La guerre selon Poutine
Poutine n’est pas une personne ordinaire. C’est un ancien espion. Un espion en apparence sans grande envergure à l’époque où il débute dans ses fonctions. Un homme qui a joué à être réservé et modeste et dont les premières missions se seraient axées sur l’espionnage industriel. Mais qui finira quand même, justement parce qu’il n’a pas dévoilé sa véritable personnalité, par devenir chef du contre-espionnage russe sous le mandat d’Eltsine, après être entré en politique dans la ville de Saint-Petersbourg. Et qui sera ensuite nommé premier ministre fin 1999, toujours par Eltsine, ce président corrompu et alcoolique, ce dont a su profiter Poutine..
Poutine a pris l’habitude, de par ses fonctions, d’avancer masqué et de ne jamais dévoiler ses objectifs. Sa force a été, dans la Russie en déliquescence des années 90 de paraître comme un homme ordinaire, fade et sans grande envergure. Un peu comme Staline l’avait été avant lui. Un homme proche des gens et qui les comprend. Et il a donc pu se placer comme candidat à la succession d’Eltsine. Il faudrait plutôt dire que les oligarques de cette époque l’ont positionné à cette place, pensant pouvoir ensuite le manipuler facilement. Avec l’aide des chaînes de télévision, des gouverneurs et de tout l’appareil d’Etat, et alors qu’il était un parfait inconnu à cette époque, il devient président le 26 mars 2000, élu dès le premier tour. C’est dire la puissance des hommes qui à cette époque le placent au pouvoir.
Pour en arriver là, Poutine a su, dans la guerre engagée à cette époque en Tchétchénie par les forces armées russes, guerre qu’il a lui-même décidée, jouer sur le nationalisme du peuple. Il a su parler au peuple aussi avec sa fameuse réplique “On les butera jusque dans les chiottes”’, en parlant des combattants tchétchènes. On y voyait là sa réelle figure. Violent, sans état d’âme, cynique, prêt à tout, plus froid qu’un glaçon. Finalement, au vu de la popularité acquise, il a continué à utiliser cette fibre nationaliste pour avancer ses pions. Cette déclaration faisait d’ailleurs suite à l’explosion meurtrière de deux immeubles à Moscou pour laquelle on connaît aujourd’hui l’implication directe des services secrets russes, donc l’implication de Poutine. Une manoeuvre meurtrière contre son peuple pour gagner des voix aux élections présidentielles. Voilà le personnage….
Poutine n’est pas un chef d’Etat, c’est un chef de clan. Un clan issu de son cercle d’amis initiaux, amis qui lui doivent beaucoup, et de membres du FSB, les services secrets russes dont il est issu. Un clan un peu comme un clan mafieux au final. Poutine sait aussi s’entourer d’hommes et de femmes serviles et intéressés. Et la moindre incartade ne laisse guère de perspectives à ceux qui l’ont commise. On a ainsi vu disparaître ces dernières années dans d’étranges accidents un nombre croissant d’oligarques.
Il est clair désormais que la Russie s’oriente de plus en plus vers un état de type totalitaire où toutes les décisions ne sont pas prises par un parti ou une organisation démocratique mais par un seul homme, un homme en apparence élu mais dont l’élection n’est qu’une farce. Où l’opposition est devenue inexistante car bâillonnée, incarcérée, écrasée voir même éliminée. Un état où la société civile n’existe plus ou bien est tellement contrôlé et aseptisé qu’elle n’a plus aucune valeur. Un état où existe une illusion de liberté mais où en fait on doit juste approuver et obéir. Un état où la justice consiste à être assassiné quand on dérange ou quand on s’en prend aux affaires de l’homme en place.
C’est toujours au nom de ce nationalisme et de l’histoire de la Russie que Poutine a engagé les conflits suivants :
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En 1999 la Russie entre dans un second conflit avec la Tchétchénie (une action “anti-terroriste” selon lui).
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En 2008 il engage un conflit avec la Géorgie, pour le contrôle de l’Ossétie du sud. Après un accord de paix signé, sous l’égide de la France, entre la Russie et la Géorgie, Poutine reconnaît l’indépendance de l’Ossétie du Sud et renie de fait cet accord.
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En 2014, Poutine annexe la Crimée.
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En 2015, il soutient militairement le régime de Bachar El Hassad en Syrie
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En 2020, il déploie des militaires au Haut-Karabakh
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Au début 2022, il déploie des forces armées au Kazakhstan pour mater une rébellion à la demande du dirigeant de ce pays.
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Puis toujours en 2022 c’est l’intervention en Ukraine
On notera que toutes ces interventions ont lieu dans d’anciennes républiques de l’URSS. Ce qui est logique car elles jouxtent la Russie. Est-ce à dire que Poutine, par ces attaques permanentes, veut reconstituer l’ancien empire communiste ? C’est ce qu’il laisse entendre.
Comme d’habitude, on aurait tort de le croire tant le mensonge est permanent chez lui.
Finalement toutes ces interventions ont un but principal qui est plus interne qu’externe et qui est de contrôler la population russe. Car un état de guerre permanent permet de prendre des mesures d’exception, maintient le pays dans une certaine tension, accroît la cohésion du pays qui est présenté comme menacé. Cela permet au final à Poutine de renforcer son pouvoir et même de l’accroître, de déceler les opposants et d’éliminer toute concurrence. On retrouve ce même schéma dans le livre 1984 de George Orwell, où trois zones géographiques se font une guerre permanente, livre que Poutine a dû lire avec attention tant il utilise le même discours et les mêmes techniques.
Ces guerres n’ont pas non plus pour but de conquérir des territoires mais d’asservir des peuples, de les rendre vassaux de la Russie. D’exercer une influence politique, économique et stratégique dominante sur eux. De les contrôler, de les manipuler, d’en faire des marionnettes à son service. Le but est également de créer un chaos permanent. Mais un chaos maîtrisé. Car la Russie est déclinante. Du point de vue de la natalité, de sa technologie, de son économie, de la recherche scientifique, d’un point de vue militaire également. Elle n’est plus que l’ombre de sa gloire passée. Poutine s’en est bien rendu compte. Il sait que le déclin de son pays est inexorable si la trajectoire se poursuit, même s’il n’arrête pas de paraître triomphant à propos des nouvelles technologies militaires développées par son armée. Alors, il crée le chaos pour rester maître des évènements : un chaos militaire, un chaos informatique, un chaos en Afrique, un chaos dans les relations internationales, un chaos économique, un chaos dans le commerce, un chaos diplomatique. Même si cela doit ruiner son pays, il va continuer à entretenir ce chaos, à allumer des feux et des contre-feux. Exister pour lui c’est être dans le combat.
On oublie que la majeure partie de la vie de Poutine, en tant qu’espion, a été de combattre l’Occident dans l’ombre, de vouloir le rabaisser. L’échec de la Russie survenu dans les années 90 n’en a été que plus douloureux pour lui. C’était finalement comme perdre la partie, comme si toute sa vie avait été perdue et gâchée. Pour comprendre les actes de Poutine, il faut entrer dans sa tête. Car depuis toujours l’Occident est pour Poutine l’ennemi à abattre. Cet Occident de plus en plus riche, de plus en plus puissant, cet Occident égoïste, donneur de leçons et arrogant. Après lui avoir vendu son énergie, surtout à l’Allemagne, avoir ainsi enrichi la Russie et relevé le niveau de vie des russes, s’être au passage installé dans le rôle du reconstructeur, du refondateur de la Russie, Poutine a tout basculé par-dessus tête. Il suffit de l’entendre parler de l’Occident, cet Occident dégénéré selon lui, sans valeur, sans cap, sans croyance, pour se rendre compte que nous avons du souci à nous faire. Résolument tourné vers l’est, Poutine abhorre cet Occident selon lui sans morale et décadent. Mais au final, la Russie à travers Poutine n’est pas sortie du nihilisme.
Ainsi pour Nietzsche : « Nihiliste est l’homme qui juge que le monde tel qu'il est ne devrait pas être, et que le monde tel qu'il devrait être n'existe pas. De ce fait, l’existence (agir, souffrir, vouloir, sentir) n’a aucun sens : de ce fait le pathos du « en vain » est le pathos nihiliste — et une inconséquence du nihiliste ». Cela c’est le nihilisme des faibles. Poutine adopte une autre forme de nihilisme qui est celui des forts qui passe par une sorte de mue : des valeurs sont abandonnées et d'autres sont adoptées. La volonté du fort n'est pas abattue par l'absurde, mais invente de nouvelles valeurs à sa mesure. En ce sens Poutine veut réinventer le monde qui l’entoure en y incluant les anciennes valeurs conservatrices. A l’inverse du nihilisme russe originel n'admettant aucune contrainte de la société sur l'individu, et refusant tout absolu religieux, métaphysique, moral ou politique, le nihilisme de Poutine est inversé et c’est au contraire la société qui prend la place de l’individu sauf pour lui-même bien entendu. On se rend bien compte de l’utilisation du nihilisme par Poutine quand il parle de l’Ukraine qui selon lui n’existe pas et n’a jamais existé, n’est qu’une vague province de la Russie. Il raye d’une phrase l’existence d’un pays et d’un peuple.
Il a profité pendant longtemps de l’apathie des occidentaux, de leur léthargie, de leur dégoût des conflits armés après deux guerres destructrices qui se sont déroulées sur leur sol. Il s’était peu à peu habitué à leur absence de réaction. Le pire ayant été l’annexion de la Crimée. On se serait cru à l’époque des sudètes juste avant la deuxième guerre mondiale au moment où Hitler avait annexé purement et simplement une partie de la Tchécoslovaquie, voulant disait-il “libérer les allemands des Sudètes” de “l’oppression” tchécoslovaque. Une fois l’annexion faite, Hitler assurait aux britanniques et aux français une paix pour mille ans. On a vu ce qu’il en était par la suite.
Poutine ayant été trompé par ses services secrets, qui peut-être n’avait pas voulu lui révéler la réalité de la situation en Ukraine de peur de représailles, s’est engagé dans un conflit en pensant qu’un renversement rapide du régime était possible. Quant on voit la proximité culturelle et historique des russes et des ukrainiens, c’est un peu comme si Poutine avait engagé une guerre contre son propre pays. Finalement, pour Poutine la finalité de cette guerre importe peu, dès lors qu’elle entretient un certain chaos. Le but n’est plus de gagner ou de perdre mais de continuer à créer un désordre mondial, quitte à faire massacrer sa propre population. Car quand un désordre se crée, un nouvel ordre peut émerger. Et l’objectif est d’être celui qui oriente ce nouvel ordre.
Tout est donc un jeu de pouvoir et de déstabilisation créatrice.
Le peuple russe a toujours été un peuple résilient, habitué à supporter des souffrances sans fin, le pire ayant été atteint pendant la deuxième guerre mondiale. Poutine profite là encore de cet état d’esprit, de ce sentiment de devoir souffrir, d’être mal aimé, rabaissé et mis à l’écart du monde. Il ne cesse de rappeler le sacrifice fait par le peuple russe pour se libérer du nazisme. Ce n’est pas pour rien qu’il n’arrête pas de comparer les ukrainiens à des nazis. Il en appelle à la haine et à la violence. C’est chez lui sous un discours policé et convenu ce qui transparaît le plus.
Pourtant la culture russe est foisonnante et créatrice. Elle est pleine de chefs-d’oeuvre majestueux, d’auteurs fabuleux, de musiciens envoûtants, ….. Le pays en lui-même est majestueux, plein d’espace grandiose et d’une diversité foisonnante. Sa nature est grandiose, immense, presque sans fin. Le peuple russe devrait se rendre compte de toute sa richesse et finir de vouloir qu’un seul homme, soi-disant fort, décide pour lui de son destin.
Le peuple russe a en lui-même la force pour se prendre en main.
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