Le droit sacré des victimes
Victimes d’un côté, coupables de l’autre, ou le symbole de la division de notre société... Un jour serons-nous tous victimes ? Ou tous coupables ?
Loin de moi l’idée de dire que « c’était mieux avant » (quoique), ou de prétendre que la société a changé, car autrefois « ceci » alors que maintenant « cela », vu qu’autrefois, ben j’y étais pas. En fait si ça se trouve, ça a toujours été comme ça, comme aujourd’hui l’on dit que les jeunes sont irrespectueux, sauvages, etc., comme si de tout temps ils avaient été aussi « civilisés » que leurs ainés, alors que même Socrate dénonçait la décadence de sa société en critiquant l’attitude des jeunes de son époque…
Mais quand même, peut-on taire une dérive sous prétexte qu’elle aurait – peut-être – toujours existé ? Car oui, un bateau fantôme peut errer indéfiniment dans l’océan, sans jamais couler ni rencontrer de berge. Il n’en fait pas moins que pourrir sans fin, comme si telle avait toujours été sa vocation.
Cela n’a pourtant pas toujours été la vocation de la justice que d’être l’antenne émettrice/réceptrice des victimes. Et même au contraire, la vocation de la justice est, non pas de se ranger au côté des victimes, comme l’on pourrait mièvrement interpréter son rôle, mais d’être l’intermédiaire entre ceux qui, à un moment donné, sont victimes et coupables. Son rôle est donc en effet de punir les coupables, mais sans oublier que ceux-ci sont des êtres humains pouvant aussi être, en d’autres occasions des victimes. Et ceci afin de tenter de maintenir un équilibre social dans lequel chacun a sa place. Le premier symbole de la justice n’est-il pas une balance ? Quant au glaive, sa seule fonction est d’aider à l’équilibre de cette balance.
Or donc, si la balance se mettait à pencher plus du côté des uns ou des autres, c’est qu’un déséquilibre serait né. Un déséquilibre dangereux, car il pourrait causer des troubles sociaux que l’on peine à imaginer.
Inutile de dire ce qui se passerait si la balance penchait du côté des coupables… On aurait tout aussitôt les récriminations horrifiées du plus grand nombre. Mais qu’on se rassure, la balance de la justice ne favorise les coupables que lorsqu’ils sont riches. Autant dire très peu, quoique les riches n’auraient-ils pas une propension à se retrouver dans des rôles de coupables ? Mais je m’égare dans un procès d’intention qui est un autre sujet…
Qu’on se rassure donc car de nos jours la balance de la justice tend plutôt à pencher du côté des victimes. Ou plus précisément vers certains types de victimes en particulier. Et ceci à cause d’un système dit de cercle vicieux, d’abord parce qu’il est toujours plus commode de plaider la cause des victimes, ensuite parce que les coupables, une fois condamnés, peuvent difficilement plaider la leur, devenant de fait, et en quelque sorte, des victimes du système. C’est ainsi, un coupable ne perd pas seulement la liberté. Il perd beaucoup plus, puisqu’il perd aussi sa dignité, sa crédibilité, sa réputation… sauf s’il est puissant, bien défendu, et acquitté, bien sûr, ce qui lui assure de pouvoir poursuivre sur la même voie, contrairement à ceux d’en bas, qu’on pourra facilement assommer, détruire et enfermer, pour avoir fauté. On ne pardonne pas aux petits trublions qui défient l’ordre.
Pourquoi dis-je cela ?
Ne voyez-vous pas que nous vivons encore à l’ère où la religion chrétienne, et sa valorisation des victimes par le principe du martyr, pour avoir été écartée de la sphère publique en tant que religion, ne s’est que mieux insérée dans la mentalité désacralisée des masses ? Désormais les martyrs ne sont plus les saints, les apôtres, non. Les nouveaux martyrs sont les agneaux fragiles, tombés sous les vils coups des diaboliques coupables, que ceux-ci soient des agresseurs sexuels, de violents envahisseurs étrangers, ou bien encore d’immoraux téléchargeurs, pourvu qu’ils se livrent à un pêcher capital, ou qu’ils possèdent quelque caractère hérétique ou mécréant.
Jamais l’esprit de ceux qui lancent l’anathème n’est effleuré par l’idée que les choses ne sont pas si simples, et que nous vivons en fait dans une société dans laquelle on passe sans cesse de l’état de victime à l’état de bourreau, et inversement. En effet, il y a toujours quelqu’un à agresser par des paroles, des gestes, ou simplement une opinion contraire aux dogmes fondamentaux de la morale judéo-républicaine.
S’il va de soi que certains actes sont répréhensibles, comme les abus sexuels sur mineurs, et que d’ailleurs ils ont toujours été punis par la loi, et qu’ils sont légitimement considérés comme aggravés lorsqu’ils ont en plus un caractère incestueux, il est intéressant de remarquer qu’en ce moment, un collectif de victimes d’incestes – auxquelles je ne saurais que donner ma compassion pour ce qu’elles ont subi, si tant est qu’elles en aient vraiment souffert – fait pression sur la justice pour que l’inceste soit criminalisé en tant que tel. C’est ainsi que, sous couvert du droit sacré des victimes, que l’on ne saurait contredire, sous peine de laisser croire que nous sommes du côté de leurs sataniques bourreaux (qui sont pourtant des êtres humains quoiqu’on en dise) on instaure un nouveau « crime » pouvant se dérouler entre personnes consentantes. On invente donc à ces personnes parfois volontaires pour se laisser aller à des actes incestueux un statut de victimes.
Mais il est vrai que dans notre société il existe tant de victimes volontaires que l’on est tout prêt à accepter l’idée sans même y réfléchir. Que ce soient les esclaves du salariat ou du tapin, les prisonniers de l’assistanat ou de la précarité, les victimes « volontaires » sont légion dans notre société, et pourtant on ne se pose pas profondément la question de ce que c’est qu’être « consentant », notion que Françoise Dolto contestait déjà dans les années 70, lorsque la loi sur la majorité sexuelle, instaurant le « crime » de détournement de mineur (forcément une « victime involontaire » parce que mineure ?) fut proposée et adoptée, faisant dors et déjà pencher la balance en faveur du droit de victimes hypothétiques.
Mais nous pourrions aussi bien évoquer un sujet encore plus grave qui est celui de la shoah… Et qui démontre encore mieux en quoi les victimes sont quelque part, dans l’occident « post-judéo-chrétien » une sorte de caste d’intouchables, dans l’imaginaire collectif qui tremble à l’idée de ne pas leur concéder tout ce qu’elles demandent, au moindre caprice. C’est bien que les victimes, comme en Inde les vaches, sont sacrées, chez nous.
Je ne m’étendrai pas sur les idées paranoïaques ou pas, vraies ou pas, concernant les complots sionistes, terroristes ou autres. En revanche, j’évoquerai, à titre d’exemple parlant, tous les problèmes connus par la liste présentée par Dieudonné et Alain Soral aux élections européennes. On en trouve le récit ici : http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/l-elite-contre-dieudonne-a-chaque-56931
A la lumière de ces évènements, que comprend-on ? Qu’il est mal venu de s’en prendre aux juifs ? Mais Dieudonné ne s’en prend pas aux juifs, d’ailleurs il y en a dans sa liste, dont un rabbin. La liste de Dieudonné est « anti-sioniste », donc le bouc-émissaire de Dieudonné, ce sont les sionistes, comme s’ils étaient responsables de tous les maux. Pour d’autres, ce sont les musulmans, les banksters, et j’en passe… Mais ce qui est inédit avec Dieudonné, c’est qu’il vise les sionistes, c’est-à-dire une mouvance politique en rapport avec le peuple qui fut victime de la shoah… et qui à cause de cela est intouchable. On peut attaquer les banksters. Personne ne viendra nous taxer de racisme ou de révisionnisme. On peut attaquer les musulmans, puisque selon un amalgame désormais devenu trop habituel, ils sont les complices « volontaires » ou non du terrorisme dit « islamiste ». Mais on ne peut pas attaquer les sionistes, parce que sous l’effet d’un autre amalgame imbécile, le sioniste ne peut être que juif, de « race » et de religion, et par conséquent l’anti-sioniste ne peut être qu’antisémite.
Disons le tout net, c’est cet amalgame qui est en fait un racisme mal déguisé, puisqu’il prône l’intouchable sacralité du peuple juif dans son entièreté, y compris de ses antennes les plus dégueulassement partisanes, politiciennes et manipulatrices d’une manière souterraine. Et ce pourquoi ? Parce que celui-ci est historiquement victime, et que selon le « bon-sens » une victime ne saurait jamais être un bourreau, car il en est ainsi dans cette pensée manichéenne judéo-chrétienne. Et les sionistes l’ont bien compris, eux qui se drapent dans cette posture victimaire, sorte de forteresse qui désigne tous ceux qui en sont à l’extérieur comme des bourreaux supposés et de possibles descendants idéologiques des nazis. C’est d’ailleurs bien de croix gammées que sont graffitées certaines affiches du parti anti-sioniste, car qu’on se le dise, toute personne qui osera dénoncer les atrocités des sionistes sera maudite pour les siècles et les siècles ! Car il s’agit bien là d’un interdit religieux, qui ne dit pas son nom, car il porte le masque des principes républicains prétendument laïcs. Les mêmes « principes » qui voudraient faire interdire toute parole dissonante avec le dogme.
Mon propos, on l’aura sans doute compris, ne visent pas à trancher, en disant que les sionistes sont par essence méchants, et les anti-sionistes gentils, car je ne tomberai pas dans ce piège de désigner des agneaux et des loups, des martyrs et des bourreaux, comme si les lames qu’on brandit de chaque côté ne faisaient pas de plaies à l’autre partie. Non, il s’agit d’un conflit, et comme dans tout conflit, chacun a ses raisons, dont certaines sont sûrement plus légitimes et importantes que d’autres. En revanche il me trouble de constater que la posture victimaire est invariablement agitée comme un drapeau de pureté que l’on brandit pour pervertir des intérêts plus grands.
La justice n’est pas là pour servir de psychothérapie aux victimes. Elle n’est pas là pour exercer une violence immodérée en retour, à ceux que l’on a commodément désigné comme bourreaux, et à qui l’on ne permet jamais d’expier ce statut, allant parfois jusqu’à la pendaison sommaire, comme avec Saddam Hussein, le dictateur ni noir ni blanc, mais avec sans doute du rouge sur les mains, mais dont le premier tort était surtout d’être sur le chemin de la marche « victorieuse » de la « croisade » occidentale vers la morale, et la prétendue sauvegarde des misérables victimes kurdes et irakiennes de son règne atroce.
Bizarrement, à laisser les victimes instrumentaliser la justice pour des intérêts autres que la justice, puisqu’ils sont ceux de la santé de personnes (demande-t-on à un tribunal de soigner les plaies d’un poignardé ? Non, il est soigné à l’hôpital), ou à instrumentaliser les victimes pour manipuler la justice et l’opinion, on ne sert pas l’intérêt final de ces victimes. A la fin, celles-ci sont tout autant brimées que leurs bourreaux, qu’on aura pris soin de diaboliser et de caricaturer, pour ne pas voir en eux ce qu’il y avait d’humain, et de vivant, et donc de potentiellement « victimisable », pour ne pas avoir à souffrir du sentiment de la culpabilité d’avoir fait souffrir exagérément et injustement un être humain qui était tombé dans ses travers. A vouloir jouer à cela, le bras de la culpabilité s’étend même jusqu’à ceux qui rendent la justice, car à la dévoyer ainsi, ils se rendent quelque part coupables du fait d’approfondir les dégâts causés par les torts premiers…
Mais ceux qui rendent la justice peuvent-ils être jugés comme coupables, ou comme responsables, d’un état de fait qui leur échappe, puisqu’il est imposé par un glissement de terrain de la société, celui-ci partant, comme presque toujours, d’en haut de la pente, de ceux qui décident, et qui divisent plus pour régner plus ?
Non certes, on ne peut pas leur en vouloir, comme on ne peut en vouloir aux téléphonistes qui nous dérangent chez nous, aux heures des repas, de vouloir nous vendre leur camelote. On ne peut non plus en vouloir à personne aux guichets des administrations. Ces pauvres sont aux ordres de ceux d’en haut, qui maintiennent leur pied sur l’imminent glissement de terrain à venir, qui soutiennent le fil de l’épée de Damoclès ne demandant qu’à choir sur la tête de ceux qui auront eu la bien malheureuse idée de prendre une initiative. C’est ainsi que la responsabilité se dilue à tous les étages, fuyant souvent les étages les plus hauts, rendant « coupables » les têtes de ceux d’en bas, ceux qu’on ose à peine engueuler lorsque leur administration nous met dans des situations impossibles par des erreurs de gestion, de calcul, d’interprétation, de dossiers. Eux aussi ne sont que des marionnettes, des victimes instrumentalisées par l’ordre d’en haut pour que les problèmes ne remontent pas jusque là, et pèsent uniquement sur les épaules de ceux qui portent déjà le poids de la hiérarchie.
On ne peut en vouloir à personne, puisque nous sommes tous, tour à tour, coupable ou victime, et pourquoi pas les deux à la fois, selon comme l’ordre nous manipule pour mieux nous orienter dans le sens du vent qui ainsi ne renversera pas l’édifice fragile qu’est devenue notre kafkaïenne civilisation.
Pourtant il faut chercher des bouc-émissaires, et toujours se ranger du côté des victimes car c’est une position beaucoup plus supportable et simple à adopter que celle de se ranger du côté de la complexité de la justice équitable (pléonasme en principe, mais de nos jours qui ne choisit pas un camp est forcément dans l’autre, celui de l’ennemi, du méchant, du pas gentil, du diable, du tortionnaire), alors on cherche les coupables, et on les trouve. Il suffit de leur faire correspondre le bon chef d’accusation. Fraudeur, parasite, récidiviste, casseur, porteur de cagoule, pédophile, chômeur, poignardeur de prof, violeur, antisémite, anti-américain… Et s’il n’existe pas on l’invente ou le réinvente, c’est ainsi que les pêcheurs modernes peuvent être détourneurs de mineurs, téléchargeurs illégaux, fautifs d’avoir une connexion non-sécurisée, chauffards, pollueurs, pervers, inciviques ou incivils, révisionnistes, négationnistes, abstentionnistes, j’menfoutistes et même pourquoi pas terroristes, alter-mondialistes ou même simplement jeunes et/ou insoumis.
Si avec ça vous ne trouvez pas un coupable… Allez-y, lynchez-en un, vous « sauverez » peut-être une victime, et ferez ainsi une bonne action d’ordre judéo-républicaine ! Expiant par là-même vos problèmes de conscience, salement entachée par la décadence de notre société à laquelle on participe tous, et par le dilemme écologique. Sauf à supposer qu’en fait on ne sauve personne, et que l’acceptation de la condamnation de devoir marcher ensemble soit la seule qui puisse stopper cette folie, cette recherche toujours plus forte, désespérée et illusoire de justice au sein de l’état-providence, dans le monde où cela arrange l’ordre établi que nous continuions à nous diviser pour qu’ils puissent mieux régner.
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