Il n’avait, bien entendu, rien à en dire, n’ayant pas plus d’information que quiconque sur le sujet. En revanche, trois observations de son intervention méritent d’être relevées tant elles sont conformes à la mythologie promotionnelle des journalistes. C’est à croire que, toutes griffes dehors désormais, ceux-ci ne ratent plus une occasion pour inlassablement la resservir et de préférence par allié interposé : la parole d’un ancien ministre est par exemple recherchée parce qu’elle garde un peu de l’autorité d’antan que son auteur a exercée pour avoir valeur d’argument d’autorité aux yeux des naïfs. C’est habile !
1- Les sites de « journalisme citoyen » accusés à tort
D’abord, l’ancien ministre a fait feu sur « le journalisme citoyen » d’où vient aujourd’hui, selon lui, tout le mal : « Le phénomène nouveau c’est Internet, a-t-il déclaré, c’est-à-dire ce que certains ont appelé le journalisme citoyen ou participatif, c’est-à-dire qu’avec Internet chacun accède à la faculté d’informer, mais Internet, c’est aussi la possibilité de diffuser des informations erronées ou fausses, parfois, disent certains, une sorte de tout-à-l’égoût, et c’est un peu ce qui s’est passé dans cette affaire (…) Via Internet, n’importe qui peut diffuser n’importe quoi ! »
L’ennui, c’est que dans l’affaire de la rumeur sur les prétendues infidélités conjugales du couple présidentiel, les ragots ont été distillés sur un blog appartenant au site du Journal du Dimanche, géré par Newsweb, la filiale de Lagardère active : à en croire Le Monde.fr, l’auteur serait un jeune homme de 23 ans « embauché pour générer de l’audience sur les sites. (Il aurait donc décidé) d’en faire le thème d’un billet humoristique sur son blog. "Nous apprenons que l’Elysée est touché par un séisme d’une magnitude 9..." » On est bien dans le cadre des médias traditionnels. Ce n’est donc pas un site appartenant à la mouvance du « journalisme citoyen » qui est à l’origine de ces ragots !
Il est amusant d’entendre d’ailleurs, quelques instants après, l’ancien ministre l’admettre implicitement et se contredire : « Via Internet, venait-il de dire, n’importe qui peut diffuser n’importe quoi. Ce qui est le plus étonnant, a-t-il enchaîné, c’est que le site du Journal du Dimanche ait repris ces informations, ces pseudo-informations. Finalement les journaux professionnels français, à part le site du JDD ont été d’une très grande discrétion. Il n’y a que la presse écrite étrangère ou les médias étrangers en particulier britanniques qui ont repris cette pseudo-information. Mais la presse française s’est gardée de le faire. » Qu’importe après tout ! L’attaque contre ces rivaux qui mettent à mal la profession journalistique a été portée : elle peut avoir convaincu qui n’est pas informé sur le sujet !
2- L’hymne rituel de la profession journalistique à la vérification de l’information
Dans ce contexte d’information contraire à la réalité, le couplet sur ce qui fait le panache blanc de la profession journalistique ne manque pas de sel et de cynisme. « Les journalistes professionnels, a chanté l’ancien ministre, ont l’habitude de vérifier les informations, de les valider avant de les publier ». Cette antienne sur la vérification et le recoupement de l’information, on ne cesse pas de le répéter, est l’endroit du traitement de l’information que les médias brandissent pour justifier le crédit qu’ils demandent qu’on leur accorde. La diffusion d’informations vérifiées est, en effet, une règle cardinale sur laquelle tout le monde s’accorde.
En revanche, la profession journalistique et l’ancien ministre avec elle restent discrets sur l’envers du traitement de l’information qui suscite la controverse : toute information vérifiée n’est pas obligatoirement diffusée, ne serait-ce que sous la contrainte de l’exiguïté de l’espace ou du temps de diffusion. On ne transvase pas le contenu d’un tonneau dans une bouteille, répète-t-on. Il faut donc choisir. Or sur quels critères s’effectue ce choix sinon les motivations propres des émetteurs ? Mais il ne faut surtout pas le dire !
3- Une définition erronée de l’information
Enfin, l’ancien ministre a implicitement livré de l’information la définition erronée que les médias affectionnent de répandre. Il l’a fait discrètement, mais il l’a fait. Il a qualifié par deux fois la rumeur sur le couple présidentiel de « pseudo-information » : « Ce qui est le plus étonnant c’est que le site du Journal du Dimanche ait repris ces informations, ces pseudo-informations, a-t-il corrigé. (…) Il n’y a que la presse écrite étrangère ou les médias étrangers en particulier britanniques qui ont repris cette pseudo-information », a-t-il répété.
L’obsession de la profession journalistique est, en effet, de faire du mot « information » le synonyme du mot « vérité ». Elle multiplie les roueries depuis des lustres pour inculquer ce dogme dans les esprits. Elle invente des couples de mots antonymes où le mot « information » a cette signification : ainsi ne doit-on pas confondre, paraît-il, « fait » et « commentaire », « journal d’information » et « journal d’opinion », « information » et « communication », ou encore « information » et « désinformation ». Cette fois, le ministre oppose « information » à « pseudo-information », terme réservé pour qualifier la rumeur. Or, que l’on sache, une rumeur est une information si on entend par ce mot « une représentation de la réalité plus ou moins fidèle ». Même une rumeur, une erreur, une calomnie ou un silence sont des informations.
Il faut nourrir un ressentiment profond pour être à ce point aveugle et maladroit. Comment une radio de service public avec la complicité d’un ancien ministre peut-elle penser redorer le blason de la profession journalistique en accusant à tort, sans l’avoir vérifié, les sites de « journalisme citoyen » d’être à l’origine de la rumeur quand elle a été lancée du site officiel d’un journal traditionnel, et faire dans la foulée l’éloge de la profession dont la vérification de l’information serait la règle d’or ? C’est ce qui s’appelle prêcher d’exemple ! Les dogmes erronés de la mythologie journalistique ont beau avoir ruiné ceux qui y croient, ils continuent d’être assénés imperturbablement : on trouve même encore un ancien ministre pour les propager « en toute franchise ». Paul Villach
(1) Le Monde.fr « Rumeurs sur le couple Sarkozy : ce que dit l’enquête », 7.04.2010