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Accueil du site > Tribune Libre > Le chantage politique ou la double immaturité républicaine

Le chantage politique ou la double immaturité républicaine

A la vue des récents évènements : abandon officiel du CPE et échec du plan de développement de l’entreprise japonaise Toyal devant la grève de la faim du député des Pyrénées-Atlantiques Jean Lassalle, un même constat s’impose : l’immaturité politique semble devenir l’ultima ratio d’une classe politique prisonnière des questions posées par une société française de plus en plus émotive et désemparée face aux troubles qui l’assaillent.

Le chantage politique est-il de retour ? On pensait sa figure conjurée sur le plan international par la figure même du terrorisme... chantage opposé aux Etats comme élément ultime d’une stratégie du faible au fort. Sur le plan national pourtant, le principe renaît, et sous des jours très contrastés, tant sur le plan de la politique intérieure que sur celui de la politique économique étrangère. Il s’agit en réalité de résoudre toujours la même contradiction : l’impossible prise en compte du principe d’autorité, qui suppose l’acceptation de règles précises, lesquelles procèdent du respect des principes de l’Etat de droit.

Mais cette défiance révèle surtout l’état d’immaturité de la société française prise dans ces différentes composantes, comme on pourra le voir. Certes, avec son essai La grande nurserie, Mathieu Laine trace, d’un trait parfois un peu gros, les errements de la société française, mais le constat est juste, l’immaturité produite par notre système politique entretient notre population, gouvernants comme gouvernés, dans un même refus du principe de réalité.

Sur le plan intérieur, le CPE et la rigidité du gouvernement à son égard montraient pourtant une stratégie claire que l’opposition irréductible des syndicats n’a pas permis de faire éclore. En restant, par principe, dans une posture rigide, le gouvernement cherchait à ouvrir la négociation à la marge, sur les points les plus contestables du projet : le licenciement sans motivation, mais également la durée même de la période d’incertitude pour le salarié. Une négociation simple aurait permis d’imposer l’obligation de notifier des motifs de licenciement avec entretien préalable sans conséquence juridique, tout en réduisant la période de flexibilité de 2 à 1 an. La négociation "large" du CPE aurait également permis d’interdir les stages non rémunérés, afin de leur substituer des CPE, permettant ainsi de réduire l’insécurité juridique des Bac-3 jusqu’aux Bac+5. Elément fédérateur qui aurait été à porter au crédit de la responsabilité syndicale. On sait que cette idée a fait long feu.

Sur le plan des affaires économiques extérieures, le bilan de la grève de la faim du député Jean Lassalle a montré aux investisseurs étrangers les risques que pouvaient encourir les entreprises étrangères en redéployant leurs activités en France. Risques d’autant plus grands que l’enjeu était minime, et a donné lieu à une négociation de dupes : d’une part, il s’agissait d’assurer une extension de l’entreprise et du déplacement de quelques activités à quelque 30 kms, mais d’autre part, la négociation s’est conclue par la cession par la commune concernée d’un terrain pour 1 € symbolique.

Ces deux affaires nous montrent les inconséquences de l’immaturité française : celle des simples citoyens devant les réalités économiques et les principes de destruction créatrice au sein d’un marché du travail flexible, témoignant de leur méconnaissance des principes économiques, mais méconnaissance partagée par nos élus lorsqu’on songe à l’impuissance de ces derniers face aux délocalisations. Cette inculture économique, conjuguée à une culture administrative poussée, permet de comprendre l’impossibilité de nos élus à négocier directement avec les investisseurs l’attractivité de leurs territoires, parce que, pour beaucoup, ils ne sont pas issus des milieux d’affaires.

Cruelle double immaturité, qui place à chaque fois le corps (des citoyens comme des élus) en position victimaire offerte aux regards des médias sur l’autel de l’économie. Même impuissance à conjurer les malaises issus de la mondialisation. Même envie, par des moyens irrationnels, de retrouver un débat public digne... Même échec et érosion du "principe de responsabilité", corrolaire du celui de "crédit". Ce dont il ne faut pas s’étonner, étant donné le peu de vulgarisation des principes de l’histoire économique et comptable au sein de notre société moderne. On serait tenté pour finir de citer cette phrase de Ben Sirâ dans L’Ecclésiaste (42, 7) exposant les premiers principes de comptabilité connus : "Pour les dépôts, comptes et poids sont de rigueur, et que tout, droit et avoir, soit mis par écrit". Rigueur des anciens, immaturité des modernes, il est plus que temps de sortir de l’enfance pour prendre le monde à bras le corps.


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4 réactions à cet article    


  • (---.---.12.242) 24 avril 2006 10:51

    Ohh, comme je partage votre analyse et celle de Claude Imbert, qui décrit avec justesse les véritables causes (selon moi) de l’inadmissible immaturité démocratique et l’ignorance économique de beaucoup de français

    L’éditorial de Claude Imbert http://www.lepoint.fr/edito/document.html?did=177264

    Education : le mal court

    Après la pitoyable déconfiture du CPE - et de l’Etat -, nous voici abreuvés de conseils sur l’art de réformer. Accueillons-les de bonne grâce puisqu’on y tient pour acquise la nécessité de réformes encore impossibles. Mais ne croyons pas que la nouveauté des méthodes suffira à dissiper la crispation dépressive de la société française. Il suffit de mesurer l’irréalisme de la révolte universitaire pour voir que le modèle français d’enseignement ne vaut pas mieux que le « modèle social ». C’est le même climat mental qui les inspire et les condamne. Ils sont fils de la même dérive collective : celle de la peur, celle de l’évitement du réel que l’on conjure à la fois par l’assistance et l’utopie.

    De cette utopie l’enseignement, en France, reste encore la place forte. Et le dernier conservatoire de l’illusion marxiste. Une institution impotente, un appareil colossal, autogéré par la bureaucratie syndicale et qui oppose sa masse compacte à toute réforme. Il asphyxie les ministres que le pouvoir dépose comme des éphémères sur son incurable marais. Gouverné par la vulgate égalitariste qui nie la diversité des milieux et des savoirs - celle de la vie -, le système produit le même effet pervers que le « modèle social ». Rêvé pour unifier, pour égaliser sans la sélection qui départage, il ressuscite en fait la plus criante des inégalités : celle de l’argent ou de la naissance substituée à l’inégalité du mérite et du talent. De même que, dans le modèle social, les « avantages acquis » consentis aux salariés à emploi garanti pénalisent les chômeurs et accroissent leur déréliction, de même le mythe égalitariste du « bac pour tous » et la dévalorisation des diplômes laissent, sur le carreau des universités, une masse de jeunes désespérés. Tandis qu’à son écart resplendit le carré doré des grandes écoles, où triomphe une sélection impitoyable. Un carré aristocratique, performant, mais issu d’un milieu social étroit. Pendant ce temps, les universités paupérisées déclinent : la première française est au 46e rang mondial. 90 000 bacheliers désertent l’enseignement supérieur et embarquent dans les galères de la précarité. Jacques Marseille a dit ici l’urgence de rompre avec ce gâchis, peut-être le pire de tous pour l’avenir de la nation. Car les dégâts, bien sûr, ne se limitent pas à la débâcle universitaire. En amont, les 160 000 élèves qui sortent sans diplôme du secondaire, les naufragés qui ne maîtrisent ni la langue orale ni l’écrite, bref, toute une génération sacrifiée exige qu’on en finisse, là aussi, avec le « modèle français ». Il y a bientôt vingt ans, j’écrivais ici que ce modèle fabrique des culs-de-jatte pour consoler les unijambistes. Rien n’a changé depuis, sinon plus d’argent et plus d’effectifs pour un nouveau record d’inefficacité. Le mal court.

    Si l’on observe le paysage de plus haut, c’est en vérité tout le cycle éducatif, depuis l’enfant jusqu’au jeune adulte, qui est atteint par l’effondrement de l’autorité du maître sur le disciple, de l’autorité fonctionnelle de celui qui dispense un savoir sur celui qui l’acquiert, une autorité saccagée par un certain jeunisme ambiant. La sacralisation de l’enfant roi, immunisé contre la sanction, écouté, toléré dans ses désirs et caprices, bercé par le mirage de carrières séduisantes mais bouchées, décervelé par un pédagogisme délirant, ce jeunisme a fomenté des foules adolescentes qui abordent les duretés de la vie avec une carapace en carton. Les parents eux-mêmes oublient que, par l’orthographe et le calcul puis par l’apprentissage progressif des savoirs, il ne s’agissait « pas seulement d’apprendre mais d’apprendre à vouloir » (1). Le jeunisme, dans son extrême complaisance, a désappris la manière et, plus encore, l’effort d’apprendre. Comment voudrait-on que ces jeunes jetés sans défense dans les précarités de la vie réelle ne soient pas ahuris et révoltés par les obstacles qu’ils découvrent ? Avant cette épreuve, sont-ils au moins heureux d’avoir été délivrés des « classiques », aujourd’hui ringardisés, d’avoir occulté les phares intellectuels et artistes de la tradition française ? Sûrement pas ! Le plus grand bonheur des disciples dans l’art et la pensée, c’est, à coup sûr - et plus que le respect -, la chaude admiration des grands, une admiration qui élève et exalte. Apprendre à admirer est au coeur du bonheur d’apprendre. Prenons garde au déversoir lancinant de la dérision et de ses acides sur toute forme de maîtrise, aux sarcasmes jetés sur la grandeur et le sublime. Ils risquent de susciter ces foules de zombies frigides qui demandent à la « défonce » des excitants de remplacer les ferveurs assassinées. Par bonheur, il se lève, dirait-on, ces temps-ci toute une volée d’enseignants, du primaire au supérieur, qui, devant la ruine manifeste, se rebellent et le font savoir. Il leur reste à conquérir, chez leurs pairs, la place qu’ils méritent. C’est dans les têtes et les coeurs d’hommes libres que la réforme peut oser s’affirmer contre la peur défaisante de la précarité. « Agir, disait Alain, c’est oser ; penser c’est oser ! »


    • Voltaire (---.---.192.14) 24 avril 2006 16:52

      Quelques erreurs d’analyse dans cet article... Sur le CPE tout d’abord. Curieusement, nombres de commentateurs font abstraction de la remarquable passivité sociale qui avait accueilli le CNE quelques semaines plus tôt... Plutôt que de taxer les français d’immaturité, il serait plutôt intéressant de chercher à comprendre pourquoi ceux-ci ont accepté une plus grande souplesse offerte aux petites entreprises mais refusé cette flexibilité sans compensation offerte aux plus grandes lorsque cette mesure concernait une certaine catégorie de la population. Quant à la rigidité gouvernementale, elle est malheureusement simplement le résultat d’une lutte politique interne pour la candidature à la candidature à l’UMP plutôt que le résultat d’une manoeuvre dans les négociations, ce qui a paralysé toute possibilité de compromis. En ce qui concerne Jean Lassalle, il s’agit là aussi d’une analyse erronée, voire de mauvaise fois. Imaginer que le geste d’un député de base, profondément attaché à sa vallée isolée et auteur d’un geste rarissime, puisse avoir des conséquences sur les décisions d’investissement des entreprises étrangères, est faire preuve d’une profonde méconnaissance des mécanismes économiques qui les régissent. La prise de contrôle de façon arbitraire du premier groupe gazier russe n’a ainsi par exemple pas tari les investissements étrangers en Russie, alors que le risque est autrement plus important. Quant à la réalité du risque de délocalisation de l’usine Toyal à Lacq et son impact sur la vie de cette vallée, cela mériterait une analyse plus réaliste que cette vision méprisante de l’action d’un député, quelque soit son bord politique et sa formation initiale.


      • philippe (---.---.171.175) 25 avril 2006 10:33

        eh,bien,tant pis pour nous !

        etant donne que la societe francaise dans sa grande majorite refuse de regarder la realite en face,et de s’adapter aux evolutions du monde,

        etant donne que notre societe refuse de regarder la realite en face, parceque notre systeme educationnel [y compris ceux qui le dispensent]ne nous eduque pas etre pragmatiques,

        etant donne que nos compatriotes preferent s’accrocher par principe a un systeme ridicule -pourtant completement devoye de ses objectifs - plutot que de le reformer pour en conserver au moins les acquis sociaux principaux [peut-etre pour toute la population cette fois ?]

        etant donne que certains francais se montrent plus sourds que ceux qui ne veulent pas entendre, tout simplement parcequ’ils ont ete achetes par notre appareil d’etat [fonctionnaires,paysans subventionnes,artistes ,instituts et associations dependants des subsides de l’etat ],et que les « obliges » sont desormais majoritaires dans ce pays.

        la situation est donc completement bloquee.

        je reste donc d’avis que seule la faillite peut nous offrir une voie de changement,de preference sous la forme benigne d’un declassement financier serieux,qui obligerait ceux qui nous dirigent a enfin dire la verite aux francais,et a reformer.

        sinon, nous finirons peut-etre comme toutes les societes qui ont refuse d’evoluer avant nous ,nous disparaitrons.

        mais soyons optimistes. la roue peut tourner.pensons a un pays du 19eme siecle completement fige et sclerose ,egalement fier de sa culture, meprisant les commercants, adepte du protectionnisme,inspirateur de notre systeme administratif via les jesuites,gouverne par une elite de hauts fonctionnaires incapables de concevoir l’adaptation du pays aux challenges de l’epoque.un pays qui a ,bien sur ,sombre dans la faillite et la conquete exterieure,puis dans une revolution sociale-nationale puis communiste. ce pays, la chine, est pourtant en train de reprendre la place de puissance mondiale qu’elle avait occupe jusqu’au 18eme siecle. esperons juste que nous nous eviterons les periodes sombres et sanguinaires que les partis nationaliste et communiste ont impose pendant 80 ans ,ainsi que le systeme social actuel de la chine qui representerait pour nous un certain retour en arriere social...


        • Jacques (---.---.11.170) 7 juin 2006 20:04

          Vous semblez oublier quelque chose d’essentiel. Dans une république démocratique, ce n’est pas au peuple de s’adapter au régime politique. C’est à l’inverse à la république et à ses représentants de s’adapter aux besoins et aux demandes du peuple.

          Si, comme aujourd’hui, il existe un certain décalage, fusse-t-il éducatif, c’est que la 5ème république est moribonde et foncièrement inadaptée. A quoi bon l’acharnement politicao-thérapeutique ? Allons de l’avant, reconnaissons à la 5ème république ses mérites passés, et passons donc à autre chose. Je pourrais développer plus avant bien entendu, mais sur un sujet comme celui-ci, il est impensable de le faire sur cette page.

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