Le dialogue interreligieux est-il possible ?
Il y a une dizaine d'années, le Pape Benoît XVI aurait cité au cours d'une conférence consacrée à la thématique du rapport fructueux entre foi et raison, tenue dans la ville de Ratisbonne en Allemagne, un certain empereur Byzantin du nom de Manuel II Paléologue (1350-1425).
S'adressant à un Persan de la haute hiérarchie intellectuelle, ce dernier lui affirme entre autres choses ce qui suit : « montre-moi donc ce que Mahomet a apporté de nouveau, et tu trouveras seulement des choses mauvaises et inhumaines comme son mandat de défendre par l'épée la foi qu'il prêchait ». Le représentant de l'église catholique qui reprend ce propos assez controversé à l'encontre du prophète de l'Islam au moment où il fait une petite digression sur les méfaits de « la violence » ne savait peut-être pas qu'il allait, lui-même, rapidement mettre le feu aux poudres. Effectivement, une vague de protestations s'en est suivie. Et l'onde de choc n'a pas tardé à déferler sur l'ensemble du territoire musulman.
Le Pape étant alors accusé par les foules enivrées par la colère d'être « un provocateur » et surtout un ennemi de l'Islam. Dépités, certains lui ont même demandé de présenter des excuses officielles au nom de l'église aux millions de croyants qui s'en sentaient offensés.
À mille lieues de la convergence et de l'entente, les relations entre l'Occident et l'Islam ont souvent été marquées par des tensions. Et ce n'est pas l'initiative de l'alliance des civilisations lancée à Istanbul en avril 1999 par de nombreux pays sous l'égide de l'ex-secrétaire des Nations Unies Koffi Annan et vite passée à la trappe qui en démontrera le contraire.
On remarque que dix ans plus tôt, bien loin du bruit des fameuses caricatures de l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, une autre polémique d'envergure aurait été suscitée par un certain Salman Rushdie. Ce romancier indo-pakistanais d'expression anglaise publiait alors les « Versets Sataniques », un roman-polémique, au reste acclamé par des vivats de la part de la critique littéraire occidentale, beaucoup plus pour son contenu satirique et diffamatoire que pour son style et sa valeur esthétique.
Cela fait partie, d'ailleurs, des normes de la critique littéraire de notre temps. Rushdie a remis en question la validité même du récit prophétique, puisant dans les ressorts du « réalisme magique » latino-américain matière à ses visions philosophiques. Aussitôt une Fatwa des Ayatollahs sort et la tête de l'intellectuel a été mise à prix par la République Islamique tandis qu'en Occident, des voix crient haut et fort pour le respect de la liberté d'opinion. Frictions, conflits, confrontations, provocations, attaques frontales et polémiques malintentionnées ont souvent évacué tout débat bénéfique qui ait pu surgir entre cet Occident judéo-chrétien et l'Islam. On voit, sans peine, que jamais le rôle des religions dans la vie sociale des nations ne fut autant questionné qu'en ces dernières décennies. Cela trouve une explication dans le fait que celles-ci aient de tout temps servi d'alibi aux politiques pour esquiver de parler des vrais problèmes sociaux ou économiques dont leurs pays souffrent. Comme si le présage éclatant de vérité du penseur français André Malraux (1901-1976) « le XXI eme siècle sera spirituel ou ne sera pas » est voué à une vie d'éternité. Sans doute, le désarroi spirituel de ces sphères religieuses, avec comme toile de fond, une crise générale des valeurs justifie aussi bien les distorsions, les falsifications, les dévoiements, les surenchères, les excès que l'acharnement mis par certains à vouloir se convaincre et convaincre les autres du primat de leur croyance sur celle des autres. Autrement dit, se donner toutes les raisons du monde pour effacer, sinon éliminer « symboliquement » les autres de l'arène civilisationnelle du dialogue.
On dirait un ring pour pugilat ou une course pour un trophée olympique. Sans exagérer, ces discordes interreligieuses un peu trop exacerbées ont fait passer les précédentes oppositions latentes entre les trois religions monothéistes (Judaïsme, Christianisme, Islam) au stade d'oppositions ouvertes. Ce dont la sphère médiatico-politique a su tirer profit. On peut citer dans ce sens la décision des autorités iraniennes d'organiser chaque an des concours de caricature à la veille de la célébration de « La journée de la mémoire et de l'Holocauste et de la prévention des crimes contre l'humanité » pour nier la souffrance de la communauté juive des crimes commis par les Nazis pendant la seconde guerre mondiale (1939-1945). Ce qui est une pure aberration, même si les Palestiniens sont actuellement sous occupation israélienne et pâtissent d'une atroce répression.
Il est inutile de ressasser ce sage principe qui affirme qu'être Juif ne signifie pas forcément épouser les thèses sionistes ou soutenir cet abject Apartheid contre la Palestine. Bref, il semble bien que l'essentiel de cette dispute n'est pas d'ordre théologique mais simplement « idéologique » dans la mesure où celles-ci (les religions) sont indirectement mises, intrusions politiques obligent, dans l'impossibilité d'accepter tout face-à-face interreligieux, en dehors des dogmatismes, des ressentiments et des partis-pris. Or l'expérience historique prouve que la diabolisation de l'autre sert souvent de prétexte aux extrémismes religieux pour se lancer dans leurs plans meurtriers. Par ailleurs, face à des populations occidentales qui vivent dans le grand dénuement spirituel suite aux longs siècles de laïcisation au forceps, les masses musulmanes galvanisées par leur seule foi religieuse ne sont guidées, la plupart des fois, que par « l'émotionnel » pour réagir. Convaincues que tout va mal, elles ne considèrent comme adéquates que les solutions radicales. Ainsi la violence devient-elle le point de bascule qui renverse toute logique pacifiste. Décidément, la confrontation est grosse d'une guerre de chapelles qui hystérise les foules au lieu de les apaiser et de tendre les ponts pour la grande rencontre. L'immersion de la culture du capital dans ce conflit civilisationnel à peine larvé n'était pas là pour arranger les choses. Une complexité, somme toute commode, pour les uns et ravageuse pour les autres. Il se trouve que les inégalités dans les équilibres Nord-Sud et l'appauvrissement des pans entiers de populations ont réactivé le disque de la haine. Le mode de vie occidental, synonyme de gaspillage, d'individualisme, d'égoïsme, de consumérisme et d'opulence, est vu comme la manifestation du mal lui-même.
Et indirectement, le verrouillage des régimes autoritaires a fait naître des forces centrifuges et réactionnaires ayant trouvé du pain bénit dans la religion. La complexité des crises est telle que, aujourd'hui, les mouvements terroristes se soient emparé de la religion afin de combattre l'ennemi extérieur (les pays occidentaux qui, au nom des guerres dites humanitaires, se permettent des invasions impérialistes), puis les attaquer de front de l'intérieur. En tous cas, le retour triomphal du religieux au-devant de la scène est brandi comme la quête de Graal par les djihadistes et se transforme en premier sujet de préoccupation en Occident.
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