Le CPE ou l’abandon de la sécurité du travail
La
mesure de M. Dominique Galouzeau de Villepin signe clairement l’abandon
par le Gouvernement UMP de la sécurité du travail, c’est à dire de
l’assurance en l’avenir.
Certes, la situation d’un chômeur est
particulièrement précaire. Mais celle d’un employé pouvant se faire
licencier du jour au lendemain sans aucun motif, ne l’est guère moins.
Surtout, le Contrat Première Embauche (CPE) présenté mi-janvier 2006
par le Premier ministre dans son plan pour l’emploi des jeunes, risque
d’avoir pour seul effet (mais pas des moindres) la précarisation
généralisée des jeunes sans même baisser substantiellement le chômage.
Ce contrat, en se définissant comme « un moyen de donner plus de
flexibilité pour inciter les entreprises à embaucher », semble être en
réalité un cadeau aux entreprises réalisé sur le dos des salariés :
licencier sans motif pendant une durée de deux années. Du jamais vu.
Car les contres parties (indemnité due pour chaque licenciement, préavis qui augmente avec l’ancienneté, droits nouveaux à l’assurance chômage et à la formation) sont incroyablement faibles et de toute façon obligatoires (pour le moment).
En créant le CNE puis le CPE,
l’exécutif croit donc que c’est en supprimant les règles les plus
élémentaires du droit du travail que notre pays renouera avec les
emplois. Ainsi, l’un des schémas actuellement étudiés par Matignon est,
semble-t-il, celui de la généralisation de la période d’essai de deux
ans introduite par le CNE et le CPE à tous les CDI.
Précisons
d’ailleurs que cette idée d’un contrat de travail unique à terme,
remplaçant le CDI, le CDD et les nouveaux contrats créés, figure dans
le projet de Nicolas Sarkozy pour 2007. Les deux outsiders de la droite
ont finalement, mis à parts leurs tailles et coupes de cheveux,
beaucoup de points communs.
Dans un premier temps, l’on constate aisément que les jeunes sont utilisés comme cobayes de cette politique de flexibilité totale qui consiste d’abord en l’entrée dans la vie active sur la base d’un contrat journalier. Celui qui embauchera un jeune pourra le licencier tous les jours sans motif.
Concrètement, cela reviendra à faire tourner de la main-d’œuvre diplômée et pas trop regardante. L’influence anglo-saxonne est flagrante sur notre Premier ministre qui s’affirme pourtant gaulliste à travers de longs et beaux discours d’une triste hypocrisie.
Pourtant qui croit encore que les Etats anglo-saxons (Royaume-Uni et Etats-Unis d’Amérique) connaissent un taux de chômage réellement faible et un niveau de vie moyen supérieur ? Seule notre majorité gouvernementale passe sous silence, la croissance ridicule du Royaume-Uni (1,8 %) due à une baisse massive des dépenses publiques ; le surendettement et la très grande fragilité et dépendance de ces puissances.
Qui croit encore que le chômage baisse grâce à la seule flexibilité ? L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) elle-même admet l’absence de « lien direct évident » entre protection de l’emploi et niveau de chômage : « Si l’on examine rétrospectivement la situation du Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni, par exemple, trois pays où la protection de l’emploi est faible ou modérée, on voit que leur taux de chômage, aujourd’hui bas, était en fait élevé dans les années 1980 (...). A l’inverse, dans d’autres pays où l’emploi est relativement protégé, le chômage est resté longtemps à un faible niveau » (1).
Les explications de la « performance » britannique sont donc tout à fait autre : ce sont le rôle du temps partiel (24,1 % de l’emploi total au Royaume-Uni, contre 13,4 % en France) (2) ; la création de postes dans l’administration et les services publics (1 million) ; l’absence de contraintes monétaires (trop strictes) imposées par la Banque Centrale Européenne (BCE) ; enfin le quadruplement (statistique) du nombre de « handicapés » depuis vingt ans. Ce dernier résultat étant corrélatif au durcissement des conditions d’indemnisation des chômeurs (allocation uniforme de 80 euros par semaine limitée à six mois ; sanctions en cas de refus des propositions faites, même pour un salaire très inférieur à celui de l’emploi précédent). Le Royaume-Uni compte environ 2 700 000 handicapés, contre 570 000 en 1981, le recours au régime d’invalidité ayant servi à dégonfler les statistiques des demandeurs d’emploi. Notamment pour les plus âgés.
De plus, comme le souligne Serge Halimi dans Le Monde diplomatique d’octobre 2005, « si la croissance de l’emploi global au Royaume-Uni est restée en définitive comparable ou inférieure à celle de la France, dans le dernier cas la population en âge de travailler a cependant crû deux fois plus vite (12 %) qu’au Royaume-Uni (6 %) (3). En d’autres circonstances, on aurait célébré non pas la baisse du nombre de chômeurs britanniques, mais le dynamisme démographique de la France... »
Enfin, qui peut honnêtement comparer la mentalité du patronat français avec celle du patronat anglo-saxon ? En France, quel patronat saura profiter de ces contrats « faciles » et précaires pour au moins prendre des risques (le seul intérêt - bien faible malgré tout, face aux inconvénients - de tels contrats) ? Sans doute aucun, à l’inverse de son homologue anglo-saxon qui a au moins cette qualité (mais qui ne suffit évidemment pas).
La France n’est donc pas le Royaume-Uni ni les Etats-Unis d’Amérique. Les mentalités ne sont pas les mêmes, les aspirations professionnelles et sociales non plus. Les Français ne veulent pas d’une flexibilité sans contre partie et ne considèrent pas la précarité comme la clef de l’emploi.
Ils aspirent avant tout à la sécurité, bien entendu pas celle de M. Sarkozy, celle de l’emploi et de la vie sociale.
Egalement, les Français souhaitent renouer avec le dialogue et
reconstruire la cohésion sociale. M. de Villepin ne l’entend pas ainsi
et préfère, comme M. Sarkozy, l’affrontement et la division afin de
mieux régner.
C’est pourquoi le Premier ministre a décidé de passer en force pour imposer le CPE et le démantèlement du Code du travail. Il n’y a donc eu aucune concertation avec les partenaires sociaux avant l’annonce le 16 janvier 2006 du CPE, qui devra être adopté en urgence par le Parlement. En accélérant le processus d’examen du texte, le gouvernement peut profiter de la conjonction d’un certain nombre de facteurs susceptibles d’handicaper une éventuelle mobilisation de grande ampleur des jeunes. Les vacances d’hiver qui s’étalent sur tout le mois de février et le début du mois de mars ont, en effet, toutes les chances de calmer les ardeurs manifestantes des lycéens. Quant aux étudiants, ils ont fort à faire à la même période avec la première vague des examens.
La mobilisation ne sera donc pas aisée et devra prouver que la méthode choisie par l’exécutif, tant dans la forme que dans le fond, est finalement loin d’être la bonne...
1. OCDE, Perspectives de l’emploi de l’OCDE (2005), Paris, 2005, p. 216.
2. Ibid., p. 284.
3. The Wall Street Journal Europe, 19 août 2005.
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