Le harcèlement moral
Se décide ces temps-ci une nouvelle loi pour « punir » le harcèlement sexuel.
Il était question dans un premier temps de laisser tomber le harcèlement moral : trop compliqué sans doute à démêler, mais des propositions ont été faites pour lier les deux phénomènes.
Je ne parlerai que du harcèlement moral ; non pas que je dédaigne son aspect sexuel mais je n'ai pas plus que la plupart d'entre vous d'expérience en la matière.
Ma seule autorité sera ma propre expérience, ce qui n'est pas rien car les législateurs ont, dans ce domaine, la seule connaissance de leurs lectures ( au moins je l'espère), leur bonne volonté et leurs projections personnelles.
Mon défi n'est pas tant d'en exposer les faits que de vous faire part des conclusions, des leçons que j'en ai tirées, en remontant, naturellement, à quelques ressentis explicites et exemplaires, et des idées que cela m'a donné en ce qui concerne le projet de lutter contre cette plaie.
Le harcèlement moral est, avant tout, une relation. Et une rencontre.
Il y a deux individus en jeu, un lien entre eux, et deux psychologies convergentes.
D'une manière générale, un narcissique pervers et une femme, plutôt instruite, littéraire et musicienne ( les arts plastiques étant généralement – sauf exceptions qui confirment la règle- le talent d' un ego puissant).
Lire le livre de Marie-France Hirigoyen : « le harcèlement moral, la violence perverse au quotidien », publié en 1998 ( Syros pocket 2000).
Il y a au départ, une séduction, qui comme toutes les séductions, n'est que la reconnaissance inconsciente mais intuitive de l'autre comme pendant de nos propres souffrances ignorées, tues ou refoulées. Comme cette reconnaissance est perverse, à l'insu des protagonistes, dans un premier temps, il ne se produit pas le phénomène « amoureux » mais l'attraction est puissance, nous dépasse, même et surtout si elle n'est pas conscientisée.
Les deux protagonistes sont dans des situations contradictoires : au niveau social, extérieur donc, l'homme est en position de force et cela se traduit principalement par une supériorité hiérarchique.
La femme, elle, est dans une position de force intérieure, par, principalement, une plus grande compétence et, si celle-ci n'est pas un a priori reconnu par des diplômes, elle se révèle au fur et à mesure que le travail commun, ou la vie commune, ou les deux, avance. Mais elle se trouve dans une infériorité de fait, socialement.
De la part de l'homme, il y a une attraction/ répulsion, une reconnaissance non assumée et rejetée, de la supériorité de la femme.
Il n'a plus alors comme seul recours, pour préserver sa puissance virile, que de la détruire.
Mais il faut que cela se fasse lentement, quotidiennement, car pour lui aussi ce lien est une torture. Mais une torture délicieuse qu'il faut à tout prix faire durer, car la jouissance du pouvoir sur l'autre ne s'apprécie que dans le temps.
Et c'est en cela que réside la perversité.
À y regarder de plus près dans l'histoire de cet homme, on trouverait certainement des violences, des humiliations subies au cours de l'enfance.
Et dans l'histoire de la femme, pareillement.
Le harcèlement moral semble donc être le point ultime et pervers de la force féminine face à la force masculine. Ou plus exactement, l'opposition des attitudes de l'un et l'autre quand l'un et l'autre sont confrontés à ce qui touche l'abcès en eux jamais vidé, le noeud jamais défait, la souffrance jamais avouée, le complexe refoulé.
S'il existe des harcèlements d'homme à homme ou de femme à femme, il y a gros à parier que le processus est le même – féminin / masculin- dans l'un et l'autre acteur de ce duo. Mais j'imagine que dans un tel cas, l'aliénation créée sera plus facile à dénouer.
Au bout du processus, il y a toujours un gagnant ; mais le gagnant même aura perdu des plumes.
Ce qui tend à prouver que la force virile, sociale et reconnue, est plus forte que la force intérieure. Car les femmes harcelées ne sont jamais « de faibles femmes » et ce n'est pas leur faire honneur que de les prendre pour des victimes. Mais on peut posséder cette force, reconnue et refusée par l'autre, et n'être pas véritablement combattante. Alors, si cela est possible, on s'en remettra à la reconnaissance sociale, aux soins, à la justice.
D'autre part, tout le monde n'a pas le désir de se rencontrer assez pour se connaître et si l'opportune société peut vous éviter ce chemin de douleur, nombreuses sont celles qui y auront recours.
Dans le processus du harcèlement moral, il faut bien comprendre que la femme est une véritable agression pour l'homme ; et à cette agression, il répond comme il peut et le plus facile pour lui est d'abuser de son pouvoir hiérarchique.
Il faut aussi comprendre que la femme ne subit pas une agression de même nature. Il n'est pas rare qu'elle veuille adoucir les relations, prouver qu'elle ne se veut pas menaçante ; elle veut rassurer son oppresseur, en quelque sorte. Et plus elle agit ainsi, sûre que cette optique est noble, généreuse et « forte », plus elle accentue le complexe du mâle en face d'elle.
C'est un cercle vicieux, une dépendance partagée.
Au début de ce qu'on est bien obligé d'appeler un combat, même et surtout parce qu'il est secret, la femme se défend : elle oppose bon-sens, voire douceur, compréhension ; la destruction est insidieuse mais tant que le combat dure, il remplit l'existence !
Cela dure des mois, parfois des années et rares sont les témoins.
La lâcheté de ceux qui pourraient l'observer, puis le dénoncer, est sans équivalent.
La solitude de nos deux comparses est absolue.
Peu à peu, la femme perd de sa sève : elle maigrit, elle n'est plus que l'ombre d'elle-même ; la moindre chose la blesse atrocement, même si cela ne vient pas de son « bourreau ».
Elle perd ses ami(e)s, qui ne la reconnaissent plus.
Elle s'éloigne de sa famille, car tout ce qui est doux lui est souffrance.
Elle ne peut plus écouter de musique car celle-ci met à vif sa sensibilité et cela lui est une douleur intolérable.
L'homme s'en tire mieux ! Il n'a pas perdu son aura qui reste attractive pour bien des badauds.
Ses amis le reconnaissent, d'ailleurs, ils ne devinent rien.
Sa séduction en est même augmentée !
Et c'est bien normal : la « personna » de l'homme est intacte. Le pouvoir qu'il inflige aurait même tendance à la lustrer.
La femme, qui en manquait déjà, n'a plus aucun recours pour pouvoir faire semblant.
On la fuit.
Nous fuyons toujours la souffrance qui risque de nous déstabiliser !
Quand le combat est terminé, quand la femme est exsangue, quand sa personnalité est détruite, quand le monde autour d'elle est vide, quand elle n'a plus d'armes, même plus le rêve ou le désir, quand la force lui manque au point de trébucher à chaque pas, quand l'horizon est clos, fermé par les égoïsmes qui n'ont pas voulu l'entendre, l'histoire s'arrête.
Si elle est encore en vie, elle fonctionne mais dans sa faiblesse attire encore longtemps les vautours.
C'est le combat du Yin et du Yang, perverti et la perversion de la femme, si elle est bien inoffensive, n'en est pas moins là, responsable aussi.
Mais ceci est un raccourci, tout est encore beaucoup plus complexe. Car la femme s'affronte à l'homme, quand elle est encore elle-même et confiante en ses capacités, avec sa force Yang, la force virile, la force extérieure, extériorisée. Parce que la femme harcelée ne tolère aucun déni, aucun mépris à son égard.
Pourquoi alors la fuite est-elle impossible ?
Parce que le piège est refermé et parce que la femme ne veut pas être vaincue.
On peut lui donner le nom de l'obligation à garder son emploi, sa nécessité à gagner sa vie, mais ceci n'est qu'apparence.
Car elle a bien la certitude de son bon droit à être là, de son mérite à être reconnue et aussi le refus de cet obstacle bien souvent sous-estimé à ses débuts.
Au fond, je suis bien convaincue que le harcèlement n'existait pas, ou peu, à l'époque où la femme était, par devoir, et par nécessité, soumise.
Le harcèlement, en ce sens, est bien le combat intime de femmes qui se veulent libres dans un monde où rien n'est encore prêt pour l'accepter.
Des pionnières en quelque sorte.
Aussi, pour sortir de ce pétrin, que la société contemporaine engendre – et je suppose que nombre de femmes susceptibles d'être harcelées ne le sont pas par la simple chance de ne pas rencontrer « l'autre »- passer par les tribunaux, faire payer des amendes après de longs procès qui en aucun cas peuvent approfondir, comprendre ou réparer quoique ce soit, ne me semble être une solution que pour celles qui ont peu souffert ou qui, refusant de trouver au fond d'elles-mêmes la cause de ce drame, resteront ignorantes, oh ! non pas dans leur intimité profonde, mais dans l'apparence dont elles se contenteront !
La persécution du moi profond est une douleur issue de la même veine que celle qu'ont subie toutes les victimes des camps de concentration. Moins la solidarité, plus la solitude. Moins la mort violente.
Aussi, les moyens devraient être donnés aux protagonistes d'un suivi psychologique, d'une écoute réelle qui aurait des retombées concrètes sur la situation : éloigner les acteurs, oui, mais ne pas se contenter de cet éloignement.
Oui, je veux bien dire, écouter et aider l'homme aussi.
Car, ce narcissique pervers ne l'est qu'une fois dans sa vie, avec cette femme-là. Oh ! Sûrement ce n'est pas un être tout fait de douceur et de compréhension, mais un être qui jusqu'ici, jusqu'à cette rencontre, n'avait jamais exprimé à ce point, le mal qu'il était capable de faire !
La liberté que l'on obtient après avoir fait ce travail de conscience de soi, n'est pas une liberté consentie et bien sûr pas encouragée par les dogmes et les lois de notre société qui pare au plus pressé mais n'a aucune vocation à rendre libre un peuple que, par ailleurs, on s'évertue à aliéner.
Une justice, des lois qui restent à la surface et dont le substrat ne porte qu'un seul but : avoir la paix !
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