La Laïcité est notre affaire

Ne pas vouloir s'impliquer dans la question laïque n'est pas une option possible. C'est l'attitude contraire à celle que requiert la laïcité. La laïcité est certes un principe neutre mais elle n'est pas un principe passif. Elle est une force. Le but que poursuit cette force est de contenir et d'organiser la liberté de culte au sein de notre liberté républicaine. La laïcité est donc une force mais pas une contrainte ni une agression ni une menace pour la liberté de culte. La question philosophique est donc la suivante : comment deux forces peuvent-elles construire ensemble sans s'affronter dans la violence et la mésentente perpétuelle ? Les Chinois ont répondu à ce problème il y a des millénaires : c'est le tàijí tú.
La laïcité n'est pas un principe passif
Deux principes - la liberté de croire et la liberté républicaine laïque - animent deux forces qui doivent se concilier dans un cadre donné (notre constitution, nos lois, notre art de vivre). Mais comme le tàijí tú, où deux principes ne se contrecarrent que pour organiser la vie et le cosmos, les deux forces au sein de notre société doivent s'opposer utilement et pour le bien commun.
Comme on le voit aussi dans ce schéma chinois, il n'y a jamais de résolution parfaite et la troisième force ainsi créée est infinie. On peut en dire de même pour le nombre Pi qui, opposant le principe du carré au principe du cercle (recherche de la quadrature du cercle), est voué à n'avoir aucune résolution parfaite et définitive. Le résultat est bien une troisième force mais cette trinité s'accomplit sans cesse, sans limite. C'est 3,1415 etc. Ce n'est pas et cela ne sera jamais un trois parfait ! Et pourtant on sait quelle utilité a le nombre Pi dans les sciences et les mathématiques. Une "imperfection" (à nos yeux) est à la base d'un nombre incalculables de résolution de problèmes universels !
C'est donc une force qui n'a pas d'aboutissement définitif et qui n'accouche d'aucune vérité que l'on puisse graver d ans le marbre. L'aboutissement se vit au quotidien dans la recherche permanente de l'équilibre et la poursuite d'un horizon idéal qui est sans cesse poursuivi mais jamais atteint. Si vous voulez du figé, voyez du côté du minéral, mais dans la vie dans l'Univers, il faut savoir que c'est la force infinie qui règne. Il y a là quelque chose qui échappe un peu à notre compréhension : il y a une force qui construit sans cesse, qui sert de fondement principal à toute chose, mais qui ne proclame jamais.
Pour poursuivre la comparaison, nul ne peut se déclarer hors du cercle au sein duquel s'exprime cette force ternaire issue de l'opposition binaire mais non radicale de deux principes actifs et bénéfiques. Nul individu, nulle chose vivante, n'est en-dehors du tàijí tú. Par transposition de ce concept : nul citoyen n'est en dehors du cercle bénéfique qui organise la liberté de croire et de ne pas croire au sein de notre démocratie républicaine. Personne ne peut se déclarer hors-jeu. Le libre-arbitre a ses limites...
La laïcité est la neutralité mais elle n'est pas un principe totalement passif. Elle ne saurait être vue comme une neutralité qui n'agit pas. C'est une composante de la force qui nous englobe et dont nul ne peut se dire à l'écart. La laïcité est une force agissante qui est régie par la loi de la trinité universelle qui anime l'Univers et la Vie.
Comment animer cette force ?
La laïcité ne peut pas être le résultat brut d'une opposition frontale permanente entre la liberté religieuse et la laïcité. Bien sûr, il est des cas qui ne peuvent se résoudre que par le conflit mais alors la loi doit trancher après les débats nécessaires entre les parties concernées. Pour tout le reste, pour l'écoulement de la vie au quotidien, ce n'est pas dans l'opposition que se trouve la solution mais dans une troisième force. Où trouver une trinité efficace ?
Il n'y a pas besoin d'aller chercher bien loin. En France, un pacte a été signé en 1905. Il permet l'expression de cette troisième force qui concilie les contraires et, même, les enrichit. (Si l'on reprend ici le dessin du tàijí tú, nous voyons que la partie noire inclut un noyau blanc et la partie blanche un noyau noir)
Toute la question évidemment est dans l'usage que l'on fait de ce pacte. Pour animer une force ternaire bénéfique qui permet à tous de sortir de la lutte frontale et destructrice, nous pouvons activer les trois termes de notre devise "liberté, égalité, fraternité", qui constitue une remarquable synthèse, un véritable modèle. Ainsi, nous pouvons préserver la liberté de croire et la force de laïcité en activant ces trois dimensions et en considérant que la laïcité doit contenir une part juste de ces trois choses.
- Liberté de culte, liberté des chances (pas de discrimination, d’entrave aux droits fondamentaux), liberté d'expression (pas de censure), liberté individuelle (chaque individu - y compris chaque femme - est entièrement libre de son choix). La loi garantit le respect de ces libertés et, au besoin, sanctionne les atteintes qui leur sont portées.
- Egalité de traitement des cultes au sein de notre république.
- Fraternité : tolérance et sentiment national : nous faisons tous partie d'une seule et même communauté que nous devons défendre en faisant bloc contre l'adversité et le terrorisme sous toutes ses formes.
Autre trinité sacrée : la déclinaison en trois parties de la citoyenneté. La citoyenneté est en effet civile, économique, sociale. Il y a lieu de consolider la citoyenneté sur la base de ces trois dimensions qui sont autant de piliers pour bâtir une citoyenneté qui soit une force agissante pour la question laïque dans notre pays. Or, nous constatons qu'il existe trop d'endroits en France où les individus doivent se contenter d'une sorte de sous-citoyenneté. Il faut agir sur ce point en rétablissant les services publics et la dignité de chacun dans ces lieux.
La laïcité n'est pas une opinion
C'est ici qu'est le point le plus sensible en réalité car chacun se croit autorisé à avoir sa propre opinion de la laïcité introduite dans la constitution de notre république. Chacun donc en donne sa propre définition (le plus souvent vague dans sa définition mais radicale dans la passion qu'elle déchaîne en nos). Cela ne peut déboucher que sur des incompréhensions. Que l'on demande aux Français s'ils estiment que la laïcité est menacée, ils répondent "oui" à une forte majorité. Mais qu'on demande à chacun d'écrire en quelques mots ce qu'est pour lui la laïcité et l'on sera surpris de voir à quel point nous sommes différents et à quel point nous divergeons sur ce qu'il faut entendre par là.
En conséquence, il faut rejeter l'idée que la laïcité serait une opinion. Il n'existe qu'une laïcité. C'est celle qui est consacrée par nos grands textes de principe (Déclarations des Droits, constitution, loi de 1905). Il faut aller jusqu'au bout de cette logique et renier à quiconque (tout groupe d'individus, tout parti) le droit de se donner en apanage une définition autre de la laïcité, une définition qui n'est pas donnée par ces textes.
Ce qu'il faut rejet également c'est une conception du principe de laïcité qui serait guidée par la peur et l'ignorance. Car ce serait là une forme de soumission (soumission à nos peurs). Or, notre république a pour but, au contraire, de soustraire le citoyen aux peurs et aux formes de contraintes (venant de l'Etat ou de certaines parties de la société). Elle promeut une citoyenneté éclairée et avisée. L'éducation doit intervenir ici en amont pour mettre de libérer les citoyens de leurs peurs et de leur ignorance.
La laïcité et la question de la vérité
De même que chaque citoyen croit détenir la bonne définition de la laïcité, chacun présume qu'il détient la vérité. Mais qu'est-ce que la vérité ? Cette question n'est pas encore résolue par le philosophe. En dehors de la vérité des faits, bien sûr. Le tenant de la laïcité ne peut se prévaloir de ce principe pour opprimer autrui au nom d'une vérité supérieure. Cela vaut aussi dans le sens inverse : le croyant n'est pas supérieur à l'athée. Ni la foi ni l'athéisme ni la laïcité ne peuvent s'ériger en vérité supérieure. Enfin, la laïcité ne saurait se confondre avec l'athéisme.
Dans cette force ternaire dont j'ai parlé, ni la laïcité ni la foi ne peuvent opprimer qui que ce soit ou faire des victimes (au sens juridique du terme : préjudice sérieux avéré).
La laïcité doit être une force en action qui n'accepte aucune entorse politicienne (elle n'est pas soumise à l'électoralisme) mais aucun retrait de la part de l'Etat.
J'irai plus loin. "La laïcité n'est pas une vérité" signifie que c'est une force ternaire agissante et bénéfique à condition qu'elle n'aspire pas à s'élever comme dans le modèle du tàijí tú où deux forces s'opposent au sein d'une troisième qui les régule, les réconcilie en partie mais où jamais les principes ne cherchent l'élévation à un niveau de vérité supérieure.
Conclusion : je résume (provisoirement car le débat est ouvert pour l'échange dans les commentaires) La laïcité n'est pas une force d'opposition binaire mais une force bénéfique animée par une loi ternaire universelle qui tend à transcender les désaccords et les individualités. La laïcité n'a donc pas de définition "carrée" et définitive. Il faut veiller à ce qu'elle ne soit pas qu'une opinion et qu'elle ne s'érige pas en vérité se prétendant au-dessus de toutes les autres vérités. La laïcité est un pacte : étymologiquement une "promesse" liée au besoin de paix. La force agissante dite ternaire ne fait rien d'autre que de donner corps à cette promesse.
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