La liberté d’expression passé au crible de l’humour
Pourquoi Dieudonné a le droit de dire ce qu'il veut, peu importe ce qu'il pense !
Les médias s’agitent en ce début d’année autour de l’affaire Dieudonné. L’humoriste a finalement subit la sentence du Conseil d’Etat, plus haute juridiction française. Son spectacle, dénoncé comme haineux et comprenant, dit-on, dans sa majeure partie des propos qualifiés d’antisémites est interdit. Sa tournée est donc compromise. Dans un pas de côté, Dieudonné a annoncé avoir élaboré un nouveau spectacle retranché des saillies incriminées. Il demande de pouvoir le jouer en vue de continuer son tour de France. Rien à faire, le conseil d’Etat a maintenu l’interdiction.
Il y a selon moi trois questions à se poser :
La première, l’homme est-il antisémite ?
La deuxième, peut-on tout jouer au nom de la liberté d’expression ?
La troisième, pourquoi avoir créé une exception à la liberté d’expression ? Pourquoi, l’antisémitisme représente un tabou infranchissable.
Dieudonné est peut-être antisémite, et le flou qu’il entretient savamment sur ce sujet ne fait qu’alimenter la polémique, dont, je suis convaincu, il se délecte. Personnellement, je vois en lui un antisioniste, une personne farouchement opposée à l’état d’Israël dans sa naissance et dans sa forme actuelle, même si certaines de ses performances provocantes m'ont mis mal à l'aise (Faurisson...) et jettent le trouble sur ses intentions véritables.
Il me semble de toute façon que savoir si Dieudonné est antisémite ou pas importe peu. La vraie question étant “ses spectacles le sont-ils, et comment le déterminer ?” Car de la même manière que l’on peut être un admirateur de Louis-Ferdinand Céline, antisémite notoire, sans pour autant adhérer aux thèses défendues par l’homme, en faisant abstraction de ses positions, l’on peut aimer Dieudonné sans partager ses points de vue, à admettre que ceux-ci soient antisémites.
Cette idée renvoie à la question de la dissociation ou non de l’artiste et de son oeuvre, comme il l’est souvent fait pour l’écrivain précité ou plus proche de nous pour Bertrand Cantat, soutenu par une belle part du monde du spectacle, estimant qu’il avait purgé sa peine, qu’il pouvait continuer son métier, que l’exclure plus serait de l’acharnement... Libre à chacun ensuite de l’aimer, de se faire son opinion, d’aller le voir en concert ou d’acheter ses albums, en son âme et conscience.
Un individu ne devrait pas être réduit à certains actes qu’il a posés. Cantat ne devrait pas être défini que comme un meurtrier. Tout homme violent qu’il ait été, il n’en reste pas moins un musicien talentueux. Dieudonné ne devrait pas être perçu que comme un antisémite, si toutefois l’on postule qu’il l’est. Un facette de la personne ne peut occulter toutes les autres. Il faut donc, à mon sens, bien distinguer la création de son auteur, jusqu’à un certain seuil de tolérance qui appartient à chacun, en privé, selon sa sensibilité. Par exemple, il me serait difficilement concevable, personnellement, de lire les mémoires d’un meurtrier d’enfants. Bien que là un palier soit franchi dans l’horreur, je ne suis pas pour la censure dans ce cas fictif et extrême, car aussi abjecte soit-il, il nous parle de nous, de la société à laquelle nous appartenons tous, en l’interrogeant, fut-ce dans l’indicible.
La vraie question est donc de déterminer si ses spectacles sont antisémites. Mais comment répondre à cette sous-question ? Elle est sans doute la plus ardue car elle en appelle à l’arbitraire. En effet, qui va trancher ? Qui pour dire là, nous sommes dans l’humour, et là nous sommes dans le délit ? Qui pour déterminer la manière dont il faut comprendre un spectacle ? On comprend que cela est extrêmement difficile et périlleux, au risque de rogner sur cette liberté censée nous avoir été attribuée à tous, à parts égales.
Un des extraits du spectacle de Dieudonné pointés du doigt est celui où il dit “Patrick Cohen, quand je l’entends parler, je me dis, les chambres à gaz…dommage”. Contrairement à ce qu’aiment prétendre les médias unis sur le sujet, il ne regrette pas l’existence des camps de la mort mais attaque par l’humour et l’exagération un journaliste qui l’avait accusé dans une émission de télévision d’être un cerveau malade et qui avait souhaité l’interdire d’antenne. Comment peut-on inférer de cette phrase une quelconque nostalgie de la Shoah ou un négationnisme avoué ?
De plus, en quoi cette saillie serait différente de celle issue d’un de ses vieux sketchs, écrit avec Elie, qui lui faisait dire “dis donc Cohen, en 45, les allemands, ils auraient pu terminer le boulot, non ?” Pourquoi voir ici une farce, et ailleurs de l’antisémitisme ? Sur quoi se base-t-on ? Geluck, dans son dernier livre s’autorise un jeu de mots avec Shoah l’élastique, alors que le Shoah Nanas de Dieudonné est unanimement condamné. Pourquoi n’en parle-t-on pas ? Coluche, Desproges (“si les juifs allaient si massivement à Auschwitz, c’est parce que c’était gratuit”) ont dit des horreurs. Certains seraient donc légitimes pour rire de sujets que d’autres ne pourraient aborder ? Mais qui décident ? Faut-il être juif pour chambrer les juifs, et donc ne pas être suspecté ? Faut-il être Roumains pour se moquer des Roumains, ou noir pour rigoler des noirs ? Faut-il être cancéreux pour rire du cancer ? Tout cela n’a pas de sens. Et c’est au public de juger de ce qui le fait rire ou pas.
Que dire de la quenelle, qui est maintenant, et c’est acquis, un salut nazi inversé. C’est une manoeuvre honteuse de la part des médias qui instillent dans l’esprit du citoyen une réalité purement construite par eux en essayant de nous la faire avaler comme une vérité. Pour avoir vu 5 spectacles de Dieudonné (le 6ème m’a été interdit puisque la salle a été évacuée par la police à Bruxelles en 2012), le geste de la quenelle possède une longue histoire, commencée au début de son ostracisation médiatique. S’en prenant à ses détracteurs (et ils étaient déjà nombreux), il leur adressait ci et là une quenelle, "gentiment "déposée sur l’épaule. Celle-ci, au fur et à mesure du temps, a intégré les expressions phares qui font partie du répertoire de Dieudonné (comme “plus haut c’est le soleil”) et s’est transformée en une quenelle enfoncée profondément jusqu’à la clavicule. Ce geste a ensuite été repris par ses fans et est devenu un signe anti-système, système dont il se dit victime. On peut trouver cela drôle ou pas, pathétique ou justifié, mais en aucun cas on ne peut y voir un geste de ralliement hitleriéen.
Le problème est également le suivant : combien dans ceux qui l’attaquent, ont vu ses spectacles ? Combien sont légitimes pour en parler en conscience ? Combien savent pour quel motif il a été condamné plusieurs fois ? La plupart des chiens médiatiques se contentent d’aboyer en coeur, l’un reprenant ce que l’autre dit, sans avoir vérifié, sans s’être fait une opinion personnelle. On crie à l’antisémite et c’est définitif, la sentence est tombée, tout est dit, fin de la discussion. Sans voir qu’il attaque dans ses sketchs également les noirs, les asiatiques, les musulmans…
Je rêve d’un débat honnête, équilibré, entre Dieudonné et un de ses détracteurs. Sereinement, une discussion à bâtons rompus. Au lieu de cela le débat est confisqué et on déclare que ce sujet là ne souffre aucune discussion. C’est faire peu de cas des amateurs de son humour, qui sont nombreux. C’est faire peu de cas de la liberté d’expression, brandie lors de la parution des caricatures de Mahomet, offensantes pour une partie de la communauté musulmane, mais pourtant reprises fièrement par tous les journaux au nom de cette sacro-sainte valeur. De nouveau le 2 poids 2 mesures, qui alimente le sentiment d’un régime de faveur pour une partie de la population et d’injustice pour le reste.
La difficulté de répondre à la première question nous fait aborder la deuxième sous le seul angle de la censure. A mon sens, l’humour ne peut être bridé car alors il perd son essence, son intérêt dans la société. Celui de l’outrance, de déranger profondément pour mieux questionner. La scène est un espace de liberté absolu dans lequel il est possible de tout dire, d’exprimer toutes les opinions sans contraintes, tout comme cela devrait être le cas dans les médias, quels qu’ils soient. Même les idées les plus immondes ont voix au chapitre et doivent être entendues…pour ensuite être mieux combattues, mais à la loyale, dans un espace de confrontation, et non par l’interdit. Une société qui confisque le droit à la parole est une société malade. Même le racisme doit être en pleine lumière et c’est par les idées qu’il faut le faire disparaître. Ce qui n’est pas donné à voir, couve comme un feu sous la cendre, et revient un jour sous une forme plus virulente.
Le droit n’est pas toujours en phase ni avec la morale, ni avec l’état de maturité propre à une société. Il est trop facile de se retrancher derrière des règles juridiques sans se poser la question de leur bien-fondé. Clamer qu’un comportement est interdit par la loi, d’accord, mais la loi est-elle bonne ? Faut-il la changer ? Tel est le mouvement continu qui ne doit pas être perdu de vue pour s’adapter sans cesse au mouvement propre au corps social. Au moment où le droit n’exprime plus l’air du temps, comme pour le vote des femmes, pour l’euthanasie, pour l’avortement, pour le mariage homosexuel, pour l’usage de stupéfiants….il est appelé à changer. Dès lors, il ne doit pas être pris a priori comme valable, mais questionné en permanence.
A ce titre, il est étonnant que le racisme et l’antisémitisme, en tant qu’opinion, soient sanctionnés pénalement. Ils sont vus comme une abomination alors qu’aucun acte barbare n’a été commis. Il est également surprenant qu’une différence soit faite dans les textes entre ces deux formes de discrimination. Bien sûr cette distinction trouve une origine historique, mais une réflexion aurait pu être menée pour condamner toute les formes de ségrégation, sans séparer les deux (qui relève justement d’une ségrégation). Cela donne de nouveau l’impression d’un statut particulier du juif. Il y aurait les noirs, les jaunes, les blancs d’un côté et de l’autre les juifs, bénéficiant d’une qualification à part et donc peut-être d’un statut spécifique.
Pour moi, il n’y a qu’une seule limite à la liberté d’expression, celle de l’incitation à l’atteinte à l’intégrité physique d’autrui. Même si l’on peut admettre l’idée que la loi contre le racisme et l’antisémitisme recouvre cette réalité en empêchant les propos pouvant y aboutir, elle est toutefois sujette à interprétation. Car qu’est-ce qui relève du racisme et/ou de l’antisémitisme ? Comment le déterminer ? Dans le domaine de l’idée, de la parole, contrairement aux actes posés, trancher est très difficile.
Cette censure crée un grave précédent pour la liberté d’expression, car demain, n’importe quelle association ou personne représentant une minorité religieuse, ethnique… pourra faire interdire un spectacle, une affiche, un film, un livre…sous prétexte qu’elle se sent atteinte dans sa dignité de chrétienne, d’homosexuelle, d’Arabe, de bruxelloise, de petite, de blonde…
Envisageons maintenant la troisième question, celle de savoir pourquoi l’antisémitisme est un des grands tabous de nos sociétés.
D’abord, il est important de bien distinguer deux termes qui recouvrent des réalités très différentes, celui de juif et d’Israélien. L’indifférenciation des deux sert la cause Israélienne, car toute remise en cause de sa politique, est définie comme de l’antisémitisme, et donc tombe sous le coup de la loi. La Shoah a été instrumentalisée dès l’après-guerre pour la construction de l’état d’Israël, et l’est encore aujourd’hui pour interdire toute critique de son fonctionnement. A partir de cette confusion, il n’est plus possible d’attaquer Israël sans être taxé d’antisémite. Il y a pourtant de par le monde de nombreux juifs qui ne sont pas israéliens, qui ne veulent pas l’être et qui ne sont pas en accord avec la politique de cet état. Un état dans lequel, il faut s’en rendre compte, le simple fait d’être juif assure l’obtention de la nationalité, que l’on soit Argentin, Ouzbek ou Laotien, alors que les 20% des israéliens arabes (druzes, musulmans, chrétiens…), originaires de cette terre, sont considérés comme des citoyens de seconde zone. C’est comme si juif n’était plus une religion mais une nationalité.
Pourtant l’opposition à l’état d’Israël, à sa politique envers les palestiniens, devrait être la position de tous, car ce qui s’y déroule est tout simplement inadmissible. Malheureusement ce n’est pas ce qui se passe, et il extrêmement difficile d’avoir un débat dépassionné lorsqu’on aborde les thèmes de juif, d’antisémite, d’Israël.
Cet état a été bâti violemment et artificiellement, par l’exclusion des populations qui s’y trouvaient, sur base de ce que d’aucuns (dont Shlomo Sand, historien israélien) qualifient de mythe du peuple juif. Celui-ci ne serait pas un tout homogène dispersé aux 4 coins du globe en ayant su maintenir ses traditions et rêvant d’un retour sur la terre promise comme les écritures nous l’expliquent, mais plutôt une religion prosélyte, qui aurait converti les populations par cercles concentriques à partir de l’épicentre qu’est l’actuel Israël. D’une vision traditionnelle de juifs Polonais (ou Ukrainiens, ou Marocains….), issus en ligne direct des juifs d’Israël exilés il y a 2 000 ans, nous passons à une vision de juifs Polonais convertis au fur et à mesure que la religion se répandait, et n’ayant donc aucun lien d’origine avec la mère patrie. Les judéens d'hier deviennent donc les palestiniens d'aujourd'hui...c'est un comble.
Nos gouvernements occidentaux défendent ce pays envers et contre tout. Malgré la violation des droits internationaux les plus fondamentaux dont il se rend régulièrement coupable, Israël continue de bénéficier de l’appui des grandes puissances, en première ligne desquelles les États-Unis et la France. Dans le grand échiquier du Moyen-Orient, la position qu’il assume de garant des intérêts de l’Occident joue un rôle fondamental dans ce laisser-faire et dans ce sentiment légitime et de nouveau désagréable du 2 poids 2 mesures, et donc dans la croyance en l’existence d’un lobby juif.
Il y a aussi le rôle extrêmement pesant de la guerre 40-45, que nous avons tous intériorisé et qui impose à nos consciences européennes une responsabilité ainsi que sa part de culpabilité. Certaines de nos nations ont été historiquement impliquées de manière plus ou moins active dans la tragédie de la Shoah, et ont toutes en commun d’avoir été frappées dans leur chair, d’avoir connu l’horreur “à leur porte”, le voisinage de l’effroi en augmentant l’intensité et rendant son atténuation plus difficile. Cela empêche nos sociétés, doublement concernées d’avoir une confrontation sereine sur ce sujet et de voir la réalité avec le regard le plus neutre possible.
Pour terminer, j’en appelle à la lucidité de chacun pour comprendre comment un humoriste, et je ne vois pas au nom de quoi je ne l’appellerais plus comme cela, est devenu l’ennemi public numéro un. Il y a quelques jours, sur RTL, Jean-Michel Apathie, journaliste, pose la question suivante à Marine Lepen “ cela vous gêne-t-il que Jean-Marie Lepen soit le parrain du fils de Dieudonné ?” (ce que ce dernier n’a jamais voulu confirmer, se contentant de laisser courir la rumeur). La relation est désormais inversée. Dieudonné est devenu plus épouvantable que Lepen, qui a longtemps joué le rôle de l’Infréquentable en France. Quand les médias d’un pays en sont arrivés à un tel point de bêtise, je me dis qu’il n’y a plus rien à espérer d’eux, censés nous informer et représenter des opinions plurielles en vue d’avoir un panorama culturel et une richesse de débat les plus larges possibles. Mais ça, on le savait déjà...
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