La recomposition politique ? Un évincement du peuple de la démocratie qui n’est pas fait !
L’édition de « L’émission politique » de jeudi soir dernier, sur France 2, nous a offert le spectacle du nouveau monde que l’on nous dit En marche. On s’est littéralement ébahi devant l’audace de l’élu, et la façon dont il a forcé les circonstances, dessinant déjà, aux yeux de certains, un destin. Mais aussi, une opération séduction, celle d’une recomposition politique qui promet de tout rajeunir, de tout balayer devant elle, tournant une page de l’histoire, grands médias et un large rayon de l’élite branchée acquis à cette cause. C’est elle, cette recomposition, qui permettrait, dit-on, de réformer. Il en va de tout un climat qui entoure le nouveau gouvernement. Qu’en est-il ?
Macron : ni droite ni gauche ou droite et gauche à la fois ? Mensonge, startup et politique…
Il n’y aurait plus de droite ni de gauche, ou plutôt, ce renouveau politique serait de droite et de gauche à la fois. Le macronisme serait le dépassement d’un monde ancien, celui des partis et des philosophies, des visions, des sensibilités politiques, dans le sillage de la fin des idéologies. Tout reviendrait à dépasser les anciens clivages, blocages partisans, pour prendre la bonne idée de gauche ou de droite, débusquée par une « société civile » promue au rang d’arbitre du jeu politique, sur un mode empirique, pour pouvoir gouverner : entrepreneur, handballeuse de haut niveau, agricultrice bio, acteur social, spécialiste du numérique, avocat, « gens « de bonne volonté, plutôt jeune voire très jeune. C’est pour cela qu’il n‘y aurait pas besoin, pour les députés d’En marche, d’être formés en politique. Pas besoin de savoir quoi que ce soit sur l’Etat pour voter des lois, il suffirait de choisir la bonne expertise, l’avis éclairé d’une personne de terrain. La question semblerait tranchée, et bientôt plus personne ne commettrait pareille faute que de penser autrement. La recherche du consensus basculerait dans ce nouvel unanimisme, sur le fondement de cet argumentaire remarquable, et même quasi imparable, au nom du bien de tous.
Ces personnes de la société civile tant mises en avant, sans expérience politique, mêlées à des vieux briscards du pouvoir et à des hauts fonctionnaires rompus à ses rouages, du gouvernement à la future majorité d’En marche souhaitée à l’Assemblée nationale, ne seraient-elles pas la caution morale d’une politique du passée qui n’avait pour se continuer, comme solution, que de muer, pour se prévaloir de ce nouveau visage sinon d’un nouveau mirage ? Le risque n’existe-il pas, à moins qu’il ait même été savamment calculé, de jouer sur ce mélange pour faire ce que l’on veut, avec des novices en politique, manipulables à souhait, déjà totalement sous le charme d’une opération marketing en faveur d’un nouveau produit lavant plus blanc que blanc, dont ils sont les enzymes ? Cette société civile, ne serait-elle pas, comme argument de vente, l’otage de la réussite d’une startup politique, qui fait commerce du rêve pour mieux agir en s’affranchissant de bien des règles ? Que pèsera la candeur de ces nouveaux promus face à des choix politiques s’imposant verticalement à eux, grâce à eux, visant à faire accepter à la société des reculs qu’elle avait jusqu’alors refusés ? L’addition de « gens » de la société civile aux motivations diverses, cette auberge espagnole, ne fait pas un parti, ni un corpus de militants spontanément éclairés, ni unis par un socle commun. Ils seront ainsi peu susceptibles, le cas échéant, d’avoir la capacité à résister, comme majorité à l’Assemblée, à une politique venue de leur propre camp, du sommet de l’Etat, qui n’a rien à envier à celle des quinquennats passés. Une politique qui vise même à aller, grâce à cette esbroufe, bien plus loin que jamais. Ne risque-t-on pas de transformer la démocratie, à travers ce fourre-tout d’inexpérimentés, en emprise d’un pouvoir « tout puissant » au service d’un seul, sinon d’un seul but, « réformer » en appliquant les recettes ultralibérales du monde anglo-saxon, avec une majorité encore plus mouton que mouton ?
La fin des partis, ce serait la fin du pluralisme et donc, de la démocratie.
Mais avant tout, faire tourner les choses ainsi, en niant la diversité des sensibilités et des partis, n’est-ce pas tuer la politique tout court, en engageant le pronostic vital de la démocratie ? La politique serait finalement ainsi au-dessus des partis. Mais en démocratie représentative, il n’y a pas de démocratie sans partis. Article 4 de la Constitution : « Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie.( …) La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation. » On ne saurait être plus explicite ! Rappelons que cet article se trouve porté au contenu du Titre premier. De la souveraineté. La liberté pour la Nation, semble-t-il, c’est lorsque le peuple s’érige en corps politique souverain, dont les choix doivent être éclairés par le pluralisme des opinions, sur les enjeux qui le concernent. Il attend toute autre chose que d’être gouverné par ordonnances !
Nous avons besoin des partis, qu’ils soient ceux des notables, des conservateurs ou des forces du travail, des révolutionnaires, d’une droite et d’une gauche. Cette diversité des sensibilités, qui permet à l’ensemble de la Nation de se sentir représenté, et de voir dans le contrat social, cette liberté pour les gouvernés de se gouverner eux-mêmes en choisissant en leur sein, leurs gouvernants, tout en conservant la possibilité d’en changer. A moins qu’on dise clairement, que rien n’est plus à espérer que ce parti unique, transformant en coup d’Etat l’élection présidentielle, nos institutions en « monarchie républicaine ». Mais il y a ici un oubli, ce citoyen qui fait les lois auxquelles il obéit, ne serait-ce qu’à travers le choix de ses représentants, sur fond d’affrontements des idées et des projets, garantissant les conditions de l’effectivité de son libre-arbitre, sa liberté de toutes les alternatives. Ne plus lui en laisser le choix, par cette réduction politique, c’est le déposséder, l’exproprier de ses droits, mais aussi des responsabilités et devoirs qui y sont afférents. C’est faire sortir le peuple une nouvelle fois de l’histoire. C’est en faire un mendiant en politique aujourd’hui, un enragé portant demain un tyran au pouvoir.
Le seul parti possible et souhaitable, prenant la surface de tous les autres, serait celui du Président, comme nous le dit l’air ambiant. Ne serait-ce pas de facto, le retour à un monopole de la représentation politique, celle de la France des mieux lotis, des notables et des nouveaux établis, des rentiers et des actionnaires, que l’on croyait avoir laissé pour mort au XIXe siècle, avant que ne s’imposent la modernité politique du système des partis ?
Cette confusion générale, qui exalte certains à l’idée d’une troisième voie, et a même l’effet d’un ré-enchantement avant de déchanter, doit plus à un alignement exceptionnel de circonstances qu’à un choix délibéré des citoyens, et surtout à une crise de l’offre politique qui a fabriqué ce trou noir du centre, qui désagrège et digère les partis politiques, déjà largement passés à côté d’eux-mêmes. Il a bien manqué, lors de la campagne de la présidentielle, un débat d’idées où on parle projets et pas de jeunisme, ou encore, pas que de la meilleure façon de phagocyter l’aspiration à faire rêver avec le politique.
La création des partis a apaisé les mœurs politiques par l’entrée du peuple dans la démocratie.
Il y a ici un dangereux oubli de l’histoire. C’est la création des partis qui a pacifié les mœurs politiques dans le contexte de la fin d’un XIXe siècle, traversé de bout en bout par des secousses révolutionnaires, des manifestations violentes et des barricades, parce que jusque-là, seuls les notables avaient en politique, droit de cité. L’installation de la Troisième République consacre tout d’abord le suffrage universel, en retirant les conditions qui réduisaient le corps électoral, selon l’état de fortune. Après la reconnaissance du droit de grève (1864) et l’autorisation des syndicats (1884), la création de la CGT en 1895 comme premier syndicat, les partis politiques naissent dans un contexte de réduction des conflits, la compétition électorale se substituant à l’action violente. Le suffrage devient universel, jusque-là restreint à la bourgeoisie. Puis, le premier parti moderne nait, le Parti radical (1901), puis, vient le Parti socialiste, celui de Jean Jaurès et, un temps plus loin, le Parti communiste. Le peuple a alors, enfin, ses représentants. Les partis ont apaisé les mœurs politiques en procurant au peuple son entrée dans la démocratie.
Aussi, attention où nous mène cette logique des experts marginalisant les partis, qui sont au fondement de cette modernité démocratique conquise de haute lutte au cours du XIXe siècle, par bien du sang et des larmes, et un combat des idées sans merci.
Une troisième voie, pour faire quoi ? Réformer ? Et sur le dos de qui ? Un retour impérieux de la lutte des classes…
Loin d’en avoir fini avec les idéologies, l’époque est au retour d’une idéologie unique, évinçant le politique. On fait comme si, en mettant dans la lumière la France qui réussit, il n’y avait pas derrière en jeu des intérêts de classe, jusqu’à l’antagonisme.
On nous dit que ce ni droite ni gauche, serait la solution pour régler le problème des trois millions de chômeurs, de la pauvreté, alors que l’on compte mettre en place les mêmes recettes ultralibérales qu’en Allemagne ou qu’en Angleterre où, si les comptes publics paraissent sains, la pauvreté, les inégalités, sont considérablement plus importantes qu’en France où nous bénéficions de protections collectives sans nul pareil, mais qui ont déjà aussi pris des coups durs.
Au cours de l’émission, Jean-François Copé, en duplex, explique bien comment il voit avec l’opération Macron, l’occasion enfin de casser le Code du travail, ce qui ne s’était jamais présentée jusque-là, dit-il. Effectivement, cela n’avait pu être imaginé avant, c’est-à-dire sous le régime des partis, qui justement par le jeu démocratique empêche certaines connivences, qui se font en général sur le dos du grand nombre, du peuple. On voit dans quel sens s’établit cette pensée unique, cimetière pour la démocratie, parce qu’elle est l’instrument d’un camp d’intérêts, d’une partie de la société en marche contre l’autre. Ne s’agirait-il pas simplement, de faire supporter toujours aux mêmes, le poids de la crise d’un capitalisme de plus en plus malade de lui-même, tirant argument d’une mondialisation sur laquelle personne n’aurait de prise, pour justifier de s’y adapter à tout prix ?
Dans le climat d’euphorie médiatique de l’avènement du nouveau président et du renouveau qu’il est censé incarner, on semble oublier que la France à rejeter le Traité constitutionnel européen en 2005, ce n’est pas si loin, qu’elle a grondé contre la loi El Khomri, bien plus près, et qu’au premier tour des élections présidentielles, près de la moitié de celle-ci a rejeté une politique libérale qui a été celle du président sortant, frappée d’eurocentrisme, par des citoyens de plus en plus exaspérés.
La « Macron attitude », c’est l’entrée de plein fouet dans l’ère des gestionnaires qui réduit la démocratie à celle d’experts patentés par le système, d’une nouvelle puissance technocratique avec ses « idiots utiles » d’une « société civile » prise en otage. C'est le politique renvoyé aux recettes d’une mondialisation où il n’a plus son mot à dire.
La démocratique de la rue plus forte que l’imposture de la recomposition politique.
Quel sens peut bien avoir pour le peuple, une démocratie qui, déjà en crise, n’a plus le pouvoir de décider ? Dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la réponse est abrupte ! : « La résistance à l’oppression ». On en trouve le développement dans celle de 1793, en conclusion : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »
La recomposition politique que l’on nous propose vide la démocratie de son contenu. A tout le moins, la nécessité est de réagir, en faisant que s’exprime cette démocratie de la rue qui rappelle que le peuple est là, et bien là, et que l’on ne l’évincera pas de la décision politique en faisant table rase des partis. Mais faut-il encore qu’on veuille l’entendre, sinon, c’est le renvoyer à « la résistance à l’oppression » et au « devoir d’insurrection ». Espérons de ne pas avoir à en arriver jusque-là, car on ne sait quel diable il risque d’en sortir.
Guylain Chevrier
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