Le « Gwen ha Du » : un fringant centenaire
Gwen ha Du signifie littéralement « blanc et noir ». Tel est le nom donné au très populaire emblème de la Bretagne, un drapeau créé il y a tout juste 100 ans par un régionaliste breton. Longtemps ignoré, le Gwen ha Du est devenu l’incontournable symbole de la région un dimanche de mai 1965...
À vrai dire, si les spécialistes s’accordent à dater l’origine du Gwen ha Du en 1923, nul ne sait à quel moment il a réellement été créé cette année-là, et cela n’a guère d’importance. De fait, le drapeau n’a été présenté au public qu’en 1925, lors de l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes de Paris. Son auteur est un architecte, journaliste et illustrateur nommé Morvan Marchal. Résolument engagé dans la cause fédéraliste – une Bretagne française mais autonome – qu’il promouvait alors dans le journal régionaliste qu’il avait créé en 1920, Breiz Atao (Bretagne toujours), ce militant avait à cœur de doter la région d’un drapeau original et résolument moderne pour remplacer les emblèmes du passé.
Durant plusieurs décennies, le Gwen ha Du n’a bénéficié que d’une notoriété limitée car le drapeau était avant tout identifié comme un symbole de l’action militante des membres du Parti autonomisme breton (PAB). En 1931, la scission entre les fédéralistes (dont Morvan Marchal) – de gauche et attachés au maintien de la Bretagne dans la nation française – et les nationalistes a donné naissance au Parti national breton (PNB). Progressivement, les membres de ce parti ont affiché de plus en plus ouvertement leurs idées fascistes, en allant même jusqu’à adopter l’idéologie nazie, symbolisée par un drapeau (lien) très largement inspiré de l’emblème du IIIe Reich (lien), l’hermine remplaçant la croix grammée*.
La guerre 39-45 n’a pas levé les confusions : le Gwen ha Du a en effet été utilisé aussi bien par des collaborateurs nationalistes bretons ayant fait allégeance aux forces d’occupation que par des résistants opposés à celles-ci. La paix revenue, deux nouvelles décennies se sont écoulées sans que le drapeau breton ne connaisse une progression significative de sa notoriété. Puis est arrivé le dimanche 23 mai 1965. Ce jour-là, Rennes affrontait Sedan en finale de la Coupe de France de football. Une date historique pour le Gwen ha Du : nombre de supporteurs du club s’étaient munis du drapeau breton pour le brandir fièrement dans les rues de la capitale et dans les tribunes du stade sous les caméras de la télévision.
La victoire des footballeurs (3 à 1) du Stade Rennais contre les « ardents ardennais » du CS Sedan a eu un énorme retentissement en Bretagne. Devenu le symbole de la fierté bretonne, le Gwen ha Du s’est multiplié dans la région. Et cela d’autant plus que, quelques années plus tard, le « revival breton » initié par Alan Stivell, Tri Yann et Dan ar Braz a donné à la région une renommée culturelle sans précédent, tant en France qu’au plan international. Depuis cette époque, le succès du Gwen ha Du ne s’est jamais démenti. Bien au contraire, le drapeau breton est non seulement omniprésent lors de tous les évènements et festivals qui sont organisés en Bretagne, mais également visible à des milliers de kilomètres.
La composition du Gwen ha Du a-t-elle été inspirée par le drapeau américain ? Nul ne le sait, mais c’est probable. Cela dit, l’important n’est pas dans ce cousinage formel. Il réside dans la symbolique voulue par Morvan Marchal. Le canton supérieur gauche aux 11 mouchetures d’hermine fait évidemment référence au blason des ducs de Bretagne. Quant aux bandes alternées noires et blanches, elles symbolisent les 9 « pays » de la province historique. En noir, les 5 de la Haute-Bretagne : les pays de Saint-Brieuc, de Saint-Malo, de Dol, de Rennes et de Nantes. En blanc, les 4 de la Basse-Bretagne : le Trégor, le Léon, la Cornouaille et le Vannetais. Tous les terroirs, tous les Bretons y sont représentés !
Quant à la présence des queues d’hermine sous la forme de mouchetures sur les armoiries bretonnes, les historiens en datent l’origine au 12e siècle, au temps du duc Pierre 1er de Bretagne, plus connu sous le nom de Pierre de Dreux. Soit. Mais la légende qui fait remonter l’origine de cette hermine à la mythique Anne de Bretagne est plus belle : Un jour de chasse, poursuivie par les chiens, une hermine se trouva acculée devant un marécage boueux. Pour ne pas salir son pelage d’un blanc immaculé, la petite bête préféra être mise à mort par la meute des chiens. Émue par son acte, la duchesse Anne fit grâce à l’hermine et décida d’en faire son emblème.
On retrouve la trace de cette légende dans la devise de la Bretagne : « Kentoc’h mervel eget bezañ saotret ». (Plutôt mourir qu’être souillé). Hélas ! elle est trop belle pour être vraie, cette histoire d’hermine ayant inspiré la devise bretonne. La réalité semble être que l’on doit ce courageux cri du cœur au premier duc de Bretagne, Alain II Barbetorte : telle l’hermine de la légende, il aurait, en 939, été acculé par les envahisseurs normands sur la rive d’une rivière boueuse en crue. Préférant périr l’épée en main plutôt qu’être noyé dans les flots viciés, c’est ce Barbetorte qui aurait prononcé ces mots avant de trouver la force de repousser ses adversaires puis d’aller les battre quelques semaines plus tard lors de la bataille de Trans.
Passer du Gwen ha Du à la devise bretonne en évoquant l’hermine, c’est bien. Mais il manque encore un élément culturel très important pour symboliser l’identité de cette région au relief rude dont les habitants ont un caractère si bien trempé : le Bro gozh ma zadoù. Autrement dit, Le vieux pays de mes pères, cet hymne breton que l’on retrouve dans une autre « nation » celtique : le Pays de Galles. Écoutons-le, chanté a capella par Nolwenn Leroy avant le coup d’envoi de la finale de la Coupe de France Rennes-Guingamp de 2014 dans un stade de France tout de rouge et noir (les couleurs des deux clubs), parsemé de nombreux Gwen ha Du : lien.
* Le PNB a été dissous à la Libération, le 18 août 1944. 9 de ses adhérents ont été fusillés.
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