Le déclin de la liberté d’expression

La liberté de l'expression, attaquée dans son principe, est de plus en plus fragilisée. Par son principe, elle ne peut pas être limitée, puisqu'elle repose sur le subjectivisme : par définition, l'usage, par les uns, de leur liberté d'expression peut déplaire aux autres, mais ce déplaisir, qui peut aller jusqu'à la souffrance morale, est le prix pour la liberté de tous. La liberté d'expression est un droit mais aussi un devoir : supporter celle des autres. Une partie de la vie culturelle doit beaucoup à l'usage illimité de cette liberté, certain mouvements, comme le surréalisme, ayant largement sollicité le blasphème et la provocation anticatholique.
Les lois qui limitent cette liberté, la nièrent dans son principe. Il n'y a pas de dogmes, de vérités "sacrées", intangibles, que l'on n'ait pas le droit d'interroger et de remettre en cause. Aucune religion n'a droit à une immunité contre la critique. En soumettant la liberté d'expression au "respect pour les droits et les sensibilités des autres" (Chirac 2007), elle perde beaucoup de son intérêt. Ces résolutions officielles étaient pour l'Europe un tournant historique : ainsi la liberté d'expression doit désormais être limitée par la sensibilité de tous. Cette limitation, dans un monde où la communication devient mondiale et immédiate, vide de tout sens le principe de la liberté d'expression, et signifie un reniement de la ligne défendue par la Cour européenne des droits de l'homme, dont la jurisprudence précise "La liberté d'expression vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considération comme inoffensives et indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'Etat ou une fraction quelconque de la population."
Les origines de la liberté d'expression sont à trouver dans le monde occidental. Il s'agit d'une tradition laïque, républicaine et démocratique, qui a commencé à émerger vers la fin du 18ème siècle.
Lors de la Révolution Française une partie de l'Assemblée défendait une liberté absolue de l'expression, sans restrictions, exprimée par Robespierre et Marat, qui disait :
"La liberté de tout dire n'a d'ennemis que ceux qui veulent se réserver la liberté de tout faire. Quand il est permis de tout dire, la vérité parle d'elle-même et son triomphe est assuré."
Cela exprime une confiance dans la Raison qui démontre l'inutilité de blesser, injurier et calomnier. Il est déraisonnable de blesser, d'injurier, de diffamer. L'insulte est contre-productive et pollue le débat. Mais si la belle phrase de Marat est valable dans la plupart des cas, la Raison ne prévaut pas toujours contre les injures. C'est pourquoi dans la plupart des états la liberté d'expression est encadrée par la loi. Il s'agit de l'idée que la liberté de chacun doit s'arrêter là où commence celle des autres. La liberté de tout dire et dans n'importe quelle situation pourrait restreindre la liberté d'autrui, en lui infligeant des dommages directs ou indirects.
La confidence dans la Raison décline au sein même des élites, qui ont de plus en plus tendance à vouloir protéger la vérité par la loi et la justice plus que par le débat. Cela à commencer avec la loi Gayssot qui pénalise le révisionnisme. Depuis, le débat public laisse de plus en plus de place à des procédures judiciaires d'excommunication. L'existence d'associations et d'officines de censure dans une république où les droits de l'homme sont respectés semblerait, par définition, impossible, et pourtant l'activité principale des officines comme SOS racisme, la MRAP, la LDH, etc. est justement la censure et la dénonciation de propos considérés comme homophobes, islamophobes, discriminatoires etc. Ces organisations sont toujours à l’affût du moindre « dérapage » ou « dérive » susceptible d’être interprété comme « raciste ». Sous leur influence, plusieurs lois limitant la liberté d'expression ont été promulguées. Ces organisations constituent une mise en garde permanente contre toute expression trop libre. Sur l'affaire Zemmour, Ivan Rioufol écrit dans Le Figaro, le 12 janvier 2011 :
"Il y a donc une malhonnêteté intellectuelle dans l'argument de ces censeurs qui cherchent à taire des réalités. Leur démarche est d'autant plus choquante qu'elle s'en prend à un journaliste dont la vocation est de relater des faits, y compris les plus brutaux. En fait, la liberté d'expression est contestée par une poignée d'idéologues qui règnent par l'intimidation. Ce sont eux qui devraient être assignés pour abus de droit, abus de confiance, tromperie sur les valeurs qu'ils défendent."
Bien que des lois contre l'insulte, l'injure et diffamation existent donc depuis longtemps, les organisations ont réussi d'en obtenir d'autres pour chaque communauté. Leur méfiance envers la liberté d'expression est en contradiction avec un droit fondamental dans notre société. Ces nouvelles lois ont muselé toute critique en rendant certains sujets tabous. La phobie veut dire la crainte : la claustrophobie est la peur des lieux clos ; c'est une peur irrationnelle, qu'on ne peut pas maîtriser. Mais le mot a été détourné de son sens et instrumentalisé pour signifier la haine, l'agression. Islamophobie, littéralement la peur de la religion islamique, signifie désormais la haine des musulmans, et toute critique de la religion est interprétée comme une incitation à la haine.
Si une réserve envers le principe de la Raison est compréhensible dans des sociétés où tout relève de la croyance et où la croyance la plus absolue reste la foi religieuse, le travail de la Raison lui étant subordonné, une réserve envers la liberté d'expression dans une république laïque ne l'est pas.
La faiblesse des sociétés européennes de faire respecter leurs valeurs se reflète dans les limites qu'elles imposent à la liberté d'expression. Rien ne devrait être, par principe, à l'abri de la critique. Il n'y a pas de dogmes, de "vérités", ni de faits historiques, de traditions ou de mœurs que l'on n'ait pas le droit d'examiner et de remettre en cause, et ce qui rend la liberté d'expression féconde, ce n'est pas l'acte de penser librement soi-même, mais la confrontation et le débat sur l'espace public. Cela exclut donc que quiconque, pour faire prévaloir une vérité, puisse compter sur quelque forme que ce soit de coercition étatique. La liberté d’expression est, dans son principe, une liberté absolue. En promulguant sans cesse des nouvelles lois pour la limiter, l’Etat la vide de sa substance et crée, à sa place, des sujets tabous, sur lesquels on ne peut plus discuter. Il est étonnant qu'une société si attentive aux droits de l'homme a pu s'accommoder sans protestation de tant de limitations à la liberté d'expression.
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