Le bloggueur Eliot Higgins plus subtil que les services secrets US et anglais ?
Ah, celle-là est à la fois rassurante et inquiétante. On nous promettait depuis des semaines de trouver rapidement l'égorgeur du journaliste américain James Foley. Les anglais, notamment, qui avaient perçu son accent des faubourgs londoniens. Ou en avaient profité pour vanter les mérites de leur dernière merveille technologique, (achetée aux USA) un avion espion non ravitaillable censé remplacer ses Nimrods transformés en briquets volants en raison d'une erreur de conception manifeste. Avec tout ce matériel, c'est sûr, on devait le localiser rapidement, avait clamé haut et fort les médias anglais tous dévolus au pouvoir de David Cameron. Patatras : un simple bloggeur, talentueux, il est vrai vient de définir l'endroit exact de l'éxécution de Foley et de sa soigneuse mise en scène. Armé de beaucoup de patience... et avec Google Earth comme seul moyen technique évolué sous la main ! Quelle claque ! Brown Moses, alias Eliott Higgins, récent fondateur de Bellingcat (*), a encore une fois doublé tous les services secrets !
L'annonce a été fait par le Daily Mail, ce qui ne manque pas de sel, tant ce journal est le fait d'un poujadisme et d'un conservatisme affligeant, qui encensait il y a peu de temps encore la grande nouveauté technologique de la RAF : un avion américain, le RC-135 Rivet Joint, fabriqué sur la base d'un appareil commercial sorti des chaînes de montage en... 1957. Le fleuron de la recherche par radar, encensé aujourd'hui, avait été flingué en plein vol par ce même journal le 23 janvier 2013, dans un article incendiaire, évoquant un engin nommé "Airseeker" valant 650 millions de livres pièce, mais incapable de se ravitailler auprès des avions tankers anglais. La faute à des équipements différents : si les américains ont été convertis à la perche rigide à l'arrière de leurs ravitailleurs, les anglais en sont restés au simple tuyau déroulé d'un dévidoir, un système appelé "'probe and drogue'. Les avions de la RAF sont des KC-135 construits en 1964 et remis à jour et transformés en avions-espions, qui ne peuvent se connecter qu'à des perches rigides. Pour enfoncer le clou, les américains mettaient en ligne le 7 juillet dernier le "ravitaillement réussi" du Rivet Joint de la RAF... à partir d'un a Boeing KC-135 du "100th Air Refuelling Wing" (US), basé Mildenhal dans le Suffolk. L'Angleterre est devenue abonnée aux problèmes d'équipements militaires : entre ses sous-marins qui râclent le fond des estuaires et le nouveau champion qui ne tiendra plus que 12 heures en vol (c'est déjà pas mal, remarquez ) ; est apparu aussi l'année dernière le coup du nouveau ravitailleur, le 5 avril 2012... avec l'annonce que le nouveau tanker "Voyager", construit par Airbus, dérivé de l'Airbus A330-200 n'arrivait pas à ravitailler les chasseurs Tornado ! Le contrat montant à 10,5 milliards de livres pour l'ensemble de la flotte, on aurait espéré mieux... L'année précédente c'était la découverte d'une absence totale de détecteurs de danger (déclenchement de missiles) sur le même appareil, rendant son ulilisation délicate en cas de conflit. L'appareil avait déjà déclenché l'hilarité en perdant en vol à deux reprises lors des essais de l'exemplaire destiné aux Emirats le tuyau ravitailleur, qui était tombé près de Caceres en Espagne, lors des essais.. heureusement sans provoquer de dégâts. Pour la RAF, pas de problèmes, ou presque, puisque l'Airbus ne sera équipé que de paniers ravitailleurs (et pas de perche rigide) : à part que le Rivet Joint ne pourra donc pas s'y connecter... retour au problème initial !!!
L'article du Daily Mail sur la 8 eme merveille du monde volante achetée à trois exemplaires pour la RAF n'évoquait pas tous ses talents, dont je vous avais déjà fait part ici en 2011. Ces fameux Boeing 707 (KC-135) spéciaux River Joint SIGINT "capables de déclencher les téléphones portables qui servaient à faire déclencher ces bombes meurtrières" avais-je précisé. Il semble que les techniciens de l'Air Force soient allés un peu vite en besogne, car en mars 2013, l'Army semblait toujours chercher "des compagnies capable de construire un radar SAR (synthetic aperture radar) travaillant dans les fréquences de 25 et 88 MHz pour détecter les "fils cachés, des caches d'armes et d'autres éléments ou composants des hidden improvised explosive devices (IEDs), ou "roadsides bombs". Cachées dans le sol, sous un feuillage dense ou un camouflage traditionnel" était-il précisé, l'appareil devant "fonctionner à 25000 pieds d'altitude". De fait, l'article et le schéma du Daily Mail décrivaient un Rivet Joint servant simplement de relais hertzien entre les troupes spéciales au sol et leur base, lors de la recherche de fichiers de suspects, un peu comme la police en France le fait avec l'ordinateur de bord des véhicules de police lors d'une infraction. Depuis, Boeing propose du plus léger avec un Beechcraft King Air 350ER doté de son système Reconfigurable Airborne Multi-Intelligence System (RAMIS), un des équipements embarqué étant un "counter-improvised explosive device (C-IED)."
Bref, une vitrine de plus de l'industrie militaire US... à plusieurs millions de dollars (907 millions d'euros chacun des trois exemplaires !), montrée comme outil nécessaire et obligatoire pour tenter de retrouver le décapiteur du journaliste US. De l'autre côté, il y a un... chômeur, Eliott Higgins, doté d'un PC portable ordinaire (un Asus) et qui dispose de temps pour chercher, assis sur son canapé, et qui s'est mis en tête de contrecarrer seul (après les contacts sont venus) les informations données et déformées sur les conflits actuels. Ce personnage étonnant de précision (il est têtu et l'avoue sans peine) réussira comme cela à enquêter sur les nouvelles armes utilisées par les troupes de Bachar el-Assad, dont un très étonnant lance-roquettes copié sur un système américain abandonné, le SUFLAE. J'ai écrit trois articles ici sur ces armes, aucun n'a passé le stade la soumission à la modération ici sur Agoravox : dès le premier, je citais déjà Brown Moses, le surnom que s'est donné Higgins sur le net, et le félicitait pour son travail.
Le 21 mars 2013 il a droit à un article fort élogieux du Guardian sur ses découvertes : "Eliot Higgins n'a pas besoin d'une veste de chasse et il de se déplacer avec la bravade d'un reporter de guerre. En tant que travailleur de la finance et administration au chômage, son expertise réside dans la compilation des feuilles de calcul, et non pas en esquivant les balles. Il n'a jamais été non plus près d'une zone de guerre. Mais tout cela ne l'empêche pas de placer ces derniers mois quelques-uns des articles les plus importants sur le conflit syrien. Son travail sur l'analyse des armes syriennes, a commencé comme un passe-temps, et il est maintenant fréquemment cité par les groupes de Droits de l'Homme et a même fait l'objet de deux questions au Parlement. La dernière découverte de Higgins d'un nouveau lot d'armes croates dans les mains des rebelles syriens semble avoir soulevé le couvercle sur une possible opération de livraison d'armes secrète et internationale à l'opposition." Higgins à l'œil en effet : intégralement autodidacte des armes, il en connaît davantage aujourd'hui que la moyenne des journalistes couvrant le conflit syrien, comme le remarque the Guardian. Il avait réussi à montrer les troupes d'Assad chargeant une énorme roquette de type SUFLAE, capable de contenirs des gaz, ou de créer au sol une zone de surppression d'air, asphyiant tout le monde en broyant les cages thoraciques : un procédé au départ inventé par les américains pour supprimer des champs de mine !
"L'œil de Higgins est attirée immédiatement par deux tubes à côté d'un gros canon. L'exemple suggére que toutes les tentatives des États-Unis pour savoir quel groupe exactement à obtenu ces armes s'est soldée par un échec. Les pointant à l'écran, Higgins dit : "Ce sont des tubes pour le lance-missile croate M79 Osa. Et ce qui est encore plus intéressant, c'est que ce canal de YouTube appartient à Ansar al-Islam, une organisation djihadiste. Ce groupe ne devrait pas posséder ces armes". En effet : elles lui ont été fournies par l'Arabie saoudite avec un gros coup de pouce donné par la CIA ! Notre bloggeur curieux fera aussi l'objet d'articles dans France 24 ou dans le journal le Monde (avec un excellent titre "Le nerd de la guerre"). Il y sera entre autre dit que "par exemple, il a pu établir que des vidéos qui prétendaient montrer, il y a quelques mois, l’utilisation par l’armée syrienne d'armes fournies par la Chine n’étaient que de l’intox". C'est lui aussi qui donnera l'analyse la plus sérieuse de l'attaque de la Ghouta le 21 aout 2013, montrant sur cartes les points de départ des tirs... qui accusent sans hésitation possible les troupes de Bachar-el-Assad, dont il montrera les bombardements par fûts remplis de poudre noire, de boulons et de roulements à billes, de terribles shrapnels destinés à blesser la population davantage que de détruire des bâtiments. Un an après, on continue à tenter de faire des opposants des lanceurs de clones de SUFLAE, alors que c'est bien le pouvoir d'Assad qui les fabrique et les lance.
L'une des récentes trouvailles de son site Bellingcat n'est autre que la localisation le 22 août dernier d'un centre d'entraînement de terroristes, grâce à l'étude attentive du décor dans lequel ils s'étaient filmés. C'est Slate qui fait honneur à l'équipe d'Higgins en racontant ses méthodes : allez donc les vérifier sur Panoramio, sur Google Earth. "Sur plusieurs photos en effet, il leur a été possible d'identifier deux ponts et une rivière situés en arrière-plan, grâce à l'outil Google Earth. Il s'agirait ainsi du Tigre, fleuve qui traverse Mossoul, ville d'Irak prise en juin dernier par l'organisation islamiste, rappelle le site Quartz. fin d'affiner leur découverte, les journalistes de Bellingcat se sont ensuite tournés vers Panoramio, un service qui compile les métadonnées associées à des images (comme la date et le lieu où elles ont été créées) afin de placer celles-ci sur une carte de GoogleMaps. En comparant les clichés mis en avant par l'organisation islamiste avec d'autres photos de Mossoul compilées sur Panoramio, ils ont pu obtenir des preuves plus précises sur les lieux où s'entrainent les troupes de l'Etat islamique. Sur une photo, les mêmes lampadaires ; sur d'autres, le même pont, comportant exactement la même inscription."
L'homme est donc jugé plutôt impartial par l'ensemble de ceux qui ont pu le lire (j'en fais partie bien sûr). Et aujourd'hui, voilà qu'il double les services secrets US et anglais, et leur énorme infrastructure technologique pour retrouver par simple goût du détail le décor situé à l'arrière de la scène de l'exécution de Foley... et d'en situer exactement l'emplacement sur Google Earth. Bel exploit, il est vrai, que le Daily Mail salue en un faisant "un expert britannique". Un expert reconnu, donc, qui situe le lieu de l'exécution à proximité de la ville de Raqqa, au sud de la ville. Le post d'Higgins est sans détours : "sur la base de toutes les informations disponibles, nous pouvons dire au minimum que la vidéo de James Foley a été filmée dans les collines au sud de Raqqa, comme on le voit ci-dessus, et soutenir les propos comme quoi Raqqa (ou Rakka) est l'emplacement possible des otages restants". Rakka, étrangement située il y a peu encore dans le camp... du pouvoir syrien. Le Monde nous informant que l'Etat islamique vient tout juste de s'en emparer il y a quelques heures seulement en ce 25 août. Brown Moses évoquant le sort de Steven Sotloff, qui a été filmé dans le même décorum mais pas au même endroit exactement (et qui n'a donc pas vu son camarade égorgé).
Le timing, dans ce cas, de l'exécution devient hyper important... le Monde, ainsi, écrit : "l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH) a affirmé dimanche 24 août que les djihadistes de l'Etat islamique (EI) s'étaient emparés du dernier bastion du régime de Bachar Al-Assad dans la province de Rakka, l'aéroport militaire de Tabqa. L'ONG syrienne fait état de plus de 500 morts depuis mardi : 170 soldats syriens et 346 djihadistes. La télévision officielle syrienne a confirmé que les soldats s'étaient retirés de l'aéroport « après avoir mené des combats violents ». « Ils se sont déployés [à l'extérieur] et continuent de porter des coups durs aux groupes terroristes, leur infligeant des pertes énormes », a-t-elle ajouté. Les djihadistes avaient lancé l'assaut contre l'aéroport mardi (19 août). En juillet et début août, le groupe avait chassé l'armée de deux bases importantes de la zone après avoir tué plus d'une centaine de soldats." La date de l'exécution de Foley remonte à une période qui devient donc cruciale à vérifier.
La vidéo a été postée le 19 août dernier, et sa qualité (deux caméras différentes ont filmé l'exécution) qui a étonné tout le monde laisse entendre qu'il y a eu de la post-production après, ce qui fait remonter la scène a bien avant le 19 août. De petits drapeaux flottant au vent, une animation toute droit sortie d'une bibliothèque d'anim', par ci, des bandeaux rédigés en arable mais défilant à l'envers par là, voilà qui nous rappelle fort les montages à la MEMRI ou façon Intelcenter à la grande époque de la guerre en Irak. La région était-elle déjà aux mains des partisans de l'Etat islamique ? A coup sûr : le 11 août, au sein meme de la ville de Rakka, un énergumène australien converti au salafisme Khaled Sharrouf posait devant un décor assez... particulier, disons. Il y montrait son propre fils, encore très jeune, tenir bout de bras une des tetes décapitées montrées auparavant "ornant" la grille d'un jardin. Inommable cliché digne d'un psychopathe ! Lors de la même séance de photos, apparaissait déjà aussi... voilà qui est intéressant, le fameux rappeur anglais Adel-Majed Abdel Bary, lui aussi tenant une des têtes décapitées à bout de bras (et du bras gauche chez lui). Celui qui est lourdement soupçonné d'avoir décapité l'otage américain sévissait déjà au même endroit. Il avait lui-même déjà montré des talents certains pour la pyschopathie. Raqqa était tombée aux mains des partisans de l'Etat islamique en mars dernier, après le retrait des forces gouvernementales, défaites au départ par les rebelles. Ce n'est qu'après que l'EIIL a ensuite chassé les rebelles et instauré sa loi et installé son semblant d'administration régie par la charia. Mais cette fameuse date a été remise en cause de bien étrange façon sur la radio BBC 4, dans le programme "Today" ou la porte-parole du gouvernement syrien a affirmé que "James Foley a été tué il ya un an", et que "l'ONU le savait." Tué il y a un an, dans un décor où l'armée de Bachar el-Assad était encore maîtresse des lieux ? Voilà une bien étrange façon de défendre le boucher de son propre pays !!!







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