Le 5 janvier 2009, un nouveau régime a-t-il remplacé en douce la 5ème République ?
Les historiens retiendront-ils le 5 janvier 2009 comme le jour où la 5ème République s’est esquivée en douce par une porte dérobée ? La 3ème République s’était bien invitée à l’improviste, un 30 janvier 1875, dans une Chambre des députés qui n’en voulait pas, par une autre porte dérobée, celle d’un amendement du député Wallon adopté à une petite voix de majorité : il se contentait de stipuler que « Le Président de la République est élu par le Sénat et la Chambre réunis en Assemblée nationale. » C’était à l’origine la seule mention du mot « République » dans les nouveaux textes constitutionnels qui allaient régir le pays jusqu’en 1940.

L’offense faite au Sénat
Le 5 janvier 2009 a été en effet appliquée une mesure figurant dans un texte de loi qui n’avait pas été encore adopté par le Parlement. Seule, l’Assemblée nationale l’avait voté en première lecture en décembre 2008. Son examen par le Sénat devait commencer deux jours plus tard, le 7 janvier. Il est toujours en cours à la haute assemblée.
Sans doute a-t-on entendu des sénateurs gémir et protester, toutes tendances confondues. Selon le journal Le Point.fr (1), M. Poniatowski (UMP) « (a eu) le sentiment d’être pris pour un zozo ou pour le dindon de la farce. ». Le rapporteur, M. Thiollière (UMP) s’est dit « blessé ». Mme Morin-Dessailly (UC)a déploré une « immense frustration ».
Dépassant ces réactions individuelles d’amour-propre, M. Plancade (Radical RDSE) a estimé avec plus de justesse qu’il s’agissait d’un « affront infligé au Sénat ». Quant à l’ancien Premier Ministre M. Raffarin, il a résumé on ne peut mieux le problème : « Il y a une décision qui est prise, a-t-il dit, et un texte de loi qui n’est pas voté. La situation est inconfortable. Ce qui est assez désagréable, c’est que c’est ou le vote ou la crise puisque la décision est prise », et même déjà appliquée, aurait-il pu ajouter.
C’était, en effet, le dilemme incroyable devant lequel s’est trouvé le Sénat. Il a choisi non de se démettre mais de se soumettre en acceptant de débattre d’une loi dont l’une des mesures phares, la suppression de la publicité sur les chaînes publiques de télévision, a déjà été imposée autoritairement par le président de la République.
De sérieux motifs d’opposition
Refuser d’examiner le projet de loi, comme l’a très bien vu M. Raffarin, revenait, il est vrai, à entrer en conflit ouvert avec le président par gouvernement interposé. Les plus sérieux des motifs pourtant pouvaient le justifier :
- Le gouvernement attentait à la séparation des pouvoirs en empiétant sur ceux du pouvoir législatif. La mesure litigieuse, en étant partie intégrante du projet de loi sur l’audiovisuel, ne relevait-elle pas du domaine exclusif de la loi et non de celui du règlement ?
- D’autre part, le gouvernement ne se rendait-il pas coupable d’une offense au Parlement, en signifiant par cette application prématurée de la loi avant son adoption qu’il se moquait pas mal de sa fonction et de ses prérogatives, la preuve étant qu’il s’en passait hardiment ?
- Enfin, ces violations de la constitution n’impliquaient-elles pas une sanction à la hauteur de leur gravité ?
La porte ouverte à un nouveau régime ?
L’implication directe du président de la République dans la manœuvre, en rejetant le gouvernement dans une fonction subalterne, conduisait sans aucun doute à un bras de fer institutionnel. Le pays en a connu d’autres dans le passé. Ici, de toutes les issues, la moins dramatique était d’imposer un recul stratégique au président en l’obligeant à annuler la mesure litigieuse dans l’attente de son adoption éventuelle par le Parlement.
C’était à ce prix que le principe de la séparation des pouvoirs pouvait être réaffirmé à un président qui le transgressait, et la dignité du Sénat, respectée.
Celui-ci tenait une occasion rêvée de renforcer les pouvoirs du Parlement, bien mieux que la révision constitutionnelle de juilllet 2008, face à un exécutif envahissant dont les actes démentent les paroles. C’est, en effet, l’ironie de la situation que de voir le Sénat offensé au moment même où le président prétend donner au Parlement plus de pouvoirs.
En préférant transiger sur le principe et se soumettre pour éviter la crise, le Sénat n’a-t-il pas ouvert une porte dérobée à un autre régime politique où, à l’avenir, fort de ce précédent, le président de la République pourra renouveler la manœuvre, voire ne plus soumettre au Parlement des mesures relevant du domaine de la loi et se passer de son contrôle ?
Un régime où l’exécutif fait lui-même la loi sans recourir au Parlement peut toujours sans doute s’appeler République, c’est vrai. Parmi ses nombreuses expériences constitutionnelles, la France en a déjà connu : la constitution de l’An XII (1804) déclarait bravement dans son article 1er : « Le gouvernement de la République est confié à un empereur, qui prend le titre d’Empereur des Français. ». Mais pareil régime « républicain », on le voit, s’éloigne de la démocratie. Le Sénat qui se targuait d’assurer un équilibre entre les institutions, a-t-il mesuré les conséquences possibles de cette démission que signifie sa soumission ? Paul Villach
(1) Le Point.fr, 7 janvier 2009 modifié le 8 janvier 2009
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