La Vérité, la Raison et la Foi
Non, l’islam à lui seul n’est pas le problème. Le problème est la Vérité... Le problème vient des trois religions dites abrahamiques qui se sont imposées à une partie de l’humanité en se prévalant d’une Vérité divine révélée par la voix de leurs prophètes. C’est cette vérité prophétique qui pose problème. Elle avait amené Averroès à lui apposer une vérité philosophique afin de pouvoir exprimer et faire avancer ses spéculations… Pourtant il était loin de proférer hérésies.
En vérité, l’islam naissant avait du mal à s’imposer parmi les Mekkois et notamment les Khoreychites, contribules de Mohamed, lesquels voyaient en lui un hurluberlu et accueillaient à coups de sarcasmes, de moqueries et même de jets de pierres et d’ordures ses prêches ponctués du récit de sa rencontre avec l’archange Gabriel et de son ascension dans les sept cieux... Du reste, ils avaient fini par le bannir. Et, c’est confiné à Yathrib (future Médine) dont les habitants avaient accepté de lui prêter l’oreille qu’il put libérer son discours et affirmer ses croyances. Cependant, dans cette ville vivaient trois tribus juives. Et Mohamed voulut saisir l’occasion de se présenter à ces « gens du Livre » comme le Prophète qu’ils attendaient ; celui annoncé par la Torah. Certes ces juifs l’écoutèrent avec un certain intérêt : il connaissait leurs Ecritures et leur parlait de Moïse... Mais pouvaient-ils voir en lui ce Messie que le rabbin Caïphe en personne n’avait pas reconnu en Jésus, lui-même juif et se prétendant « roi des juifs » ; il n’y avait vu qu’un usurpateur et n’avait pas hésité à le livrer au gouverneur Ponce Pilate pour le faire crucifier. C’est donc dans ce contexte où, rejeté par les juifs, que Mohamed dut revenir sur la sourate des mécréants ou des infidèles, 109ème sourate du Coran, texte par lequel il avait pourtant pris acte de l’existence d’autres religions et indiquait ses intentions par rapports à leurs adeptes. Cette sourate est ainsi formulée :
Dis-leur, Mohamed : « Oh vous incroyants !
Je n’adore pas ce que vous adorez,
Vous n’adorez pas ce que j’adore,
Je n’adorerai pas ce que vous adorez,
Vous n’adorerez pas ce que j’adore :
À vous votre religion ; à moi la mienne ».
Malheureusement Mohamed ne s’en tint donc pas à cette sourate qui affublait sa nouvelle religion d’un esprit de tolérance. Au fur et à mesure que s’affermissait son pouvoir sur Médine, il allait enrichir et étoffer le Coran - qui lui était dicté à ses dire par l’ange Gabriel - de croyances, les unes reprenant celles de la Torah ou des Evangiles, d’autres jetant l’anathème sur ces mêmes livres attribués en l’occurrence à des « mécréants qui ont déformé la parole divine » ou vouant tous les infidèles au feu éternel de la Géhenne, voire à l’élimination physique ainsi que l’indique la sourate de la Vache :
190. Combattez vos ennemis dans la voie de Dieu, et ne sortez jamais de celle-ci...
191. Tuez-les partout où vous les rencontrerez et chassez-les d’où ils vous ont chassés : (…).
Ainsi certaines vérités débitées par les sourates semblent-elles venir en écho à celles énoncées dans la Bible. Et Moïse, prophète et messager, né dans la cour du Pharaon, est cité 120 fois, « raconté en toute vérité » (Coran 28 : 3-4). Puis, cité dans 13 sourates, Jésus, fils de Marie, fille de ‘Imran, né dans les circonstances contées par les Evangiles. Et Adam, et Eve, et Caïn et Abel… Sans oublier Abraham ni Agar, son esclave, mère d’Ismaël… Ou David et Salomon… Ou encore des histoires telles que celle de la Caverne d’Ephèse, etc.
Et, par-delà ces personnages, dont beaucoup sont purement légendaires, aussi fictifs que des personnages de roman, le Coran répète ce que dit la Bible au sujet de l’univers, créé en six jours et ayant la terre fixe en son centre. Dans la sourate du Créateur, verset 41, il est dit que « Allah retient les cieux et la terre pour qu’ils ne s’affaissent pas. Et s’ils s’affaissaient, nul autre après Lui ne pourrait les retenir… » Tandis que selon la sourate Ya-sin, verset 38 « le soleil court vers un gîte qui lui est assigné ». Dans le Psaume Dieu Roi de l’univers, les auteurs de la Bible ont écrit, ligne 93 : « Tu as fixé la terre, immobile et ferme ». Ils avaient repris la théorie géocentrique conçue par Ptolémée, qu’avait soutenue Aristote, et qui restera d’ailleurs en vigueur jusqu’à la révolution héliocentrique déclenchée à la fin du 16ème siècle suite aux découvertes de Galilée, Kepler et Copernic. Ce dernier reprenaient de fait celles des astronomes arabes Nasr ad-Din at-Tusi (1201-1274) et Ibn Al-Shatir(1304-1375) qui, les premiers, avaient émis l’idée des rotations de la Terre. Celles-ci ont remis en question non seulement le géocentrisme, mais aussi la valeur des textes bibliques, entraînant du même coup dès la fin du 17ème siècle le doute sur les croyances religieuses et le scepticisme dont fut marqué le siècle des Lumières. A vrai dire, le doute sur ces croyances religieuses avait commencé à se manifester près de 10 siècles auparavant. Le débat avait été ouvert au 8ème siècle à Bassorah par le penseur Wasil ben ‘Ata et son ami ‘Amr ibn ‘Ubeïd, fondateurs de l’école mu’tazilite, qui posèrent par exemple la question de savoir s’il fallait accepter ou rejeter le caractère absolu et éternel des ordres et des interdictions composant la révélation divine. Désirant combiner les doctrines de l’islam avec les principes inspirés de la philosophie grecque, ils fondèrent donc une théologie sur les bases d’un discours logique et rationnel posant le scepticisme comme point de départ du raisonnement dialectique pour parvenir à la certitude. Théologie adoptée par Al Ma’moun (786 – 833), fils de Haroun er-Rachid et calife éclairé, qui avait fait traduire en arabe les philosophes grecs et l’Almageste de Ptolémée.
Viendront dans cette lancée les philosophes Al Farabi – appelé « le Second Maître » (après Aristote) par Averroès et Maïmonide, – Avicenne, Al-Ghazali et le même Averroès. Pour faire avancer ses spéculations, celui-ci avait été amené à apposer une « vérité philosophique » à la vérité prophétique en affirmant que le Coran possède un « sens obvie ou apparent et un sens caché ou profond » et que partant, « la religion n’est jamais en désaccord avec la philosophie ». Thèse qui sera adoptée par ses disciples juifs et chrétiens, de Maïmonide à Thomas d’Aquin qui, à leur tour, chercheront à concilier les contenus de la révélation biblique avec ceux de la pensée aristotélicienne.
Alors qu’il avait émis des thèses qui remettaient en question les révélations de la Bible et du Coran, Averroès n’éveillera de son vivant les soupçons des Oulamas qu’autour de sa pratique religieuse. Il lui sera en fait reproche d’émettre des blasphèmes, comme celui d’avoir désigné les prophètes abrahamiques comme étant « trois imposteurs ». Ce qui lui vaudra un bref bannissement en 1195 et l’assignation à résidence à Lucena, non loin de Cordoue. Il termina sa vie trois ans plus tard à Marrakech auprès du roi Ya’qub al-Mansour en qualité de médecin personnel.
Pourtant ses spéculations tendaient à démentir les Ecritures en affirmant que :
- Il n’y a jamais eu de premier homme ;
- Le monde est éternel ;
- La volonté humaine veut et choisit par nécessité ;
- L’âme, qui est la forme de l’homme en tant qu’homme, périt en même temps que son corps ;
- Après la mort, l’âme étant séparée du corps ne peut brûler d’un feu corporel ;
- Dieu ne connaît pas les singuliers ;
- Dieu ne connaît que lui-même ;
- Les actions de l’homme ne sont pas régies par la Providence divine ; etc.
Thèses qui ont circulé au sein de la scolastique latine et animé le débat et les spéculations à la faculté des arts de Paris tout au long du siècle qui suivit la mort d’Averroès, jusqu’au jour où les philosophes chrétiens, et du même coup l’averroïsme qu’ils dispensaient, furent soupçonnés d’athéisme. La double vérité qu’ils professaient ne pouvait ne pas apparaître comme dangereuse aux yeux des théologiens de l’époque et l’italien Thomas d’Aquin (né dans le royaume de Naples en 1225), qui tentait quant à lui de réconcilier la pensée d’Aristote avec les dogmes chrétiens, était troublé par le fait qu’on « osât assimiler un article de foi à une opinion philosophique ». Et, prenant distance par rapport à Averroès, il écrivit : « S’ils disent cela, c’est donc qu’ils pensent que la foi porte sur des contenus dont on peut affirmer le contraire par un raisonnement nécessaire. Donc, puisqu’un raisonnement ne peut établir nécessairement que ce qui est à la fois vrai et nécessaire, et que l’opposé du vrai nécessaire est le faux et l’impossible, il résulte de leurs propos mêmes que la foi porte sur quelque chose de faux et d’impossible ».
En 1270, Etienne Tempier, évêque de Paris, interdit l’enseignement des thèses d’Averroès, désormais considérées comme « erreurs exécrables »…
Pourtant les vérités philosophiques d’Averroès ne relevaient pas de l’erreur. Il ne proférait pas des hérésies. Lui, qui n’avait que ses yeux pour scruter le ciel et son intelligence pour juger de la réalité des choses, croyait que dans l’immensité du cosmos d’autres mondes pareils au nôtre pouvaient exister, et ne pouvait ne pas croire que l’ascension de Mohamed dans « les sept cieux » sur le boraq, cheval ailé à tête de femme, était d’une naïveté, pour ne pas dire niaiserie déconcertante, ou que l’immaculée conception de Jésus ou encore la séparation des eaux de la Mer Rouge par Moïse appartenaient au domaine des contes et des fables.
Pour ces mêmes croyances, pour avoir remis en question le géocentrisme et affirmé à son tour que « l’univers est infini et peuplé de mondes pareils au nôtre », le frère dominicain et philosophe italien Giordano Bruno fut condamné par le cardinal Robert Bellarmin à être brûlé vif. Et il le fut le 17 février 1600 sur la place de Rome où se dresse sa statue et qui porte un nom chargé de dérision : Campo dei Fiori…
Quatre siècles se sont écoulés depuis. Quatre cents ans au cours desquels la science n’a cessé de progresser et de procurer à l’humanité les moyens d’améliorer sa condition et de mieux se connaître soi-même et d’approfondir sa connaissance de l’univers. Malgré cela, les dogmes de la foi, ceux des trois religions abrahamiques, appartenant aux « révélations divines », continuent jusqu’à nos jours à résister à celles de la science, et même à les défier en accordant aux « textes sacrés » des interprétations au bout desquelles on voit par exemple le mot jour exprimer une dimension temporelle que l’on pourrait mesurer en millénaires…
Cependant l’on ne peut faire fi des découvertes archéologiques et cosmographiques qui ne cessent de révolutionner depuis la fin du siècle dernier nos connaissances en tous domaines, en particulier au niveau de l’histoire de l’humanité et de la constitution de l’univers. Les puissants télescopes Hubble et Kepler, ainsi que diverses sondes spatiales ont donné raison à Averroès et Giordano Bruno en révélant l’existence d’exoplanètes susceptibles d’abriter une forme de vie.
Et, en 2001, les archéologues Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman publiaient dans leur livre La Bible dévoilée les résultats de cent cinquante ans d’exploration archéologique de l’Égypte ancienne et un siècle d’archéologie palestinienne. Au sujet du peuple hébreu réduit en esclavage en Egypte ils écrivent : « ... nous n’avons pas la moindre trace, pas un seul mot, mentionnant la présence d’Israélites en Égypte : pas une seule inscription monumentale sur les murs des temples, pas une seule inscription funéraire, pas un seul papyrus ». S’appuyant sur les travaux des archéologues, ainsi que ceux de nombreux historiens et autres confrères, l’égyptologue allemand Rolf Krauss a rédigé un ouvrage édifiant, Moïse le pharaon, dans lequel il explique de façon catégorique et sans faille au moyen d’une documentation étendue, méticuleuse et ne laissant nulle place au doute : il n’y a pas eu de séjour des Fils d’Israël en Égypte ; pas plus que les Israélites en sont sortis, qu’ils n’ont conquis par les armes le pays de Canaan, et ce que la Bible raconte à ce sujet a été inventé du début à la fin ». Rolf Krauss montre comment les rédacteurs de la Bible ont inventé Moïse en s’inspirant de l’histoire d’un obscur pharaon, Masesaya - dont la contraction du nom donne Mose -, petit-fils de Ramsès II. Ils ont tout simplement calqué leur légende sur la vie réelle de Masesaya, de la naissance incestueuse - Masesaya était fils de Takhât, fille de Ramsès II et sœur de Mérenptah, donc tante de Sehti II qu’elle avait épousé - à la lutte pour le trône et la révolte. Sauf que Masesaya, dont les traces se perdent au pays de Koush en Nubie, noyées dans les profondeurs de l’histoire égyptienne, ne fut pas exposé aux eaux du Nil dans un berceau en osier...
Ces révélations font s’écrouler tout l’édifice des révélations prophétiques. Moïse, que Maïmonide appelait « Notre Maître » et considérait comme « père de tous les Prophètes, ceux qui l’ont précédé et ceux qui l’ont suivi », est un personnage surgi de la fantaisie humaine, comme tous les miracles que lui ont attribués les rédacteurs de la Bible. Que Mohamed l’ait vu au cours de son voyage fantastique dans les cieux, installé au sixième ciel juste avant Abraham qui siégeait au septième, semble pour le moins une pure allégorie. L’admettre au titre d’extravagance onirique est le maximum que puisse accorder la Raison. L’imposer au nom de la Foi comme vérité sainte et sacrée revient à une offense au bon sens.
Mokhtar SAKHRI
Mokhtar Sakhri est auteur de l'essai Les démons de la foi - Edilivre - 2012.
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