Sarkozy n’a pas changé ou alors s’il a changé, c’est pour devenir le même en pire, au service du même empire. Pourtant, il a fait quelques progrès notables dans l’art de pratiquer un différentiel entre l’emballage et le contenu. Progrès en fait tout relatif. Car il n’est pas certain que les Français s’y laissent prendre et si c’est le cas, alors c’est que les Français ont régressé. Le Sarkozy qui vient d’entrer en campagne joue la carte de la proximité avec les France, de l’amour de la patrie, de la probité face à un adversaire décrit comme fourbe et flou, menteur et irresponsable. Politiquement, le virage pris par le président candidat est résolument à droite mais le souci de préserver l’aile gaulliste est marqué par la présence du conseiller Henri Guaino. On peut imaginer alors que Guaino, avec son art de ficeler le discours, pratique la technique de l’emballage alors que le contenu est discrètement façonné par Patrick Buisson, un authentique gars de droite, resté fidèle à sa ligne, fréquentant assidûment les cercles de la pensée droitière, de Minute à Rivarol, pour ensuite naviguer dans les couloirs du pouvoir. Buisson, c’est vraiment la droite musclée, pas comme Alain Madelin qui dans ses égarements de jeunesse, maniait la matraque à Assas avec les copains du GUD. Quelques analystes ont fait remarquer que Sarkozy doit concilier les deux ailes de la droite. Alors pour éviter de donner l’impression d’un bateau déboussolé naviguant en zig zag, la méthode du contenu et de l’emballage s’avère plus adéquate.
En deux mots, le candidat Sarkozy joue la carte de l’affectif et de l’autoritaire. Ce qui a le don de plaire à Jean-Pierre Raffarin, lui-même promoteur de l’affectif et naguère adepte de la positive attitude. Sarkozy joue la bienvieillitude, l’amour de la France forte qu’il protègera de la crise pour éviter un naufrage comme la Grèce. Affectif contre réflexif. La fibre sensible dispense de questionnements. L’évidence est dans l’affectif. L’émotion parle. L’irrationnel devient la source de la vérité. Voici quelques morceaux choisis du premier discours de campagne prononcé à Annecy :
« Je veux rendre la parole à cette France du non »
« J’ai pu mesurer pendant cinq ans à quel point les corps intermédiaires font écran entre le peuple et le gouvernement : les syndicats, les partis, les groupes de pression, les experts, les commentateurs, tout le monde veut parler à la place du peuple sans jamais se soucier de ce que le peuple veut, de ce qu’il pense et de ce qu’il décide, comme si le peuple n’était pas assez intelligent, pas assez raisonnable »
« « Il n'y a avait pas d'autre voie à mes yeux que celle du travail et de l'effort pour garantir notre niveau de vie » (…) Je mesure ce qu'il reste à accomplir pour que chacun se sente protégé », assure Nicolas Sarkozy. « Je sais que la crise n'est pas terminée », renchérit-il. Selon lui, « cette accumulation de crises marque la fin d'un monde et l'avènement d'un monde nouveau ». Dans cette situation, affirme le candidat, « nous pouvons choisir d'attendre et de subir (…) mais nous pouvons choisir d'écrire nous-mêmes notre histoire, l'histoire de la France et des Français ». « Tout et absolument tout est à réinventer. » (Le Parisien, 16/02/12)
Rien de bien enthousiasmant. A noter l’attaque contre ces énigmatiques corps intermédiaires et le culte de l’effort. Des thèmes populistes ou même fascistes. Avec une résonance avec ces années 1930 où il était aussi question d’un monde passé à enterrer, voire abattre, et un monde nouveau à venir. Quelle est la vision que propose Sarkozy ? Nous n’en saurons rien. Le lendemain, présentation du QG de campagne. Pour illustrer cette scène, La tendresse, de Daniel Guichard. Sarkozy en populiste façon directeur de club med. Qui nous a présenté Nathalie et les locaux. Des petits bureaux, parce qu’il ne faut pas y rester et que dans des grands bureaux, on s’attarde et on ne va pas à la rencontre des Français. Visiblement, il prend son équipe pour une bande de boy scout, voire de cons. Après, c’est Marseille. La France tant aimée. Il aurait pu faire venir son ancien pote Sardou pour chanter, J’habite en France. Le président a confirmé son tournant populiste et nationaliste en désignant son adversaire comme anti-France. Ce qui rappelle le temps de l’Algérie française. Rien d’étonnant, avec l’ardent Buisson comme conseiller.
Au final, la tonalité semble décadente. Comme l’avait supposé Nietzsche, les périodes de puissance sont accompagnées de tendances décadentes. La puissance des blocs financiers depuis 1990 n’échappe pas à ce constat. Sarkozy est décadent et son épouse se prête parfaitement à ce jeu. On se demande qui peut bien voter pour ce président. Rien d’étonnant, en 1933, un tiers des Allemands avaient voté Hitler. Loin de moi l’idée de tracer une comparaison. Juste une évocation. Il y a des ignorants à toutes les époques. J’aurais aimé écrire un livre politique sur le sarkozysme mais comme un livre doit être lu, cette tâche s’avère inutile. Les médias et les gens ne parlent que des célébrités de la pensée. La campagne risque d’être ennuyeuse. Finalement, même le livre est inutile, les gens ne lisent plus. L’époque est médiocre et décadente. Sarkozy colle bien avec son temps. Ce meeting et ces militants, c’est gerbant, autant qu’une cérémonie post-hitlérienne avec une musique grandiloquente spécialement composée pour l’occasion. Finie la macaréna à l’UMP. Sarkozy proche des Français ? On peut en douter. Je ne ferais pas de commentaires sur les soirées mortellement ennuyeuses avec Hitler narrées par Joachim Fest. Sarkozy n’est pas ennuyeux. C’est plutôt une éponge. Un type qui réagit en absorbant la tonalité d’une époque et qui sait flatter ses commensaux narcissiques fiers d’en être pour un dîner à l’Elysée. Demandez à Houellebecq ou à BHL. Une éponge, oui, et aussi un joueur sans échec de Zweig pénétré de contradictions, comme la société française du reste. La France m’ennuie et me fait gerber. Cette France m’inspire ce billet de cons. Voici maintenant quelques lignes d’un penseur politique assez connu. Dans le premier fragment, on pourra remplacer race par travail, ou bien remplacer partis bourgeois par corps intermédiaires. Ces lignes semblent coller de près aux tendances droitières de 2012. Si Sarkozy est réélu, ce sera pour nombre de Français très doués et créatifs l’occasion de quitter la France. Cette campagne est énervante. Il serait préférable de regarder le paysage. Après tout, nous ne sommes pas malheureux à l’époque post-fasciste en 2012 et même sous l’Occupation, les Français n’étaient pas si malheureux. Je sors, désolé…
« On peut établir que toutes ces théories ne plongent pas leurs racines dans l'intelligence de ce fait que les forces créatrices de civilisation et de valeurs ont pour base la race, et que l'Etat doit logiquement considérer comme sa tâche principale la conservation et l'amélioration de cette même race, condition fondamentale de tout progrès humain »
« Quand, au sein d'un peuple, s'unissent, pour poursuivre un seul but, un certain nombre d'hommes doués au plus haut degré d'énergie et de force active, et qu'ils sont ainsi définitivement dégagés de la paresse où s'engourdissent les masses, ces quelques hommes deviennent les maîtres de l'ensemble du peuple. L'histoire du monde est faite par les minorités, chaque fois que les minorités de nombre incarnent la majorité de la volonté et de la décision »
« C'est pourquoi ces clubs politiques qui vivotent sous la dénomination de « partis bourgeois », ne sont plus, depuis longtemps, que des associations d'intérêts formées par certains groupements professionnels et certaines classes ; et leur but principal est de défendre le mieux possible les intérêts les plus égoïstes. Il est évident qu'une pareille corporation de « bourgeois » politiciens est rien moins que capable de mener un combat, surtout quand l'adversaire se recrute non pas parmi de prudents sacs d'écus, mais dans ces masses prolétariennes, poussées à la révolte par les excitations les plus violentes et décidées à tout ».