La décadence positive, « dessein » de civilisation à l’ère Sarkozy
La notion de décadence positive est introduite pour décrire quelques tendances actuelles de la vie politique et médiatique.
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L’épisode Joffrin restera un événement emblématique témoignant de journalistes malmenés par le locataire de l’Elysée. Le directeur de Libération aura beau s’expliquer dans son journal, et venir maugréer à midi sur Canal + contre le piège qui lui fut tendu, le mal est fait et le grand public retiendra la superbe d’un Sarkozy humiliant cet impudent journaliste qui pourtant, avait posé une question sur le fond pour se faire ensuite blouser par un sophisme bien habile. Au vu de ce qu’on apprend, on ne peut qu’être solidaire de Joffrin et reconnaître l’inculture du président sur la notion de monarchie mais quel intérêt, les Français savent très bien que Sarkozy préfère Bigard à Debussy, Barbelivien à Goethe. Les dessous de cette affaire sont certainement plus importants. Les journalistes étrangers l’ont bien capté, ce manque de solidarité des journalistes français, percevant l’atmosphère de commedia dell’arte où le bouffon est roi et les sujets s’amusent, ricanent, subjugués par un président fessant quelques représentants de la profession. Voilà un signe de décadence. Du coup, quelques journalistes ont décidé de résister, prenant cette affaire au sérieux.
Décidément, l’année 2008 commence mal pour la santé de nos médias auxquels Sarkozy voudrait venir en aide mais qui sont pris dans une folle course, s’efforçant de suivre le rythme imposé par le président qui décidément, est le chef d’orchestre, certes plus proche d’André Rieu que de Pierre Boulez, mais chef tout de même. La vie politique retranscrite par les médias se transforme en un spectacle d’opérette sous les yeux médusés des confrères de la presse étrangère jugeant la rupture d’un mauvais œil. On les comprend, la France, anciennement gage de culture et de sérieux, riche d’un héritage historique inégalable, se met à vaciller et sombrer dans la décadence après l’Italie.
Nicolas Sarkozy a été élu sur un projet de redressement de la France et on ne pourra accuser notre président d’être responsable d’une situation où nous sommes tous comptables, surtout ceux qui tiennent les rênes des mécaniques économiques et étatiques, puis les médias qui oeuvrent en tenant les rênes du sens, de l’émotion, de l’image, de la raison, bref, une sorte de gouvernance de l’esprit public, qu’on peut orienter dans un certain sens, non sans quelques limites car chaque citoyen recèle une étincelle de bon sens, de critique et de résistance. Cette décadence, on l’a vue en œuvre de manière contrastée depuis pas mal de temps mais en 2007, les choses se sont accélérées et en 2008, ça va continuer. On parle, on diffuse au compte-gouttes, on aguiche le consommateur d’infos sur des supputations à propos de trois ouvrages consacrés à Cécilia Sarkozy où il serait question de scoops, de révélations sur le vrai caractère du président, croqué en homme à femmes, arrogant, ayant de plus fait un séjour de quelques heures au Val-de-Grâce pour soigner une angine qui n’en doutons pas, sera élevée au rang d’affaire d’Etat sur fond de transparence et de promesses du candidat sur la divulgation de son état de santé. Le président s’enrhume et la France éternue ! Pourtant, une angine ne va pas changer le cours de l’Histoire mais on sent quelques-uns à l’affût (trop tard, sujet déminé), n’ayant pas d’autre os à ronger pour exister dans cette société de chiens où aboyer est un signe de reconnaissance publique. Le Nouvel Obs a d’ailleurs chargé Claude Askolovitch de faire le tapin et attirer le chaland vers quelques délices de voyeurisme, histoire de vendre le journal, non sans le bon plaisir de lancer quelques tomates de snipper en salon en direction du président. Qui du reste n’a rien demandé et aura quelques prétextes pour fesser à nouveau nos journalistes. Un numéro de grand-guignol bien rodé. Le Nouvel Obs s’intéresse de près aux bagues offertes par Nicolas à Cécilia et Carla. Il leur manque un Georges Perec pour traiter le sujet avec une verve littéraire endiablée et faire de ces bijoux de luxe de l’or littéraire. Hélas, on en restera au niveau de la psychologie de bistrot.
Les empires en décadence se manifestent selon les uns par deux signes. Une perte du sens du réel au profit de règles formelles qui finissent par devenir de nouvelles réalités. Une perte du sens du bien public, au profit de valeurs plus immédiates et hédonistes. Mais ce qu’on doit mettre en avant, c’est que les signes de décadence ne vont pas nécessairement de pair avec l’effondrement des sociétés et des empires. Cela s’est passé à Rome, c’est certain. A une époque récente, l’empire ottoman s’est effondré à la fin du 19e siècle, sous la pression de la modernité conquérante et le vrai choc de civilisations qui se produisit, entraînant ensuite la chute de l’empire austro-hongrois et la recomposition en nations de l’Europe orientale, comme il y a actuellement une recomposition, mais mieux vaut parler de restauration ou restitution, des anciennes divisions d’avant l’Union soviétique. On ne sait pas quel poids la décadence exerce. Toujours est-il qu’alliée aux facteurs économique, Rome s’est effondrée le long des siècles pour renaître lentement au cours des siècles et que l’Ancien Régime a fait place lui aussi à une nouvelle civilisation sur fond de crise économique et politique. Mais si l’économie résiste, on aurait envie de dire que la chute n’est pas à l’ordre du jour. C’est d’ailleurs ce qu’a reconnu Nicolas Baverez qui dans une tribune donnée au Monde, affirme que nous ne sommes pas en 1929 (mais vous le saviez déjà si vous avez lu Agoravox). C’est donc l’économie qui tient l’empire et l’empire qui soigne l’économie, voilà un premier élément.
Deux signes de décadence. Une perte du sens du réel au profit de règles formelles qui finissent par devenir de nouvelles réalités. Une perte du sens du bien public, au profit de valeurs plus immédiates et hédonistes. Des exemples ? Ceux qui ont été évoqués ci-dessus. Les règles de la peopolisation, du grand-guignol, de la théâtralisation de la politique rodée au spectacle, avec une intensification qui ne met pas en déroute la société mais la maintient dans cet état de servitude médiatique bien huilée et mise en place il y a un siècle avec les méthodes de propagande. Qui cette fois ne se dérobent pas et s’affichent avec ostentation, donnant à la société cette coloration et ce piment capable de donner quelques couleurs aux ternes existences venues voir, non plus le défilé du temps de Boris Vian, mais la caravane à Louxor et le président face aux journalistes. La perte du sens du bien public et les valeurs hédonistes, elles émanent un peu du président qui du reste ne délaisse pas la gestion publique. Les plus perfectibles et faillibles se recrutent dans la cour du président et dans la cour médiatique. Les médias ont peu à peu substitué le bien critique public au divertissement public. L’hédonisme emprunte aussi la voie de ce théâtre émotionnel qui laisse de côté la raison d’Aristote pour donner la première place aux bouffons. Et la bouffonnerie, tout comme la rébellion de 68, est récupérée par le marché qui durablement, recycle et rentabilise tout ce que le monde exprime, surtout dans la sphère des manifestations immédiates et accessibles aux émotions. Et ce grand cirque ne va pas conduire à un effondrement ni à un déclin. C’est durablement installé, même si quelques trous d’air financiers et comptables se dessinent à l’horizon 2008.
Le mot de conclusion, c’est de signaler la décadence positive comme un trait de civilisation qui colle parfaitement à notre président qui en joue admirablement. Mais c’est l’issue du spectacle comme terme ayant absorbé la représentation politique. La vie citoyenne est ailleurs. Elle suit son cours à l’écart de cette décadence positive que les uns subissent et les autres contournent. Ainsi va le monde. Le jour où la décadence aura épuisé sa quantité de progrès, une nouvelle civilisation émergera.
Une précision sur cette notion de décadence positive, calquée sur celle de laïcité positive, cette dernière désignant un vœu cher au président pour intégrer le religieux dans la vie politique de manière positive, avec modération, sans excès de volontarisme. La décadence fut longtemps redoutée et contrôlée par les sociétés modernes hantées par l’idée du déclin (voir le succès d’un livre de Spengler). La décadence positive signifie une tolérance, une bienveillance, voire même une instrumentalisation et un jeu pratiqué sans qu’on sache qui en est le grand ordonnateur ; et qui se surajoute à la vie publique un peu comme la restauration rapide et autre MacDo coexistent avec la gastronomie. Autre précision sur le mot « dessein » qui ne renvoie pas à une intention profonde mais plus à une sorte de destination de la société, non pas un destin mais une orientation qui se dessine et qu’on aurait pu traduire par le néologisme « dessination ».
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