Le festival d’Oullins, « À nous de voir » : Médias officiels, vous n’avez plus le monopole de l’information !
La relation conflictuelle que les médias traditionnels ont engagée avec les sites citoyens d’information comme AgoraVox, intéresse. La 22ème édition du festival d’Oullins (près de Lyon), « À nous de voir », en a fait un de ses sujets de débat, vendredi 20 novembre 2009, au Théâtre de la Renaissance, « La WEB’OCRATIE ». On y était invité en tant que rédacteur d’AgoraVox aux côtés d’un maître de conférence de l’Université Lyon 2, docteur en sciences de l’information et de la communication, M. Franck Rebillard.

Un documentaire, « La campagne du net », signé de F. Biamonti et d’A. Hallier et coproduit par Arte France, a introduit la discussion en retraçant le rôle inédit joué en 2007 par Internet dans la campagne présidentielle française : pour la première fois les candidats ont ouvert des sites pour solliciter individuellement et collectivement les électeurs.
Mais ce film, à vrai dire, n’a pas été l’objet du débat. Celui-ci s’est plutôt centré sur cette forme nouvelle d’accès à l’information que sont les sites citoyens, avec une première question qui a brûlé les lèvres : la fiabilité de l’information en est-elle accrue ? Quelle idée ! On a, en effet, rappelé que les deux repères généraux de fiabilité sur un site comme Agoravox, comme d’ailleurs partout ailleurs, restent évidemment inchangés. 1- Le premier est la distinction entre l’information donnée et l’information extorquée : l’information donnée est d’une fiabilité moindre en raison du filtre des intérêts de l’émetteur qui la livre volontairement en veillant à ne pas se nuire à lui-même ; l’information extorquée est, au contraire, d’une fiabilité plus grande du fait qu’elle échappe à ce filtre et qu’elle est obtenue à l’insu et/ou contre le gré de l’émetteur. 2- Le second repère est le crédit de l’émetteur qui se gagne par une transmission continue d’informations fiables, mais qui se perd dès qu’une information erronée est livrée.<
Tous journalistes demain ou tous citoyens ?
Une autre préoccupation a été de savoir si demain tout le monde sera journaliste ou du moins peut l’être. Drôle de question elle aussi, comme si le titre de journaliste était si enviable aujourd’hui ! En revanche, on peut souhaiter que tous deviennent un jour citoyens. Et on ne peut l’être que si on maîtrise l’information pour pouvoir exprimer librement son opinion et non répéter ce qu’on se fait dicter !
On a rappelé, à ce sujet, le nom original d’ « AgoraVox », choisi avec bonheur par ses deux fondateurs Joël de Rosnay et Carlo Revelli. Rien à voir avec un quelconque sobriquet en « news » tiré du sabir anglo-américain tant prisé des médias. La filiation avec les deux grandes sources de notre culture française et européenne est établie : la source grecque avec « Agora » qui est la place publique d’Athènes où se rencontraient et échangeaient les citoyens à l’aube de la démocratie, et la source romaine avec « Vox », la voix. AgoraVox est la voix de l’Agora.
Est-ce de l’information ou du commentaire ?
Une inquiétude déjà entendue est alors revenue dans le débat : mais quelle est donc cette information qu’apportent les sites citoyens ? Comme si les médias traditionnels étaient seuls capables de le faire. On a rappelé que tout est information, que les 50.000 membres de la communauté d’AgoraVox étaient autant de capteurs d’informations susceptibles, là où ils se trouvent, de les diffuser sur le site en suivant la procédure de validation en vigueur.
Prenant son propre exemple, on a montré que tout pouvait faire objet d’article : un événement, bien sûr, petit ou grand, pourvu qu’on le regarde sous un angle qui a pu échapper aux autres, une déclaration heureuse ou malheureuse ou perçue comme telle, une affiche électorale – on a rapporté de voyages en Espagne et en Italie des affiches lors des dernières élections, comme celles de la Ligue du Nord -, une affiche publicitaire - où trouve-t-on un média qui accepte de publier une critique de la publicité qu’il diffuse au même moment ? Seulement sur AgoraVox ! -, un livre, un film, un article, une émission, une couverture de magazine, la « une » d’un journal, etc.
Selon l’universitaire présent, toutefois, qui reprenait l’argumentaire des médias traditionnels, les sites citoyens se cantonneraient dans « le commentaire » et n’apporteraient pas ou peu d’informations. On avait entendu l’accusation chez Fogiel, 48 heures plus tôt, sur Europe n°1. On reconnaît le dogme cher aux médias de la distinction infondée entre « information » et « commentaire ». Car un peu d’attention suffit à rejeter cette opposition fallacieuse. On l’a trop développé sur AgoraVox pour y revenir (1).
La nouvelle information apportée par un site citoyen
En réplique, on a évoqué les articles dans les médias qui, par la mise hors-contexte, réussissent le tour de force de transformer une victime en coupable, que ce soit dans le Figaro (2), Le Monde (3) ou Le Midi Libre (4). Est-ce que montrer que ces journaux trompent leurs lecteurs en omettant par exemple une décision judiciaire qui donne raison à une victime, n’est pas apporter une information nouvelle ?
On s’est même amusé, comme on l’avait fait chez Fogiel, 48 heures plus tôt, sur Europe 1, à évoquer « l’affaire des Irlandais de Vincennes » et « l’affaire des écoutes téléphoniques de l’Élysée » qui a suivi. On a demandé à la salle ce qu’il était advenu en 2009 de celui qui avait été traîné dans la boue pendant 26 ans par ses frères d’armes de l’Élysée, le Lieutenant-Colonel Beau, alors qu’il était parfaitement innocent du montage opéré au domicile des Irlandais de Vincennes qu’ils avaient, eux, réalisé. Personne n’a été capable de répondre ! Personne ne savait que la légion d’honneur avait été décernée en mai 2009 à M. Beau par le président de la République pour sa conduite exemplaire qui avait permis de faire éclater la vérité contre vents et marées. C’est dire comme l’information avait été diffusée par les médias officiels ! Une question sur la couleur du pantalon de Mikael Jackson aurait sûrement trouvé réponse !
La vision de l’information du pêcheur et celle du poisson
Le débat se poursuivant jusqu’à 23 heures et plus, on n’a pas manqué d’être encore surpris d’entendre l’universitaire soutenir, comme le font les médias traditionnels, qu’ « on (trouvait) à boire et à manger sur Internet », comme si, dans les médias traditionnels, a-t-on répliqué, il n’y avait pas de quoi banqueter encore plus. On en est qu’à peine étonné : l’École et l’Université épousent depuis longtemps « la théorie promotionnelle de l’information » répandue par les médias traditionnels. C’est celle qu’on appelle encore « la vision de l’information du pêcheur » qui s’oppose radicalement à « la vision de l’information du poisson ». Jamais pêcheur et poisson ne pourront s’entendre. Il faudrait que le pêcheur renonce à pêcher ! En revanche, plus le poisson sera circonspect, moins grossier sera le leurre du pêcheur. On peut de cette relation interactive espérer une amélioration de la qualité de l’information. Car si on peut gaver de balivernes des gens crédules, il est plus difficile de livrer des bobards à ceux qui sont capables de les reconnaître, sauf à perdre tout crédit.
Il faut, en conclusion, souligner l’extrême courtoisie de l’accueil réservé à leurs invités par les responsables du festival, Pascale Bazin, la déléguée générale et Maud Champagneur, chargée de la logistique. On tient surtout à saluer le respect de la liberté d’expression dont ont été garantes les deux jeunes animatrices du débat sur « la Web’ocratie », Laurence Oudry et Élise Legagneux. L’exercice est assez rare pour qu’il mérite d’être applaudi. Bravo ! Paul Villach
(1) Paul Villach :
- « La tragique leçon de journalisme de Géraldine Muhlman sur France Culture », AgoraVox, 12 octobre 2007 ;
- « L’ éducation aux médias et l’École, ou le mycologue inconscient », AgoraVox, 20 décembre 2007 ;
- « Un journalisme sous un réverbère à la recherche de son crédit perdu... ailleurs : réponse à Jean-Luc Martin-Lagardette », AgoraVox, 8 novembre 2008.
(2) Paul Villach, « Karen-Montet-Toutain, ce survivant reproche vivant qu’aimerait discréditer « Le Figaro », AgoraVox, 26 janvier 2009
(3) Paul Villach,
- « La condamnation de l’agresseur de la professeur Mme Karen Montet-Toutain racontée par le journal « Le Monde » à sa façon », AgoraVox, 5 mars 2008 ;
- « Psychiatriser l’opposant : « Le Monde » à l’école de « La Pravda » ? », AgoraVox, 21 mars 2008.
- « La légion d’honneur de Jean-Michel Beau : le journal « Le Monde » trompe sciemment ses lecteurs ! », AgoraVox, 25 mai 2009.
(4) Paul Villach, « Faire d’une victime un agresseur : la recette provençale du « Midi libre » », AgoraVox, 26 mars 2008 ;
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