Le fascisme guette-t-il l’Europe ?

Adolf Hitler arpentant tel un héros les avenues berlinoises. Le triomphe de la marche fasciste sur Rome de 1922. L’apogée du sauveur Salazar en 1928, plébiscité par l’ensemble des Portugais. Nombre d’enquêtes en témoignent, une large majorité d’européens ne croient plus à la reviviscence de ces figures fascistes, qui se sont imposées en Europe de 1922 (Prise de pouvoir de Benito Mussolini en Italie) jusqu’à 1976 (Révolution des Oeillets au Portugal). Ce sont des arguments liés à l’inculcation de cette histoire moderne par l’entourage familial ou médiatique qui sont avancés afin de justifier cette position, également influencée par la pérennisation de nos systèmes démocratiques. Récemment, le film du réalisateur allemand Dennis Gansel, La Vague, (inspiré de faits réels) a taché d’exposer le manque de crédibilité de ces arguments. L’enracinement dans la nature humaine du besoin d’appartenance à un groupe, ce sur quoi se sont basés nombre de mouvements nationalistes, nous empêche d’affirmer avec certitude que l’expérience totalitaire, connue par nombre de pays européens le siècle dernier, ne peut se rééditer au sein de notre vieux continent. Par ailleurs, d’autres phénomènes sociétaux similaires à ceux ayant précédé l’émergence des régimes fascistes se reproduisent étrangement. Malgré ce que l’on pourrait qualifier d’insouciance de la part des européens, doit-on craindre l’émergence de nouvelles formes de fascisme ? C’est tout du moins ce que laissent entrevoir plusieurs éléments...
Deux crises économiques successives propulsent Hitler à la tête de l’Allemagne
En 1919, au lendemain de la première guerre mondiale, les membres de la Triple-Entente infligent à l’Allemagne de graves sanctions militaires mais également économiques : l’Allemagne doit s’acquérir d’une dette de plus de 132 milliards de marks (près de 67 milliards d’€, une somme extrêmement conséquente à l’époque) et ne peut plus réclamer de droits de douane relatifs aux marchandises transportées sur l’Elbe, le Rhin et l’Oder. En outre, c’est un empire colonial de plusieurs centaines de kilomètres carrés comprenant la Namibie, le Cameroun, la Tanzanie, le Burundi et le Rwanda dont doit s’affranchir l’Allemagne.
Ce panel de sanctions précipite l’Allemagne dans une inéluctable crise économique : la dette à l’égard des Alliés, principalement la France, ne peut être remboursée. En conséquence de cause, la France s’approprie les industries du Ruhr, portant un nouveau coup à l’économie allemande, et s’attire la haine des voisins outre-rhin. Dans Mein Kampf (1923) , Hitler perçoit ce ressentiment à l’égard de la France, qu’il qualifie d’ennemie mortelle du peuple allemand. Pourtant, c’est une autre crise économique qui va propulser Hitler au sommet de l’état...
Effectivement, l’Allemagne connaît une embellie à partir de 1923, bénéficiant de l’arrivée de capitaux américains. Ces investisseurs font cependant marche arrière lors du krach boursier de 1929, replongeant l’économie allemande dans la récession : le chômage touche près du tiers de la population, au grand dam des classes moyennes qui subissent de plein fouet la crise économique. L’adminsitration ne parvient pas à établir de projet concret et les différentes combinaisons politiques se hatent de discréditer l’éfficacité publique C’est cette deuxième crise économique qui va excéder l’Allemagne...et propulser Hitler au sommet de l’état. Le parti nazi voit son score multiplier par 5 entre les élections législatives de 1928 (2,6%) et 1930 (18,3%) !
Le désordre politique et social dans lequel était embourbé l’Allemagne a incontestablement favorisé Adolf Hitler, lui qui promouvait l’établissement d’une société d’ordre et sécuritaire. Par ailleurs, face au désespoir causé par deux crises économiques successives, celui qui allait devenir le "Führer" ne cessait de prêcher en faveur de la préférence nationale et de l’expulsion des immigrés de l’est, accusés de voler l’emploi allemand. L’ordre, la sécurité et un patriotisme forcené assurèrent à Hitler une majorité (ou plutot une minorité suffisament forte pour assurer seul la gouvernance, 40%) sur laquelle il s’assit près de douze ans...
Mussolini tire profit de la désorganisation interne et de la déception de Versailles
En 1921, lorsque Benito Mussolini s’impose comme le vainqueur incontesté des échéances législatives, c’est une ascension monumentanée à laquelle assiste médusée le reste de l’Europe : en deux ans, les rangs du mouvement fascistes avaient été multipliés par 15. Les raisons de cette victoire éclair résident en deux points : la déception liée au Traité de Versailles, qui n’a pas assuré le redressement économique du pays, à laquelle s’ajoute une profonde désorganisation interne. Effectivement, les conséquences de la première guerre mondiale pour l’Italie sont désastreuses : la Grande Guerre a coûté la vie à plus de 650 000 soldats, auxquels s’ajoutent le million de blessés et 600 milliers de disparus. En outre, la dépréciation de la lire, une forte inflation (450%) et une dette qui culmine avec les sommets se hâtent de plonger l’Italie dans un profond marasme économique.
Effectivement, le Traité de Versailles n’a pas produit les effets escomptés en Italie, puisque n’ayant pas également réparti les compensations accordées aux Alliés, particulièrement entre la France et l’Italie. Naît alors en Italie le sentiment de ne pas autant profiter d’une situation que ses partenaires, la France en l’occurence, ingrédient nécessaire à l’établissement d’un régime nationaliste...
Par ailleurs, la crise économique attise le mécontentement des classes populaires, qui mènent plusieurs révoltes à l’aube de l’année 1919 : des tentatives d’expropriation de terres, d’entreprises ou d’industries par des ouvriers, ont lieu en coordination avec des grèves et pillages à répétition. C’est dans ce contexte que les socialistes obtiennent la majorité aux élections législatives de 1919, sans parvenir à mettre un terme au cafouillage généralisé qui règne dans le pays.
Or, les classes moyennes commencent à s’impatienter face à l’impasse politique et économique dans laquelle les grèves à répétition ont mené l’économie italienne, une exaspération dont Benito Mussolini n’hésite pas à tirer profit. Ce dernier, dépourvu de véritable identité politique, comme en témoignent ses nombreux revirements de position, n’hésite pas à déclarer nous nous permettons le luxe d’être aristocrates et démocrates, conservateurs et progressistes, réactionnaires et révolutionnaires, légalistes et illégalistes, selon les circonstances, le lieu et le cadre dans lequel nous sommes contraints de vivre et d’agir. Ainsi, face à la crainte des classes moyennes d’une pérennisation des conflits sociaux et d’une révolution communiste, Mussolini, qui met un terme par la force à la grève générale d’août 1922, s’impose comme le seul recours, capable de restaurer l’ordre et l’autorité.
Les éléments qui font douter l’Europe
En temps de crise, il est tout à fait légitime de s’interroger : doit-on craindre l’émergence de facismes du XXIème siècle ? Si la récession mondiale était amenée à se poursuivre ces prochaines années, il est fort possible que le creusement des inégalités qu’elle impliquerait ne pourrait que favoriser des formations semblables aux partis fascistes du siècle dernier. Le mécontentement des classes populaires se traduira probablement par une recrudescence des mouvements sociaux et des séquestrations de patrons, au grand dam des classes moyennes et supérieures, craintives face à cette désorganisation de la société, et donc en quêtes d’un leader autoritaire et strict, capable d’assurer le maintien de l’ordre. Un sentiment de déjà vu ?
La comparaison avec Benito Mussolini et Adolf Hitler ne s’arrête pas là : tout comme l’Italie en 1920, qui éprouvait le sentiment de ne pas autant profiter que la France du Traité de Versailles, la large majorité (65%) des européens estiment que leur pays n’a pas su aussi bien profiter des potentiels avantages offerts par l’UE que les 26 autres états membres. Dans un registre similaire, une enquête révèle que 42% des européens approuvent la politique de l’UE tandis que moins de 32% approuvent la politique de leur exécutif national. Meilleure considération de l’Europe ? Ou n’est-ce pas plutôt le témoignage d’un sentiment de l’affaissement de la puissance nationale ? C’est en tout cas sur ce ressenti que s’était notamment basé Hitler pour accéder au sommet de l’état...
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