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La société ne veut plus du « prêt à gouverner » de gauche produit par les think tanks

Ce n’est pas un scoop, l’Université d’été du PS a dévoilé l’image d’une formation politique en plein doute, frileuse, décomposée, hésitante. Alors, la main tendue par Bayrou n’est pas refusée. Et du côté des cercles de pensée, ceux qui se sont baptisés Gracques s’imaginent en sauveteurs du navire PS qu’ils vont renflouer avec des idées. Mais la gauche est-elle soluble dans la tactique des think tanks ?

Prêt à gouverner, la formule résonne avec toute son ironie spectaculaire, laissant planer une connivence avec les produits du marché et notamment, le prêt-à-porter dessiné par les stylistes et fabriqué par les industriels de la mode. En vérité, c’est exactement là où je veux en venir. Faire une comparaison entre la production des styles vestimentaires et une fabrication d’idées politiques amenées à être vendue dans les médias comme les différentes tenues d’un prêt à gouverner, avec un habillage pour la politique de l’enseignement, un costume pour la politique de la vie, un caleçon pour ne pas voir la nudité de la misère et renflouer les zones de pauvreté, etc.

On lira avec attention l’étude de Gilles Lipovetsky, L’Empire de l’éphémère, consacrée à l’histoire de la mode en Occident, depuis le Moyen Âge. Le chapitre III nous intéresse de très près. Il évoque le tournant pris par l’industrie de la mode dans les années 1950-1960. Lipovetsky évoque un nouveau stade dans l’histoire de la mode, radicalement différent du précédent, période définie comme celle de la « mode de cent ans », narrée dans le chapitre II fort instructif. Page 109, l’auteur évoque une mutation au cours de laquelle le couturier affirme son pouvoir démiurgique, impliqué dans une logique d’indépendance du modéliste face aux clientes de la mode. Autrement dit, dans l’ancien temps, les dames décidaient d’un style et le couturier s’exécutait ; alors que, dans nos temps modernes, les spécialistes de l’élégance organisent la mode en usant d’une logique bureaucratique, la même qui administre l’hôpital, l’usine, l’école. « Les couturiers ont légiféré au nom du goût et des nouveautés (…) la Haute Couture (…) a fait basculer la mode de l’ordre artisanal à l’ordre moderne bureaucratique » (pp. 109-110).

N’est pas ici la clé pour comprendre de quelle manière le PS a évolué et se trouve en déphasage avec la société de gauche. C’est une question de pouvoir, d’ascendant, de citoyenneté, de volonté populaire et d’imagination citoyenne. La démocratie participative allait dans le bon sens, mais s’est révélée dans son fonctionnement comme une caricature de ce qui devrait être le ressort d’une ascension au pouvoir de la gauche. Ne peut-on faire un parallèle entre la cliente de la mode de cent ans imposant son style et le citoyen de gauche imposant un certain modèle de société ? En dépit des dérives tyranniques (Tocqueville), ce dispositif paraît naturel puisque la politique doit servir les aspirations citoyennes et que nul n’est mieux placé que le citoyen éclairé et informé pour savoir ce qu’il est possible d’inventer, de proposer pour améliorer la société. Ce point de vue devrait être celui de la gauche, sous réserve que les citoyens aient encore des aspirations républicaines et le souci du prochain dans sa cité ou, mieux encore, son pays.

Sans doute, les anciens ont connu un temps, quelque part à la fin de la IIIe République, puis dans le sillage de l’Après-guerre, où la politique avait un enracinement dans la société et où les programmes, les réformes pouvaient s’inspirer de ce mélange entre les « stylistes » de la gauche et les aspirations culturelles dans la société. Une société du reste écoutée dans ses aspirations et considérée comme partenaire d’une aventure politique. Après Mai-68, lorsque les barricades culturelles furent abattues et que les couches sociales se sont parlé, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie et parfois pas du tout ; eh bien la politique de gauche menée par Mitterrand s’insérait dans ce partage et ce dynamisme par lequel les politiques prenaient en compte la société civile (Giscard, aussi, entrait dans ce schème bien qu’étant de droite).

Comme le dit Lipovetsky à propos de la transition dans l’histoire de la mode, il n’y a pas une rupture affirmée, mais une sorte de mutation, incarnée par l’ascension d’une production bureaucratique avec des défilés de mode, des stylistes réfléchissant dans leur laboratoire, des créateurs professionnels utilisant leur imagination sans tenir compte des clientes, mais en sachant soigner les plus en vue. Ce monde de la mode donne une puissante allégorie du monde politique. Avec les think tanks qui, tels des stylistes de la réforme, concoctent des idées, des mesures, des dispositifs, des taxes. Ensuite, défilés d’idée dans les médias, très dociles, reprenant les meilleures ou les pires réformes pour les présenter au public derrière l’écran. Les politiques ont des chargés de communication, des coachs, censés lancer les réformes à l’instar des tenues Saint-Laurent présentées sur le papier glacé des magazines féminins. Les meilleurs tops models défilent à la télé, habillés des réformes et sachant mettre en valeur une mesure comme un mannequin livre une étincelante émotion se dégageant d’un tailleur. Le meilleur top model à droite, c’est incontestablement Xavier Bertrand, maître dans l’illusion, sachant vendre les idées les plus tordues.

Le triste destin de la gauche, c’est de vouloir rivaliser avec le réformisme bureaucratique de la droite, de vouloir jouer les JP Gauthier du prêt-à-gouverner et le même en concurrence avec le Saint-Laurent rive droite du prêt-à-gouverner de la droite Dior Dior. Une fois la gauche en ordre de bataille, on ne verra plus trop la différence entre les deux programmes, ou à peine, comme entre un tailleur Dior et un autre Saint-Laurent. Le citoyen, comme la cliente de prêt-à-porter, se dira que l’un ou l’autre des styles de gouvernance peut être choisi le jour où il mettra le bulletin dans l’urne, une urne transparente griffée Starck, c’est le moins que peut réclamer le citoyen du marché des réformes !


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11 réactions à cet article    


  • Jordi Grau J. GRAU 9 septembre 2008 13:51

    Bonjour.

    Je suis d’accord avec votre analyse. La France a vécu une évolution comparable, avec un certain retard, à celle de la vie politique américaine : le débat sur l’image a de plus en plus primé sur le débat de fond. Comme vous, je pense que les enjeux fondamentaux échappent de plus en plus à la volonté des citoyens. Ce que je reprocherais à votre article, c’est qu’il ne tente pas d’expliquer cette dérive. Pour ma part, je proposerai une explication, qui n’a pas la prétention d’être exhaustive ni d’être originale, mais qui me semble pertinente.

    Si la politique est devenue en grande partie une affaire de mode et de style (dans le sens le plus superficiel du mot), c’est parce que les partis dominants se sont rapprochés. Aux Etats-Unis, les divergences idéologiques entre démocrates et conservateurs se sont progressivement estompées. En France, cela fait longtemps que le PS s’est rapproché du RPR puis de l’UMP. La trahison récente d’un certain nombre de socialistes (Bockel, Besson, Kouchner...) n’est que la suite logique d’une évolution plutôt ancienne. Remarquons aussi que, sur des questions fondamentales (économie, politique sécuritaire), la gauche s’est davantage rapprochée de la droite que l’inverse. Les gaullistes des années 60-70 étaient, dans le domaine économique, bien plus à gauche que les socialistes actuels. Et cela s’est vu aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe. 

    Il serait trop long d’expliquer cette évolution. Elle tient pour une bonne part à l’affaiblissement du mouvement ouvrier. Même si ce mouvement,dans certains pays, a favorisé l’apparition de dictatures, il a aussi - dans les pays restés démocratiques - beaucoup contribué au débat politique. Face à une agitation révolutionnaire ou quasi-révolutionnaire, il fallait trouver des compromis entre les intérêts des capitalistes et ceux du patronat. Une série d’événements (mac carthysme aux Etats-Unis, crises pétrolières, arrivée au pouvoir d’économistes néolibéraux dans la Chili de Pinochet, dans l’Argentine des généraux, dans l’Amérique de Reagan et le Royaume-Uni de Thatcher, chute de l’Union soviétique, dérèglementation des marchés financiers....) ont complètement changé la face du monde. Un consensus droitier s’est installé un peu partout. La démocratie est devenu, à bien des égards, un passe-temps sans grands enjeux,où l’on se bagarre sur des points de détail faute de pouvoir proposer de véritables réformes (j’entends par là des progrès, et non ces régressions que la propagande gouvernementale et médiatique appelle "réformes").


    • geko 9 septembre 2008 16:01

      En démonstration de cet Excellent lire :John Disco McCain crée la surprise

      Quand je pense à Fillon qui a le cinysme de parler de domination intellectuelle ! En guise d’élection démocratique on nous organise des jeux de targe dont le côté people est surement le plus symbolique de cette société décadente !


    • Bernard Dugué Bernard Dugué 9 septembre 2008 16:48

      Bonjour,
      Pour répondre à votre question, je verrais deux causes parmi d’autres,

      Les médias, la société du divertissement et le désinvestissement citoyen moins disponible pour inventer des politiques républicaines

      Et puis cette technicisation du pouvoir et de l’Etat si bien que ceux qui rendent complexes et opaques les rouages, masquant les possibilités, sont les mêmes qui produisent bureaucratiquement les prêts à gouverner. La politique est devenue une usine à gaz, alors chacun voit et réfléchit sur quelques vannes et tuyaux mais sans voir l’ensemble


    • Francis, agnotologue JL 9 septembre 2008 17:59

      Le prêt à gouverner c’est ce que reprennent à l’unisson les médias : "travailler plus pour gagner plus" en est le plus retentissant exemple.

      Notre penseur d’Aquithènes, qui disait penser à gauche, nous propose ici avec sa formule : " La société ne veut plus du prêt à gouverner de gauche", un magnifique exemple de "prêt à penser".


      • Bernard Dugué Bernard Dugué 9 septembre 2008 19:56

        Vous êtes un peu binaire dans vos propos,

        Et puis, l’essentiel, c’est être d’une gauche efficace et d’avenir, pas une gauche de bêlement et si c’est cela être de gauche, pester contre la droite ... alors je me défends de penser à gauche, et de pencher à gauche


      • SojaRouge 9 septembre 2008 18:01

        Pourquoi n’y-t-il que les gens de droite (ou les extrêmes et leur discours tout se décide à Bruxelles) pour continuer à prétendre que gauche et droite c’est la même chose ?
        N’en avez vous pas marre de prendre les gens pour des imbéciles à répéter toujours les mêmes mensonges en espérant que les gens vont finir par vous croire ?

        Toute personne ayant vécu sous Jospin et Balladur/Raffarin/Villepin/Sarkozy (pardon, Fillon) a pu noter une énorme différence. Qu’elle soit dans le grand patronat ou dans la "plèbe", les politiques proposées et appliquées par l’UMP et le PS changent considérablement les conditons de vie des gens à tout niveau de la société.


        • Jordi Grau J. GRAU 9 septembre 2008 18:32

          Bonjour SojaRouge. 

          Je ne suis pas de droite, et je ne pense pas non plus être un extrémiste. En tout cas, je ne dis pas : "Tout se décide à Bruxelles". Et pourtant, je suis persuadé qu’il y a eu un rapprochement progressif de la droite et de la gauche, et pas seulement en France. Cela ne veut pas dire que le PS et l’UMP sont parfaitement interchangeables, bien entendu (de même qu’il y a sans doute d’importantes différences entre Mc Cain et Obama). Seulement, il y a un accord sur des questions de fond, et notamment sur le plan économique (ce qui n’est pas rien, puisque l’argent est le nerf de la guerre). C’est sous Mitterrand, par exemple, que la France a décidé de déréglementer les flux financiers. On a beau jeu de parler de "mondialisation" comme si c’était une fatalité, un rouleau compresseur surgi de nulle part : cette mondialisation n’est pas un phénomène naturel, mais un événement historique, fruit d’une série de décisions politiques. Or, ces décisions ont été prises en grande partie par des gens étiquetés à gauche.

          Il en va de même pour l’Union européenne (qui est d’ailleurs un fer de lance de la mondialisation libérale, même si on a voulu nous faire croire qu’elle serait un rempart contre la puissance américaine ou la puissance chinoise). Certes, tout ne se décide pas à Bruxelles. Vous avez parfaitement raison sur ce point. La politique européenne, on le sait, est décidée en commun par les gouvernements des différents pays membres (même si, souvent hypocritement, ils se défaussent sur Bruxelles lorsqu’ils ont une décision impopulaire à faire passer). Ce sont d’ailleurs ces mêmes gouvernements qui nomment les fonctionnaires de la commission européenne. Mais ce simple fait montre bien qu’il y a une convergence entre la droite et la gauche. Car les gouvernements de gauche n’ont rien fait, bien au contraire, pour orienter l’Union européenne dans un sens plus social. L’Union européenne impose des règles communes dans de nombreux domaines (monétaires, budgétaires, sanitaires...), et parfois d’une façon très tâtillonne. En revanche, elle encourage une concurrence éhontée en matière de fiscalité et de droit du travail. Autrement dit, elle promeut une politique droitière, en favorisant le moins-disant social. Sur tous ces points, les socialistes français (tout comme les socio-démocrates allemands et les néo-travaillistes britanniques) ont une lourde responsabilité. A la fin des années 90, trois grands pays européens (la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni) étaient gouvernés par des pays étiquetés à gauche. En ont-ils profité pour harmoniser l’Europe par le haut ? Pas du tout. Scénario comparable en 2005, ou la majorité des socialistes a manqué une occasion historique de dire : "L’Union européenne telle qu’elle existe aujourd’hui ne fonctionne pas. Ou plutôt, elle ne sert que les intérêts des plus riches. Il faut tout reprendre à plat, et surtout pas ratifier une constitution nettement orientée à droite".

          Rougement vôtre,

          J.G.


        • Bernard Dugué Bernard Dugué 9 septembre 2008 19:52

          Zetes pas un peu envieux, Léon, avec l’autre client des cabines d’essayage du prêt-à-lire ?


        • krolik krolik 9 septembre 2008 22:02

          Il peuvent reprendre des thèmes connus, comme par exemple :

          - Pour un capitalisme à visage humain.
          Dans la mesure où le marxisme a fait un gros flop et que l’on ne sait plus trop qu’est-ce qu’il y a dans le socialisme.
          On a eu la "Gauche caviar" elle n’était pas capitaliste, mais ça a été la grande période pour faire des coups en bourse et délits d’initiés.
          Alors autant appeler un chat, un chat..
          Et puis 40 ans après l’entrée des chars à Prague ou Dubcek essayait d’aller vaille que vaille vers un "Socialisme à visage humain"...
          C’est une forme de "prêt à porter".

          @+


          • Nathan Nathan 10 septembre 2008 00:00

             C’est la peur de prendre des risques qui freinent les socialistes actuellement et les mènent comme vous le notez à produire du prêt à penser ou prêt à gouverner. Votre texte n’est pas du prêt à lire car il est audacieux dans sa comparaison ... Chez les politiques, les enjeux locaux ou individuels sont trop gros pour se lancer dans des vagues révolutionnaires. Je pense qu’inconsciemment ils attendent leur Sarkozy qui les mènera tambour battant. Alors personnellement, mais je dis bien personnellement, et je ne suis pas de gauche, et ceci n’est pas stratégico-anti-gauche, j’ai un faible pour Moscovici (et non je ne suis pas homo non plus .. :) ). Pour moi c’est le meilleur, ou le moins mauvais pour prendre le relais de Hollande en tant que secrétaire général du parti. Mais je ne le vois pas pour l’instant présidentiable ... 


            • Boduacus 10 septembre 2008 11:58

              Bien que me situant plutôt à gauche, et parfois même patageant des opinions avec la gauche extrême, J’approuve totalement ce que vous dites sur la timidité des socialistes.

              Je partage aussi votre opinion sur Moscovici, encore que son intervention au sujet des photos de taliban parues dans Match ne m’ait pas enchanté. Et puis, j’attends de lui, comme de tous les prétendants socialistes, qu’il affiche une position claire sur la Palestine.

              Comme vous, je ne le vois pas présidentiable, mais je ne voudrais pas qu’au poste de secrétaire général du parti, il fasse le lit d’un « socialiste-caviar » comme Strauss-Kahn.

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