Le glorieux temps du mécontentement
La France vit son hiver du mécontentement. The "winter of our discontent" ... Avec un petit clin d’oeil à Shakespeare et Steinbeck, je vous annonce la fin du monde. Pas celle qu’auraient prévue les Mayas, celle que n’importe qui peut prévoir, comme on peut prévoir qu’un corps en chute libre va tomber. La fin du monde dans le sens franchouillard d’une rupture avec cette vieille paire de pantoufles faite sur mesure pour le Grand Charles qu’a été la Ve République… et avec la démocratie qu’on nous a inventée.
C’est que je ne peux m’imaginer un lendemain qui chante à cette élection qui vient, quel que soit le vainqueur. On peut s’attendre, quoi qu’il arrive, à 70% de mécontents. Mécontents du résultat, mécontents du systeme lui-même. Dégoutés des partis, dégoutés des politiques. Ras le bol des mensonges, des magouilles… et de la démocratie bidon qui repose sur le contrôle des médias et une corruption omniprésente pour arrondir les angles.
Il y aurait eu une option : une candidature unique, rassembleuse de centre droit. Mais le Systeme ne voulait ni Villepin, ni Bayrou, encore moins Asselineau… Le Systeme veut l’immobilisme des machines PS ou UMP, celles qui changeront quelques copains, mais ne toucheront surtout pas au copinage. La France d’« en-haut » a fait la pari qu’on pourrait faire un autre tour de piste avant que la musique n’arrête et, jusqu’à maintenant, il semble qu’elle ait eu raison.
La France d’en-bas ronchonne discrètement, mais ne bouge pas. Elle semble résignée à ce qu’il n’y ait pas de solutions aux problèmes, à ce que les inégalités augmentent et à ce que notre société meure faute d’une bonne raison de vivre. Résignée… mais les sociétés ont parfois des sursauts. Le mécontentement du lendemain d’un certain jour de mai prochain pourrait être salutaire. On pourrait comprendre d’un seul coup que notre société est à mourir empoisonnées de sa démocratie… et qu’il faudrait lui en donner une autre.
Je parlais déjà l’an dernier d’une crise politique, dans un texte dont je reprends ici certains points, mais qu’il serait bon de lire. Pas une crise politique dans le sens d’un choix entre un homme ou un autre, entre un programme de gauche et un programme de droite, mais une crise de la politique elle-même. Une remise en question, non pas tant des hommes et des procédures pour déterminer qui exerce le pouvoir – même s’ils ont leur importance – que de la façon dont la gouvernance se définit, de ses limites et de ses modalités d’exercice.
En apparence, il semble y avoir un consensus pour la démocratie. Qui vous a dit du bien, récemment, du fascisme, du stalinisme, du despotisme éclairé, de la monarchie absolue ou que quelque forme de gouvernance autre que la démocratie ? La DÉMOCRATIE occupe seule tout l’espace correct du débat politique. Tout le monde ou presque est convaincu des mérites de la démocratie. On est pour la démocratie ou l’on est un monstre.
Il y a un consensus en faveur de la démocratie. Évidemment, le consensus s’arrête là. Parce que, lorsqu’on a dit ” démocratie ” et qu’on a applaudi, le consensus se brise. Il éclate dès qu’on tente de répondre à quelques questions pourtant simples, mais bien embêtantes, comme ” Qu’est-ce que la démocratie ? “, ” Quel type de démocratie ? ” ,” Quelles sont les conditions minimales pour qu’on soit bien dans un régime démocratique ? ” etc. etc… Ces questions agacent, parce qu’elles nous confrontent à cette réalité choquante que si l’idéal démocratique comme concept règne sans rival sur les coeurs et les esprits, celle-ci ne règne en fait nulle part ailleurs.
La démocratie est un projet de société qui reste à bâtir. Peut-on parler de démocratie, quand certaines options de gouvernance disposent, pour se faire connaître et vanter leurs mérites, de moyens financiers qui sont 100 fois ceux de leurs concurrents et que l’accès de ceux-ci aux médias est, avec les premiers, dans le rapport du zéro à l’infini ? Même les conditions matérielles pour un choix démocratique n’existent pas. Triste… et pourtant, ce n’est que le moindre des problèmes de la démocratie…
Supposons une information parfaite, accessible à tous. Peut-on honnêtement prétendre que tous les citoyens ont le bagage de connaissances générales, la culture et l’éducation pour accueillir cette information et la comprendre ? Supposons même que si. Avons nous tous une même aptitude fondamentale à penser droit ? A connaissances et information égales, en arriverions tous à nous former une opinion éclairée et judicieuse ?
Faisons un acte de foi et supposons-le aussi. Il n’en reste pas moins qu’une société qui peut fonctionner doit être, par définition, un ensemble de compétences complémentaires. L’opinion de chacun sur chacune des questions spécifiques auxquelles gouverner exige une réponse a-t-elle la même probabilité de conduire à la décision la plus efficace ? Serait-il raisonnable que mon avocat opine sur le traitement de mon ulcère et mon médecin sur la conduite de mes affaires ?
La volonté populaire nous dira-t-elle avec sagacité, si on doit encourager l’épargne ou la consommation, si la conjoncture internationale et le rapport des forces suggèrent des investissements militaires, si on doit – et si on peut – favoriser un nivellement des revenus, si nous avons les ressources pour un système de santé gratuit et universel, etc. ? La réalité, c’est que, dans une société complexe, considérant tous les facteurs, il n’y a qu’une seule “meilleure solution” et que ce n’est pas Quidam Lambda, mais des experts qui la connaissent.
On peut s’en remettre à la volonté du peuple pour nous dire ce qu’il juge « la meilleure solution », mais on connaît ses critères. Les réactions du peuple sont prévisibles. La politique globale qui résulterait de la volonté populaire ne constituerait pas un ensemble cohérent, mais serait au contraire un tissu dense de contradictions.
La volonté démocratique de la population serait d’augmenter les services et de diminuer les taxes et impôts tout en remboursant la dette, misant sur un gain d’efficacité qui irait de paire avec une réduction non seulement des effectifs, mais de la charge de travail de chacun… ! La quadrature du cercle, quoi Le peuple veut l’impossible.
Le rôle du politicien en démocratie est donc d’abord de faire croire à l’impossible, puis de s’excuser de ne pas l’avoir livré en promettant que désormais il le fera… Mentir n’est cependant pas suffisant. Pour qu’un État fonctionne, il faut qu’aux choix démocratiques des quidams soient substituées des décisions prises par des experts. Des décisions cohérentes. Efficaces. Le fonctionnariat est là pour ça. Il est choisi, nommé, pas élu...
Quand on dit démocratie, en faisant tout pour exclure toute participation du peuple à la prise de décision, il faut donc comprendre que ce n’est pas SEULEMENT une arnaque pour déplacer le maximum de richesses vers ceux qui ont déjà la richesse et le pouvoir. C’est AUSSI un geste de mansuétude, pour cacher aux enfants chéris du bon Dieu que, non seulement la démocratie n’existe pas, mais que, dans le sens racoleur qu’on a donné au terme “démocratie”, celle-ci est rigoureusement impossible.
La crise actuelle de la politique, c’est qu’une part grandissante de la population prend conscience de cette impossibilité.
La solution ? Il faut accepter que l’individu ne peut pas définir des politiques : il ne peut que choisir celle qu’il veut, entre des options cohérentes qu’on lui présente. La démocratie efficace est donc celle d’un droit de veto. Pas moins, pas plus.
Si la démocratie efficace ne peut être qu’une sequence de “oui” et de “non”, la démocratie vraie, c’est introduire dans la gestion de l’État BEAUCOUP de points de contrôle sectoriels permettant que les citoyens puissent dire démocratiquement ce qu’ils ne veulent pas et, dans le champ de leur compétence, exclure les moyens qu’ils considèrent inacceptables. C’est cette VRAIE démocratie qu’il faudrait mettre en place.
Ceux qui profitent de la situation actuelle ne veulent évidemment pas qu’on en change… Ils préfèrent faire ce qu’ils veulent …en disant que c’est nous qui l’avons demandé. Nous n’aurons donc une vraie démocratie que quand le people sera TRES mécontent. Il le sera peut-être en mai. Après, on verra…
Pierre JC Allard
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