La Russie de tous les fantasmes (3) : russophobes et poutinolâtres
Il existe en France une ligne de fracture très nette entre les individus autour de la question russe, ligne qui se superpose avec beaucoup d'autres d'ailleurs. Cependant, pro et anti se rassemblent autour d'un certain nombre de points, qui ont davantage trait au comportement qu'a une opinion tranchée. Il ne s'agit malheureusement pas des comportements les plus nobles, bien au contraire, mais plutôt d'un mépris complet pour la vérité, d'un désintérêt total pour les faits et la connaissance de manière générale. C'est pourquoi je les classe dans les catégories "russophobes" et "poutinolâtres", deux termes péjoratifs amplement mérités, qu'il faut commencer par définir.
Le russophobe français a un certain nombre de caractéristiques. La première, c'est qu'il n'est pas un russophobe de conviction, chose qui n'existe pas réellement en France d'ailleurs, à l'inverse de la Pologne ou des pays Baltes. En effet, il n'y a pas de mémoire traumatique dans les relations entre la France et la Russie, ni même de concurrence diplomatique, économique ou que sais-je. Le russophobe français est donc un russophobe par conformisme et non par conviction : il est notoire que la russophobie à de-facto un statut de politique officielle en France, du fait que tout ce qui s'identifie aux médias "institutionnels" ainsi qu'à la parole étatique relève très exactement de la russophobie. La caractéristique première de cette attitude est de nier tout intérêt légitime à la Russie : le Russe est coupable de tout, partout, tout le temps, quoi qu'il fasse, parce qu'il est très très méchant. C'est donc bien son existence même qui est problématique, le Russe devrait s'excuser d'exister, voire, mieux, disparaître.
Il y a, je pense, deux raisons principales qui font qu'une fraction de la population adhère à ces thèses. Il y en a une petite partie qui vit dans le passé, qui commet une sorte d'anachronisme en considérant que les médias d'aujourd'hui sont de la même nature que la presse d'il y a quelques décennies. En effet, fut un temps où "journaliste" était une véritable profession, honorable et même prestigieuse, dotée d'une déontologie, une profession nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie, qui revêtait parfois un caractère officiel, avec l'ORTF ou le "20 heures" d'Antenne 2. Cette partie de la population n'a simplement pas compris que cette époque est morte et enterrée : les quelques médias d'État restants sont infestés par toutes sortes de lobbies d'influence privés ou étrangers, et le reste est dans les mains d'une poignée de milliardaires dont la seule notion de déontologie est celle de la rentabilité financière. Ce type de public n'a pas compris qu'il n'y a strictement aucune différence entre la publicité pour le papier toilette et l'émission de débat qui lui fait suite, où le "journaliste" se décharge de son métier en donnant la parole à quelques "experts", qui sont simplement des consultants en communication payés pour relayer tel ou tel discours. Ce ne sont pas des chaînes d'information continue, mais de publicité continue, où un annonceur vante la douceur de son papier toilette et un autre la nécessité de fournir des armes à l'Ukraine.
Mais plus majoritairement, le russophobe est avant tout représentatif de la médiocratie, qui est le véritable régime en vigueur en France. Comme je l'écrivais plus haut, il n'existe pas réellement de russophobie de conviction en France. C'est par pur conformisme que le russophobe, qui appartient généralement à la petite ou moyenne bourgeoisie, répète docilement le discours officiel. C'est un dérivé du syndrome du larbin, qu'on appellera le syndrome du "bon élève", c'est l'essence même de la médiocratie. En effet, le premier de la classe n'est pas le plus intelligent des élèves, ni celui qui a le sens de la camaraderie le plus développé, mais celui qui répète le mieux la leçon de la maîtresse, à qui il cherche à faire plaisir. Dès lors, peu importe le contenu de la leçon elle-même, c'est l'acte de soumission, de fayotage qui compte. Ainsi, si les différents intérêts qui manipulent l'opinion avaient décrété que les Polonais plutôt que les Russes étaient les gens à détester, nos braves russophobes affecteraient tous les signes du mépris et du dégoût à l'égard des hordes polaques avec la même conviction qu'a l'encontre des Russes aujourd'hui : celle d'être dans le sens du vent.
Il y a aussi une dimension plus spécifique de "syndrome du larbin" derrière cette attitude. Ils se flattent d'être "dans l'officiel", comme si répéter les propos d'un ministre, par exemple, leur transférait une petite partie de son statut de notable, leur permettrait de partager l'intimité des puissants, de s'approprier leurs prérogatives sur l'organisation sociale. Dans la psychologie du médiocre, le conformisme est une manière de se rendre important.
Ainsi, inutile d'aller chercher dans les lointaines steppes orientales l'origine des comportements russophobes. Le russophobe fait là où on lui dit de faire, on le retrouve d'ailleurs dans tous les mauvais coups : il exhibe fièrement son passe vaccinal, soutient l'obligation des injections géniques expérimentales, arrive à se convaincre que BHL est un philosophe, que Macron est un homme d'État, que Bruno Lemaire est non seulement un économiste expérimenté, mais également un écrivain talentueux, etc. Sa devise peut se résumer à trois mots : "Assis ! Couché ! Debout !". Ceci explique aussi la piètre qualité de la propagande russophobe. En effet, celle-ci n'a pas d'obligation de qualité, de cohérence ou que sais-je, puisqu'elle sera absorbée docilement, sur un claquement de doigt, dès lors qu'elle est propagée par un canal "institutionnel".
Voyez par exemple le vénérable "Figaro", propriété d'un marchand de canons, et la grande cohérence de son discours.
En Russie, le progressisme fait souffler un vent de liberté…
Tandis qu'en France, c'est une menace contre la démocratie... "Va comprendre, Charles"...
Il est même recommandé de faire la propagande la plus bête possible, car le russophobe devra faire un acte de soumission plus intense en répétant et en s'appropriant une absurdité. C'est une technique d'endoctrinement qu'on retrouve dans les sectes, une manière de "se mouiller" jusqu'à un point de non-retour. On comprend que face à de tels individus, toute tentative de débat est vouée à l'échec. Ce qu'ils combattent avant tout, c'est la tentation de réfléchir. Ils ont peur que le doute ne les envahisse, que la légitimité et la bienveillance de "la maîtresse" et la véracité de sa leçon soient mises en question. Ce qui mettrait en question aussi toute leur existence sociale, jetterait une lumière crue sur leur médiocrité, qu'ils ont érigée en principe existentiel.
Passons maintenant, histoire de fâcher tout le monde, au "poutinolâtre", terme qui, je l'avoue, n'est pas forcément très rigoureux, et que j'emprunte aux russophobes, je vais donc essayer d'en donner une définition précise. Disons-le clairement, il n'y a pas équivalence directe entre lui et le russophobe. Il est incontestable que dans le jeu politique mondial, c'est la Russie qui est agressée, et qu'en particulier, le conflit en Ukraine est une pure machination des États-Unis visant à nuire à la fois à la Russie et à l'Europe, j'ai déjà assez écrit sur ce sujet. Le poutinolâtre a au moins ça pour lui face au russophobe, et de plus, il a le courage de s'opposer à la doctrine officielle. Cependant, comme je l'écrivais en Introduction, il n'a pas beaucoup plus de considération pour la réalité que son adversaire.
Clarifions ceci : le poutinolâtre n'est pas un russophile. En effet, même si, et c'est bien excusable, le russophile ne sera pas toujours de la plus grande objectivité vis-à-vis de la Russie, c'est bien la Russie qui est l'objet de son intérêt. Tandis que le poutinolâtre ne fait que projeter ses fantasmes sur un objet artificiel qu'il se fabrique et qu'il appelle "la Russie". En cela, il est le pendant du russophobe : tous deux ne connaissent strictement rien à la réalité russe, ils ne s'y intéressent même pas, ou très superficiellement, l'un l'imagine toute noire, l'autre toute blanche.
A titre d'illustration, on se souviendra de l'empressement de quelques russophobes à rebaptiser une salle "Karl Marx" au début de la guerre en Ukraine, ignorant visiblement que celui-ci était allemand. Mais on trouve des perles du même calibre du côté des poutinolâtres. Une très bonne illustration du phénomène, caricaturale à souhait, le dialogue légendaire entre Poutine et le roi d'Arabie saoudite, une connerie sans nom qui a pourtant eu un grand succès sur les réseaux "sociaux". Le roi demande au président de construire une mosquée en Russie [sic], celui-ci répond qu'il faudra d'abord construire une cathédrale en Arabie... Quand on pense qu'il y a des musulmans en Russie depuis que la Russie est Russie, que la plus grande mosquée d'Europe est à Moscou, et que Poutine s'échine à répéter à longueur de discours, face à une opposition ultranationaliste, que la Russie est un pays multiethnique et multiconfessionnel...
Le « Parti de la France" semble être aussi celui de la connerie et de l'ignorance.
« Lorsqu’on remet en question notre appartenance multiethnique et en exploitant le thème du nationalisme russe, tatar, caucasien, sibérien ou tout autre nationalisme et séparatisme, cela nous mène à l’autodestruction. La Russie s’est formée comme un État multiethnique et multiconfessionnel. ». V.P.
Cette illustration, certes caricaturale, n'en est pas moins représentative du phénomène de projection de fantasme que je décrivais. Mais il y a plus grave. Quand on analyse la mouvance poutinolâtre, on constate rapidement qu'elle est adossée à la "trumpolâtrie", qu'elle gravite autour d'une espèce de courant de droite sauce américaine, que le russophobe qualifiera, pas forcément à tort, de fachosphère et de complosphère. Non seulement le poutinolâtre n'est pas russophile, mais sa perception de la Russie semble avoir été fabriquée en grande partie aux États-Unis.
Il convient de faire un petit exercice de réflexion. Il faut admettre préalablement cette notion : le vrai pouvoir, c'est celui qui contrôle non seulement ses partisans, mais aussi ses opposants. Dans le cas qui nous intéresse, le russophobe lui étant acquis, il a peu d'efforts à faire pour le maintenir sous sa tutelle. Comme je l'écrivais plus haut, on va plutôt chercher à le mouiller, à l'enfoncer encore davantage dans des absurdités et des contradictions, du genre bataillon Azov et "nos valeurs"... Mais pour un propagandiste de l'OTAN, la cible principale, la plus juteuse, c'est le pro-russe poutinolâtre, "droitardé", "complotiste". Le but étant de le faire passer de la qualité de simple idiot à celle d'idiot utile.
On a eu une belle illustration de la chose récemment. Tant et tant d'influenceurs poutinolâtres qui nous annoncent fièrement la "défaite de l'OTAN" en Ukraine, et la toute-puissance de l'armée russe. Exactement ce que l'OTAN veut entendre, puisque ça justifie le racket des deniers publics pour engraisser les marchands de canons, que ça fait vivre la fantomatique "menace russe", tandis que ces derniers piétinent dans la gadoue ukrainienne depuis deux ans et demi. Au rythme actuel de la progression russe, il leur faudrait plusieurs milliers d'années pour atteindre la frontière française, sachant que les problèmes démographiques chroniques du pays leur interdisent toute aventure. Si les Russes manient la menace nucléaire, ce n'est pas un signe de force, c'est exactement le contraire. Le seul discours sensé sur le sujet, c'est de reconnaître que la Russie n'est pas une menace, qu'elle n'a ni l'intention, ni l'intérêt, ni les moyens de menacer l'Europe occidentale, et par conséquent, l'OTAN est une simple machine de détournement de fonds publics, qui seraient bien mieux investis dans la santé, l'éducation, et de manière générale dans le bien-être des populations.
J'avais cité dans un précédent article monsieur Xavier Moreau, comme représentatif de ce phénomène d'idiot utile. Certains me l'on reproché, mais je pense qu'il est bon d'en rajouter une couche, tant le personnage est emblématique de la déchéance intellectuelle qui règne en France. Sur les affaires ukrainiennes, ce brillant analyste s'est trompé sur tout et tout le temps. Il dénigrait l'armée ukrainienne avant la guerre, ainsi que le complexe militaro-industriel du pays. Ayant moi-même étudié la question après l'enlisement du conflit, j'ai pu apprécier l'ampleur de la supercherie. Il n'a pas vu le conflit venir, soit, il n'est pas le seul. La guerre commence, il assure que tout sera fini en quelques jours. Il publie des cartes complètement fausses qu'il récupère sur internet, je le signale, car j'avais moi même produit une carte à j+5, qui m'a demandé de longues heures de travail, de collecte d'information, et qui montre précisément la vulnérabilité du déploiement russe. Je l'avais proposée sur un forum de discussion spécialisé, les adeptes de M. Moreau m'ont envoyé chier. Dommage pour eux, car la suite allait être douloureuse.
Au bout de 15 jours d'opérations, il était évident que les Russes s'étaient pris les pieds dans le tapis, mais pas pour M. Moreau, qui continuera à vendre de la « Blitzkrieg » pendant des semaines. La victoire s'éloignant toujours plus, M. Moreau est ensuite passé aux "chaudrons", qui devaient se refermer sur l'armée ukrainienne. Ce qui ne se produira jamais. Je confesse avoir ressenti une sorte de satisfaction perverse en voyant sa mine déconfite lorsqu'il a dû annoncer le repli massif et précipité des troupes russes fin 2022. Son public tombera alors dans la dissonance cognitive, certains de ses adeptes l'insultent, d'autres fabriquent des fantaisies, parlant d'une ruse, d'un piège russe. Fantaisies qu'on retrouvera dans l'affaire Prigojine quelques mois plus tard, notre public poutinolâtre étant définitivement fâché avec la réalité.
"Errare humanum est, perseverare diabolicum", monsieur Moreau, après ce piteux bilan, fera la tournée de tous les influenceurs de la mouvance pour nous annoncer la défaite de l'OTAN, rien que ça, début 2024, hypothéquant pour la 36e fois la peau de l'ours ukrainien, et servant la soupe à tous les atlantistes qui agitent la fantomatique menace russe. Sous les applaudissements d'un public, qui, c'est vrai, a cette vertu de ne pas être rancunier, contrairement à moi. Mais le cas Moreau est encore plus intéressant pour illustrer ce qu'est l'idiot utile contemporain : le réquisitoire n'est pas terminé.
En effet, il est aussi bon analyste qu'historien, et continue de faire la promotion de son ouvrage "Le livre noir de la gauche française". J'ai déjà produit un article dans lequel je montre les principales inepties de ce torchon, qui ne respecte aucune des règles fondamentales d'un véritable travail d'historien. Mais on peut aller un peu plus loin dans la critique de cet ouvrage. Que fait M. Moreau ? Il reprend la critique stéréotypée de la gauche américaine contemporaine, diffusée par le trumpisme, l'identifie à la gauche française, puis en fait un "historique" de ses débuts jusqu'à nos jours (avec de nombreux trous cependant).
Tandis que le phénomène historique réel et constatable, c'est que la gauche française a été éradiquée ces dernières années, au profit d'un ersatz américain incarné principalement par le wokisme. Impossible à faire rentrer dans le crâne de pigeon d'un droitardé : le wokisme n'est pas de "gauche", selon la définition traditionnelle de la gauche en France. M. Jean François Braunstein, professeur à la Sorbonne, l'a brillamment démontré : le wokisme est un produit du puritanisme américain, il est ontologiquement antagoniste aux fondamentaux de la gauche.
M. Moreau nous fait une "étude" sur la prétendue "gauche", mais n'a visiblement jamais entendu parler du rousseauisme et de la descendance philosophique du "contrat social", de Saint-Simon, des montagnards et de la sans-culotterie, de Baboeuf, du fouriérisme, du proudhonisme, de Jean Jaurès, etc, etc, etc... L'héritage de la gauche dans les coopératives, le tissu associatif, les acquis sociaux, bref...
Je pose la question au lecteur : comment s'appelle le phénomène consistant à supprimer des pans entiers de l'Histoire ? Oui, c'est bien de la "cancel culture" que pratique M. Moreau, dans la ligne des capitalistes américains qui sont en train de piller le pays, de détruire les institutions sociales qui ont garanti la qualité de vie des Français pendant des décennies, parce que celles-ci sont d'inspiration communiste, et qu'elles fonctionnent infiniment mieux que le casino pipé du marché prétendu libre et non faussé.
Je ne vais pas accabler davantage le malheureux M. Moreau, surtout que la liste des tristes sires de son espèce est longue, et qu'il n'y en a pas un pour rattraper l'autre.
A suivre...
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