, le politique de tous bords devient détenteur d’une réputation virginale, d’une spiritualité et d’une réputation honorable. Au fond, tout ce qu’il n’a pas par la compromission qu’impute son métier.
Il y a quelque temps, la religion jouait le rôle que la culture possède aujourd’hui. Elle permettait un casus belli, posait les belligérants dans un camp ou dans un autre, se voyait instrumentalisée tout en donnant une "bonne âme" à ceux qui en jouaient. Les dignitaires religieux en étaient les intercesseurs du peuple. Dans une société largement sécularisée, ce n’est guère plus les consignes de votes du curé ou du pasteur qu’écoutent les paroissiens. Les idoles ont remplacé les icônes, l’actualité parle bien plus que la spiritualité et comme nouveaux guides, nous avons les artistes et intellectuels.
La culture est, malheureusement, aussi politique. Au détriment - peut-être - de la culture elle-même.
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