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Accueil du site > Tribune Libre > La politique de la politique du chiffre

La politique de la politique du chiffre

En matière de police, les sirènes que l’on entend finalement le plus ne sont pas le chant des lumières bleues qui tournent et clignotent, mais celles des discours monotones et attendus des statistiques de la délinquance.

Nous aurions aimé croire, éternels naïfs que nous sommes, et après avoir assisté à toutes les hystéries électorales, que dans ce domaine « le changement c’était maintenant ».

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©Reuters

L’automne dernier, devant les cadres de la police, le ministre de l’Intérieur Manuel Valls, volontaire et déterminé, pointait à mots à peine couverts, la réalité de la communication sur les chiffres de la délinquance constatée sous le précédent gouvernement :

« Tout d'abord, nous devons franchir une étape vers plus de fiabilité de la statistique publique de la délinquance, et de sincérité dans son maniement. Il faut sortir de l'instrumentalisation politique et médiatique permanente de données, trop hétérogènes pour être significatives, ou trop agrégées pour ne pas être manipulables.

Vous connaissez, mieux que moi, l'art et la manière de piloter habilement un taux d'élucidation global ou un volume "attrape-tout" d'infractions révélées par l'action des services (IRAS) ; les secondes pouvant d'ailleurs servir à gonfler artificiellement le premier.

Les reports statistiques du fait d'enregistrements clos le 26ème ou 27ème jour du mois, les déqualifications judiciaires injustifiées, les déperditions entre le logiciel de rédaction de procédures et le logiciel de centralisation statistique : toutes ces pratiques, là où elles avaient cours, doivent cesser sans délai ! C'est une obligation de service public.

J'entends mettre un terme aux pratiques statistiques ayant dérivé vers une "politique du chiffre", devenue pour vous une équation impossible.
Des pratiques qui ont pu, d'autre part, vous détourner, vos collaborateurs ou vous-mêmes, des missions véritablement prioritaires du traitement de fond des problèmes de délinquance. »


[discours cadre sur la sécurité - 19 septembre 2012]

 

La cause paraissait entendue, et le changement était peut-être pour maintenant : comme nous le répétons tous les deux depuis des années, les chiffres statistiques de la délinquance constatée, de même que ceux du réel taux d’élucidation, étaient bidonnés. Donc faux. Tout simplement. Nous pouvons même affirmer qu’ils étaient prédéterminés par des instructions précises d’objectifs à atteindre chaque semaine, chaque mois, chaque année.

À l’aune des communiqués réguliers des glorieuses victoires du Chemin des Dames de la lutte pour la sécurité depuis 2002, parfois pour seulement quelques dixièmes de point de baisse artificielle, l’imposture n’était pas neutre. Il aurait été simple à Manuel Valls de la faire établir clairement par une volée d’audits dans les services de police les plus représentatifs, en comparant tout bonnement par sondages le taux de variation entre les infractions réellement constatées et celles présentées après rectifications dans les statistiques officielles. Cela aurait déjà évité les éternelles querelles de politique partisane sur la progression ou non de la délinquance.
Sauf que…
Lui posant la question d’une telle « opération vérité », le 2 juin 2012, Jean-Jacques Urvoas, ancien secrétaire général des questions de sécurité au PS, répondait : « Impossible. Le gouvernement ne peut pas prendre le risque de se mettre à dos le corps des Commissaires. »

Serait-ce donc là le nœud du problème de communication de Manuel Valls sur ces fameux chiffres, et sur les récurrentes polémiques comparatives avec ceux de l’ancien gouvernement comme nous l’avons vécu ce mois de janvier 2013 ?

Le ministre esquive, argumente des évidences de principe, tourne autour d’une vérité pas bonne à dire sans jamais la formuler, rien n’est vraiment clair. Il ne dira pas que les chiffres étaient simplement faux. Circulez y’a rien à voir…

Pourtant, c’est bien le discours qu’il avait publiquement (et médiatiquement) tenu aux cadres des forces de l’ordre On aurait été en droit de s’attendre à ce qu’il s’y tienne et en informe les citoyens en toute transparence.

Mais autant il est aisé d’expliquer qu’un commissaire de police peut difficilement refuser d’obéir aux instructions et impératifs du gouvernement en place, sauf à sacrifier son emploi, sa carrière et son métier, autant il est plus délicat d’établir que l’enjeu va bien au-delà.

Imaginons juste qu’un journaliste pertinent (il doit en rester qui ne prennent pas leurs informations uniquement de sources autorisées) pose publiquement une question rationnelle sur le bon fonctionnement d’une institution républicaine :
« Les chiffres fournis par la hiérarchie de la police durant des années étant faux, cette même hiérarchie étant gratifiée, dans le même temps, de primes annuelles conséquentes, (et y rajoutant celles dites de performance depuis 2011) ,plusieurs dizaines de milliers d’€uros dont une bonne partie tenait à cette production statistique, peut on en déduire que ces résultats « de commande » furent « achetés » par la précédente majorité ? Et combien cela a-t-il coûté aux citoyens ? »

Impossible. Cela dépasserait l’entendement.

Tout aussi préoccupant, les instructions chiffrées ont-elles cessé depuis le changement annoncé de mai 2012 ?

Dans bon nombre de services de police, ce n’est absolument pas le cas. D’absurdes notes de service imposant des objectifs chiffrés à atteindre ont même été réitérées depuis l’élection présidentielle. Le ministre en a été avisé. Ces notes sont néanmoins restées en vigueur, et les policiers les ont appliquées jusqu’à fin 2012.

Le ministre de l’Intérieur, de tout évidence conscient d’un problème de crédibilité, promettait une « nouvelle méthode » plus exacte et transparente, d’évaluation du volume de la délinquance constatée, et des évolutions des catégories d’infractions. Lors de sa présentation des chiffres du 18 janvier, il réaffirmait cette promesse pour l’année 2013, sans véritablement de précisions.

C’est là où le bât blesse. Et sérieusement. Parce que quelques jours plus tôt, le Directeur Central de la Sécurité Publique demandait, lui, à tous ses Directeurs Départementaux, de commenter la délinquance constatée par leurs services pour les années 2012, 2011 et 2010, en utilisant comme références…deux notes de service et une circulaire ministérielle datant de… 2010.

 

politique du chiffre 2013
pdf2

 

En clair, il faut donc qu’au 28 février 2013, ces hauts fonctionnaires de la police aient commenté des chiffres considérés comme inexacts, ou pour le moins explicitement mis en doute, par le ministre de l’Intérieur lui-même, et ce en application stricte d’instructions établies sous la mandature de Brice Hortefeux !

Des consignes élaborées pour la police du temps de la présidence de Nicolas Sarkozy seraient donc ces "nouveaux outils statistiques"(sic) ?

Voilà pour le moins un « changement » incompréhensible. Et une valse à deux tons plus que troublante.
 

Marc Louboutin et Bénédicte Desforges
ex lieutenants de police et auteurs

 


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10 réactions à cet article    


  • foufouille foufouille 26 janvier 2013 12:53

    laisser le voleur cambrioler durant 2 mois, au cas ou il y aurait un « reseau », ca aides vachement le citoyen


    • Lamouet 26 janvier 2013 13:12

      @ AUTEUR :
      « 
      le 2 juin 2012, Jean-Jacques Urvoas, ancien secrétaire général des questions de sécurité au PS, répondait : « Impossible. Le gouvernement ne peut pas prendre le risque de se mettre à dos le corps des Commissaires. »

      Ce qu’on savait déjà. Mais alors qui tient le »Gouvernail" ? Où est l’exercice de la Constitution ? Où se trouve l’esprit de la Démocratie ?


      • Marc Louboutin 26 janvier 2013 13:50

        Ben, assez simplement en fait.
        JJ Urvoas est désormais Président de la Commission des Lois.


      • Lamouet 26 janvier 2013 15:01

        Urvoas est député PS et solidaire du gouvernement. En tant que président de la commission des Lois, il se contente de mettre en oeuvre la politique du gouvernement.
        D’ailleurs sur son blog il écrit «  le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe a été adopté au petit matin par la commission.(attention je ne conteste en aucune façon le mariage pour tous, je prends juste l’exemple de son dernier article).

        La séparation des pouvoirs dans cette constitution est un leurre.

        Reste que, les députés à majorité PS suivant le gouvernement (en règle générale), je reviens sur le passage de votre article qui souligne ce que tout le monde sait : le souhait du gouvernement de ne pas se mettre à dos le corps des commissaires et plus généralement l’institution policière, la base étant tenue par les syndicats »maison" comme le dénonce votre collègue.

        C’est pour ça que le souhait de Daniel Vaillant, ancien ministre de l’intérieur, de mettre fin à
        l’IGS après le scandale que vous connaissez pour faire contrôler la police par un organe indépendant (les magistrats du siège me paraissant les mieux placés), n’a pas été pris en compte.

        A quand la transparence ?



      • Lamouet 26 janvier 2013 19:24

        Bien déçu que le débat annoncé sur leslibertés individuelles n’ait pas eu lieu...


        • Marc Louboutin 27 janvier 2013 10:40

          Bonjour Lamopet,
          (Je vous réponds ici, le massage ne passe pas sur la surface où vous m’avez contacté)
          Pas de dérobade, mais le sujet de cet article n’est pas là il me semble mais dans une évidente manipulation politique et non pas technique. (Le PS sait exactement à quoi s’en tenir sur les « chiffres »)
          La « transparence » que vous appelez concernant l’IGS, l’IGPN et le « contrôle » de la police est elle du domaine technique.
          Je peux comprendre vos arguments à ce sujet. Néanmoins ce contrôle dit « extérieur » possède une milite de taille, comme on le voit dans les dossiers traités par le défenseur des droits. Il s’appuie, le plus souvent, essentiellement sur une empathie exacerbée de fait, ce qui part d’un bon sentiment, mais en occultant totalement les contraintes techniques du métier de terrain.
          La seule instruction issue de ce « contrôle extérieur » concernant la police depuis les dernières élections, concerne la prise en charge des mineurs lors des affaires judiciaires. Outre qu’elle oublie qu’elle se déroule parfaitement bien la plupart du temps, son application est tout bonnement impossible car elle méconnait totalement le fonctionnement des services de police en terme d’intervention, celle des Police secours en particulier, qui partent sur réquisition radio dans l’urgence de leur point de progression de patrouilles et non après « mures réflexions » au commissariat comme le suggère cette instruction.
          Cet exemple est parlant. Non pas de l’éventuelle non-nécessité de regard critique extérieur, mais du pré-requis pour ces « observateurs critiques » de connaitre au minima les doctrines d’emploi, les règlements techniques d’intervention et les contraintes opérationnelles de terrain.
          Les magistrats, et même si on peut légitimement penser que leur place serait dans un tel organisme (en admettant qu’ils puissent s’y impliquer, débordés qu’ils sont déjà par leur cœur de métier) n’ont pas plus de recul et surtout de bagages pour aborder d’un point de vue critique, mais OBJECTIF, les actes de police.
          Ce débat est passionnant, malheureusement trop conséquent pour être résumé ici, mais il nécessiterait, pour être pertinent, une formation pratique poussée du "contrôle extérieur" pour que ses avis soient pertinents.
          Ce n’est pas le cas. Et ce n’est pas dans les objectifs du gouvernement de s’y atteler.
          Bien à vous.
          Marc


        • Marc Louboutin 27 janvier 2013 10:57

          Rectifications :
          LamoUet.
          MEssage.
           smiley


        • Lamouet 27 janvier 2013 11:36

          @auteur :
          Les pré-requis pour ces « observateurs critiques » de connaitre au minima les doctrines d’emploi, les règlements techniques d’intervention et les contraintes opérationnelles de terrain.
          « Les magistrats, et même si on peut légitimement penser que leur place serait dans un tel organisme n’ont pas plus de recul et surtout de bagages pour aborder d’un point de vue critique, mais OBJECTIF, les actes de police ».

          Là, je reste sans voix ! Un magistrat ne saurait détecter un éventuel défaut de procédure dans une intervention de police ?

          Les réglements techniques d’intervention dont vous vous gargarisez et qui seraient abscons pour toute personne extérieure (laissez-moi sourire) doivent respecter le code de procédure pénale, point barre. Et le CPP est mieux connu chez les magistrats que chez bien des OPJ et à fortiori des APJ.


        • Marc Louboutin 27 janvier 2013 18:29

          Bon, je laisse tomber, nous ne parlons définitivement pas de la même chose. Et visiblement votre propos est uniquement de détourner le vrai sujet de cet article qui visiblement vous gêne.

          Les magistrats contrôlent déjà, et de très près, le CPP.
          Pour l’application stricto sensus des diverses notes de service et règlements d’emplois dont une bonne partie sont simplement absurdes, il y a déjà l’IGS et l’IGPN, c’est même l’essentiel de leur travail.

          Mais rompons là et allons jusqu’au bout de votre raisonnement : dissolution totale de la police et remplacement par une milice populaire de volontaires bien-pensants, dans laquelle j’imagine vous prétendrez à un poste d’encadrement, pour aller vous frotter à la vraie délinquance : celle de la rue.

          Puisqu’après tout cela semble si simple et ne nécessite aucune aptitude, vous devriez faire l’affaire.

          Je me pose même la question de savoir pourquoi vous ne militez pas activement pour une telle solution en demandant à vos élus d’imposer un tel projet de loi...


        • Guy BELLOY Guy BELLOY 31 janvier 2013 22:21

          On sait ce que valent l’IGS et l’IGPN ; de récents scandales l’ont établi ;

          Je ne vous permets pas « d’aller jusqu’au bout de mon raisonnement » que vous faussez gravement.
           
          Vos interprétations, je dirais même « vos déformations » de mon propos me rendent perplexes.

          Quant à la suite, elle sente l’attaque médiocre de celui qui n’a rien à apporter au débat.
           
          Brisons-là, en effet, EX-Lieutenant..

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