Le bide de la « Net campagne »
Le titre est, certes, un peu provocateur. Mais de nombreux internautes et journalistes, dont moi, prévoyaient que la campagne sur le net allait être cruciale. Cela n’a pas eu lieu. Pour plusieurs raisons, l’Internet, même s’il fut très employé, n’a pas changé le résultat. Au pire, il a même donné des illusions à certains
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Plus de 50 % des Français sont abonnés à l’Internet, dont la plupart au haut débit. Deux candidats se sont emparés rapidement de ce média, François Bayrou et Ségolène Royal. L’un ou l’autre ont répondu favorablement aux forums qui leur étaient proposés, les deux se sont souciés attentivement de leur blog (ou site) respectif, chacune de leur équipe envoyait des mails quotidiennement, même parfois, plusieurs fois par jour (S. Royal). Souvenons-nous que la presse raillait le retard de Sarkozy en la matière, notamment à propos de sa réactivité, bien que l’UMP a envoyé pas mal d’emails à des correspondants mal triés, ce qui est, en principe, contre productif.
Pas de sondage sur l’Internet
J’ai participé régulièrement aux sondages des journaux ou des sites Internet qui proposent des « sondages » sur des sites très fréquentés tel que « expression-public.com » qui recueillent des milliers de votes. « Sondage » n’est d’ailleurs pas le terme approprié : un sondage réalisé par un institut doit répondre à un certain nombre de règles précises, fixées par la loi. Sur l’Internet, rien de tel. Les sites de journaux ou de débats livrent des chiffres bruts, sans tenir compte, par exemple, de la notion d’échantillon représentatif ou de la nécessité de « redresser » les résultats en fonction des échantillons. Remarquons au passage, que ce « redressement » a fait l’objet de multiples critiques avant l’élection. Or, ces pratiques si discréditées ne doivent pas si mal fonctionner, puisque la totalité des instituts de sondages annonçaient la victoire de Sarkozy à 1 ou 2 % près. Par conséquent, il n’y a pas de « sondage » sur le net. Il ne s’agit que d’une sorte de « micro-trottoir » virtuel, comme tous les journalistes en font régulièrement. C’est-à-dire, des opinions biaisées par le mode de questionnement.
Le net pour Ségolène Royal
La plupart des sondages sur le net étaient favorable à Ségolène Royal. Encore ces jours ci, sur un site de « citoyen », les mécontents de la victoire de Nicolas Sarkozy sont 53 %... Tous les sondages et les avis émis sur le net étaient favorables soit à S. Royal, soit à F. Bayrou. Comme je suis adepte des forums depuis plusieurs années, je me suis aperçu qu’un avis sur le net pouvait se trouver confirmer par un sondage auprès de toute la population par la suite, voire même par un vote. Cela dit, un délais de deux à trois mois est nécessaires, comme si les internautes, catégorie CSP plus, représentaient des leaders d’opinions, et que ce délai était nécessaire afin que l’ensemble du pays partage leur avis précurseur. J’avais remarqué que cela c’était passé un peu comme cela pour les précédentes élections, où les internautes, dans leur « sondage » manifestaient un rejet massif de Raffarin. Mais ce ne fut pas le cas cette fois ci. Les internautes ont voté en majorité Royal et le pays a voté Sarkozy. Par ailleurs, j’ai « commis » un article anti-Le Pen sur Agoravox après son passage à l’émission de Serge Moati. D’une part, j’ai eu des votes pour mon article très défavorables, ce qui était une première, et d’autre part, plus d’une centaine de réaction, toute allant dans le même sens, c’est-à-dire favorable à Le Pen. Si l’on s’en tenait à ces indicateurs, S. Royal aurait été élue et Le Pen aurait fait un bon score. Or, ni l’un ni l’autre ne s’est produit Il s’agit maintenant que la communauté des internautes, et principalement ceux qui aiment les sites citoyens comme Agoravox s’interrogent.
Le vote Sarkozy : personnes âgées en milieu rural
Il suffit d’une rapide analyse. Ségolène Royal a fait de très bons scores dans les villes, y compris Bordeaux et Paris, et les moins de trente ans ont voté en majorité pour elle. A l’inverse, le nouveau président de la République a été élu majoritairement par les plus de 65 ans et le milieu rural. Il ne suffit pas d’être grand clerc pour s’imaginer que ceux qui ont déposé un bulletin dans l’urne au nom de N. Sarkozy n’étaient, en général, pas connectés et, encore moi, adeptes des forums. Par conséquent, la majorité « sarkozienne » semble être à l’inverse de la majorité « internaute ».
Il existe une autre raison que les partis politiques feraient bien de méditer. J’ai moi-même envoyé des mails, des articles, des liens etc et j’en ai reçu beaucoup. Cela dit, toutes ces correspondances restaient dans mon cercle d’amis ou de connaissances politiques. Les NTIC sont ainsi faites qu’il est facile de correspondre avec son « cercle », mais qu’en revanche, il n’y a pas d’annuaire, de liste, etc.. qui pourrait rassembler des personnes plus éloignées. Ainsi, ceux qui ont participé à la « Net campagne » ont réagi exactement comme des lecteurs de journaux d’opinion : ils ont certes envoyé des messages mais restant dans leur cercle, sans essayer de toucher des amis d’opinion plus diverse ou inconnu. L’utilisation du net ne diffère pas de l’utilisation que la plupart font de leur journal : ils achètent le quotidien ou l’hebdomadaire qui correspond le plus à leur opinion. De la même façon, les messages sur la Toile étaient envoyés à ceux qui sont le plus voisins de l’opinion des émetteurs. Quelle est l’utilité d’envoyer la vidéo à propos de l’UMP protégée par des dizaines de policiers à ses amis personnels ? A faire ce militantisme en cercle fermé, on n’a peu de chance de l’emporter, puisqu’il faut surtout convaincre des cercles plus lointains.
Net citoyen : la question du journalisme
Le Net n’a donc pas été un outil prédominant pendant la campagne. La seule chose qu’on peut accorder, c’est qu’avec le Net plus les appareils photos vidéos, rien ne peut plus être vraiment secret. Ainsi, la vidéo de S. Royal parlant des 35h pour les enseignants... Mis à part ces épiphénomènes, la campagne sur le net n’a pas bouleversé les rapports de forces. Certains l’ont peut être cru, quand ils ont bu Bayrou ou Royal en tête. Mais l’Internet n’est pas représentatif de la population, bien que plus de 50 % des foyers soient maintenant équipés. Un dernier élément à prendre en compte est sans doute la question du journalisme. Un journaliste professionnel, outre sa formation, s’oblige -en principe- à respecter des règles, a transmettre une information hiérarchisée et vérifiée. Sur la toile, rien de tout cela... N’importe qui peut donner son opinion, y compris quand elle s’avère reposer sur des fondamentaux archi faux.
Si le « Net citoyen » veut survivre et prospérer, il doit probablement intégrer des règles professionnelles, n’être pas seulement des avis et commentaires des uns et des autres, mais reposer sur des faits et emprunter aux règles du journalisme professionnel. Mais, quoiqu’il en soit, le Net reste, finalement, un média comme les autres : on achète le journal qui correspond le mieux à nos opinions. De la mêm façon, sur le net, on va sur les sites qui nous confortent.... Illusion, quand tu nous tiens !
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