LE DIF sera-t-il difficile en 2010 ?
Ce que les commentateurs éclairés et certains spécialistes avaient prédit depuis le lancement du DIF en 2004 (la bombe DIF) est en train de se mettre en place sûrement et implacablement dans notre univers professionnel. Une grande majorité d’entreprises (grandes comme petites) s’apprêtent à vivre de problématiques tensions sociales du fait d’une absence de prise en compte de leurs nouvelles responsabilités apprenantes.
La tension va devenir très vive entre des services formation devant jouer un rôle d’amortisseur face à la crise et des moyens humains et financiers qui manqueront aux organisations (un krach dans la formation pourrait bien se produire dès le milieu de cette année)
Le calendrier est connu désormais de tous, depuis sept ans notre pays tergiverse, recule, négocie mais ne parvient pas à entrer dans la formation tout au long de la vie (qui était pourtant notre horizon européen pour 2010). Les salariés connaissent mal une formation Complexe, Cloisonnée et Corporatiste (les 3 C), les entreprises ne veulent pas sortir de leur modèle trentenaire du plan de formation et les partenaires sociaux appellent au développement de la formation tout en sachant que si celui-ci se produisait ils verraient se tarir une de leur principale source de financement. (le MEDEF dépend pour 1/3 des financements de la formation professionnelle, les syndicats ouvriers de la moitié).
En 2003 la belle unanimité des partenaires sociaux était trompeuse : l’ANI organisait certes la réforme de la formation professionnelle avec la mise en œuvre d’un ambitieux Droit Individuel à la Formation (DIF), mais aucun financement n’était prévu pour développer ce fameux Droit à la Formation. Le DIF pouvait être financé directement par l’entreprise, par son OPCA sur les fonds de la professionnalisation ou encore par les Fongecifs en cas de désaccords rentre le salarié et son employeur (sur le choix de l’action de formation).
En 2004, au mois de mai, le DIF naquit officiellement via un vote du parlement. La réforme portée par le ministère des affaires sociales de l’époque, François Fillon, semblait sur de bons rails.
Mais la suite révéla nos peurs et nos archaïsmes :
- Les branches professionnelles, les OPCA, le monde du travail négocia, pris son temps et retarda d’au moins 1 an la mise en œuvre du DIF
- Les entreprises ne jouèrent pas le jeu : les entretiens professionnels obligatoires selon la Loi ne furent pas organisés (ou confondus avec les entretiens annuels d’évaluation),
- Les salariés ne déposèrent aucune demande (ou presque) laissant leur compteur DIF s’incrémenter année après année
- Les organismes de formation s’épuisèrent à proposer des offres DIF raillées ou ignorées par le monde du travail
- Les pouvoirs publics se révélèrent incapables de promouvoir le DIF, les services de contrôle de la formation bloquant plus la situation que facilitant la mise en œuvre d’une Loi de la République : Rejet de nombreux dossiers (gestion du stress, lutte contre le tabac ou développement personnel), contrôle tatillons des dossiers
- En 2007, le président nouvellement élu reconnu que la première réforme de la formation n’avait pas porté ses fruits, que la formation allait toujours aux plus qualifiés et qu’il fallait à nouveau réformer cette formation endogame et endormie.
- En 2008 un premier accord interprofessionnel fut signé par les partenaires sociaux. Le DIF devint portable. Pour des raisons obscures, au lieu de faire voter la Loi résultant de cet ANI de janvier 2008, les pouvoirs publics lancèrent une nouvelle année de négociations pour les partenaires sociaux.
- En 2009, un second accord interprofessionnel fut signé (ANI de janvier 2009). Cet accord répétait à quelques nuances près le précédent de 2008. Les pouvoirs publics transformèrent enfin en projet de Loi ce poussif ANI, le parlement se saisit du texte et mis en œuvre de nouvelles auditions (auxquelles nous participâmes en mai 2009).
- Durant l’été 2009 le texte de Loi portant sur la formation et l’orientation professionnelle tout au long de la vie fut voté en première lecture. En octobre 2009 après moult revirements et navettes le texte fut définitivement adopté. Il fut publié au journal officiel le 25 novembre 2009 pour une mise en œuvre au 1 er janvier 2010.
- Fin février 2010 : Le bilan est encore désespérant : la crise économique retient presque toutes les entreprises de déployer le DIF, les compteurs DIF des salariés en CDI débordent de leur niveau (butoir) de 120 h. Des interprétations surréalistes du DIF font florès : le DIF serait à la discrétion de l’employeur, le DIF n’est pas provisionnable (mais cela risque de changer dès 2011), le DIF est financé par l’OPCA en cas de licenciement (c’est vrai après le délai préavis, faux durant ce délai préavis), le DIF n’est pas désiré par les salariés qui se désintéresseraient de leur avenir professionnel, le DIF serait abandonné un jour ou l’autre, le Plan de Formation primerait légalement sur le DIF…
- Mars 2010 : Nous n’y sommes pas encore mais on peut affirmer que les entreprises ne disposent plus que de ce mois de mars 2010 pour construire leur nouvelle politique formation, planifier et organiser le DIF. En avril 2010 il sera trop tard pour déployer le DIF avant l’été. Après l’été les financements manqueront partout (OPCA ne pouvant aller au-delà des fonds de la professionnalisation, ponctions de 13 % sur le plan de formation et sur le 0,5 % pour le nouveau fonds : FPSPP) et il sera impossible de déployer des formations généralisées sur 3 mois (oublions décembre).
- Eté 2010 : les dès seront donc jetés : certaines entreprises pourront « tirer un trait » sur leur plan de formation de 2011. A force d’écarter le DIF de leurs salariés elles n’auront plus de capacité de manœuvre (budgets, moyens humains). Le pari qu’elles font d’une absence de demandes de la part des salariés sera doublement perdant :
- Aucun droit social n’a jamais été abandonné par les salariés. Ils ont utilisé les congés payés ils utiliseront tôt ou tard leur Droit à la formation. Le tout étant de savoir sur quels types de formation. Les entreprises aveugles et sourdes aux besoins en développement de leurs salariés verront leur plan cannibaliser par le DIF et celui-ci totalement externalisé et devenu incontrôlable (comment organiser le DIF avec 50 ou 100 organismes de formation et des salariés choisissant seuls leur DIF ? )
- La formation n’est pas seulement une obligation, un effort ou un poste de dépenses mais c’est désormais la condition essentielle de survie et de développement des entreprises. Dans une économie de l’information et de la connaissance qui croit sincèrement qu’il sera possible de faire travailler avec profit une main d’œuvre interchangeable, peu investie et sous formée ? Nous ne sommes plus en 1950 et il s’il s’agit de rester compétitif et créatif la formation et les apprentissages deviendront critiques et prégnants. - Fin 2010 : Deux camps professionnels se feront face au sein du monde du travail :
- Les entreprises post-modernes et pro-actives qui faciliteront les développements humains et professionnels de tous leurs salariés. Elles pourront s’appuyer sur l’engagement, la flexibilité et la loyauté de personnels sécurisés et traités comme des humains avec qui l’organisation peut et doit grandir.
- Les organisations passéistes, héritières du taylorisme. Pour elles la « main d’œuvre » deviendra hors de prix, le travail conflictuel et les résultats économiques déprimés.
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