Le DIF et l’effet ciseaux
Le DIF (Droit Individuel à la formation) tel qu’il a été imaginé en 2004 avait pour but non pas de créer un stockage d’heures de formation sur un compteur mais bien évidemment de permettre aux salariés d’aborder dans de bonnes conditions les rivages de la société de la connaissance en développant de nouvelles compétences au travail.

Las, quand l’internaute découvre les premières lignes d’explications du site du ministère du travail il peut être surpris « Le droit individuel à la formation (DIF) a pour objectif de permettre à tout salarié de se constituer un crédit d’heures de formation de 20 heures par an, cumulable sur six ans dans la limite de 120 heures ». Le ministère du travail confond bien évidemment les moyens et les fins de la formation tout au long de la vie.
L’objectif des partenaires sociaux et du législateur n’était pas de créer un Droit au stockage indéfini d’heures de formation (sinon pourquoi auraient-ils limité le compteur des salariés à 120 heures ?). Ces heures DIF ne sont pas faites pour être conservées par des salariés qui géreraient leur Droit à la formation comme des noisettes sur un plan épargne formation, non le Droit à la Formation doit permettre à chacun et notamment à ceux qui ne sont pas qualifiés ou diplômés, de reprendre la voie des apprentissages.
Outre cette confusion banale entre les moyens et les fins de la formation, une seconde erreur entache l’exercice du DIF.
Cette erreur consiste à considérer le DIF comme un sous-droit, une option du contrat de travail. Le Droit certes de demander une formation pour un salarié mais celui surtout pour l’employeur d’avoir le dernier mot en acceptant ou refusant une demande DIF selon son bon vouloir (plaisir serait-on tenté d’écrire). Cette interprétation est évidemment fallacieuse et les employeurs qui s’y abriteraient pour ne rien changer dans la formation pourraient le regretter dans les années qui viennent (ils regretteront d’être entraînés dans un contentieux sans fin mais plus encore de ne pas avoir développé la compétitivité de leur entreprise).
« L’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations. " Article L. 6321-1 du Code du Travail.
« le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi » Article L. 1222-1 du même code du travail.
Le DIF est donc un réel droit, celui pour tous les travailleurs de se former tout au long de la vie professionnelle. Tout comme les salariés avaient acquis un droit aux congés payés en 1936, désormais pour conserver leur emploi ou acquérir de nouvelles compétences il leur faut se former tout au long de la vie dans une société de la connaissance où, (rappelons le) près de 2 millions de salariés sont illettrés, 50 % ne maîtrisent pas les technologies de l’information et de la communication et un plus grand nombre encore ne parle aucune langue étrangère.
Le DIF n’est donc pas un Droit potentiel (et virtuel) que personne, ou presque, n’aurait vocation à utiliser. Le DIF n’est pas plus un plan d’épargne formation qu’on garderait avec soi jusqu’à la retraite, mais bien ce dispositif d’apprentissage destiné à être utilisé tous les ans, sans psychodrame ni supplications dans un monde du travail qui doit abandonner cette conflictualité (dé)passée qui caractérisait l’entreprise taylorienne (la classique lutte du travail contre le capital).
Désormais pour créer des richesses il faudra collaborer, travailler en équipe, s’investir dans ses apprentissages et sans les efforts conjugués du salarié, humble et ouvert face aux savoirs, mais aussi de l’employeur, facilitateur (on parle désormais d’ « employeurabilité »). Sans efforts conjoints et continus des deux acteurs majeurs du travail, celui-ci risque de fuir sous les pas des organisations figées dans des modèles économiques et sociaux du XX ème siècle.
Enfin le DIF n’est non plus LA seule bouée de sauvetage des ruptures professionnelles. Se préoccuper de sa formation quand on perd son travail, c’est un peu comme aller chercher un détecteur de fumée alors que la maison brûle. La formation c’est l’anticipation et donc un abandon du modèle taylorien bâti sur la délégation, le diplôme/viatique pour la vie et une certaine déresponsabilisation sociale et collective.
Dans les mois qui viennent (et très probablement à partir de janvier 2011) de nombreux travailleurs vont réclamer leur Droit à la Formation. Dès lors ce fameux effet ciseaux jouera à plein avec des tensions croissantes entre des organisations ayant épuisé leurs budgets formation et des salariés qui n’admettront pas qu’un droit individuel, attaché à leur contrat de travail, leur soit refusé pour des motifs extra-légaux (le seul motif légal de refus étant le désaccord sur le choix de l’action de formation).
L’effet ciseaux (apparu lors de la grande crise de 1929 aux USA) peut encore -et doit- être évité dans les entreprises : pour ne pas être entraînées dans un contentieux et un chaos organisationnel il leur reste quelques semaines pour cadrer le DIF, proposer des formations à leurs salariés (qui attendent en vain les propositions DIF de leur entreprise) et ne pas abandonner sur le bord du chemin professionnel ceux qui ne savent pas trouver les mots pour demander leur DIF.
Didier Cozin
Auteur des ouvrages « Histoire de DIF » et Id-Reflex DIF (seconde édition à paraître en juin 2010)
2 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON