Le langage imagé des coureurs cyclistes
Dans tous les métiers il existe un jargon professionnel, et la course cycliste ne fait pas exception à la règle. Le langage imagé de ceux que Maurice Génin avait, en 1906, surnommé « les forçats de la route »* est particulièrement savoureux. Pour s’en convaincre, voici, en cette période de Tour de France, un petit florilège haut en couleurs...
Lorsqu’il est au départ d’une épreuve cycliste, le coureur de renom n’a qu’un objectif : « avoir la bise » (d’une accorte hôtesse) à l’arrivée, si possible après avoir « fumé la pipe » (roulé sans effort), autrement dit avoir eu « la chaussette légère », voire « la socquette en titane », durant la course. Une aisance qui peut également se traduire en montagne par « monter sur une seule jambe ». En plat, l’idéal pour « avoir le bouquet » est évidemment de « poser une mine » décisive pour éviter de « gagner à l’emballage », le sprint étant toujours aléatoire pour les non-spécialistes.
Cela dit, il n’est pas toujours facile de « poser une mèche » (placer un démarrage) dans le peloton quand on « porte une pancarte » de favori signalé. Et même les champions n’ont pas toujours un état de forme qui leur permet de « chatouiller les pédales » (rouler facilement) et d’« en mettre un coup sur la meule » (attaquer sèchement) pour « enrhumer les adversaires », rapport au coup de vent induit par la vitesse du fuyard.
En course, le mieux est d’« en garder sous la pédale » (se ménager) pour pouvoir, au moment choisi, « emmener la braquasse » (rouler sur un grand braquet) et « faire parler la classe » afin de « faire le ménage » dans le peloton. Au besoin, le toubib de l’équipe est là pour, discrètement, « saler la soupe » (user de produits interdits) avant la course afin de pouvoir « pédaler dans l’huile » sans crainte de « passer par la fenêtre » au moment crucial. On dit alors d’un coureur dopé qu’il est « une chaudière », à l’image de Lance Armstrong pour toute son œuvre, ou bien encore de Richard Virenque qui, lors de l’affaire Festina en 1998, l’avait été « à l’insu de [s]on plein gré » pour reprendre la boutade des Guignols de l’Info (lien) !
Peu de risques pour un leader d’avoir les jambes molles au point de « scier du bois », de « rouler en croustille », de « rouler sur la jante », ou bien encore de « pédaler avec les oreilles » comme un coureur épuisé qui dodeline de la tête. Tel est plutôt le sort des équipiers les plus modestes qui, dans la bagarre, participent au « concours de grimaces », les plus éprouvés étant réduits à « faire de l’huile » (comme une mécanique en mauvais état), à « compter les pavés » (tant leur vitesse est lente) en queue de peloton, voire à « rester collé au goudron ».
Il faut en outre compter avec la malchance, bref subir les sorts jetés par la « la sorcière aux dents vertes », pourvoyeuse de crevaisons et autres incidents de course inopportuns, ou être assommé par « l’homme au marteau » lors de l’ascension de l’un des redoutables « juges de paix » (les cols mythiques). Le coureur maladroit peut également « aller brouter la luzerne » en sortant de la route pour cause de gravillons ou de mauvaise « lecture de la trajectoire ». « Descendre en patapon », autrement dit d’une manière mal assurée, est à cet égard très risqué, de même que « descendre à tombeau ouvert » un col de montagne. Cela dit, « rouler dans le jardin », c’est-à-dire mordre sur le bas-côté peut également réserver de mauvaises surprises.
Qui dit cyclisme dit, comme dans toutes les activités humaines, pratiques interdites (outre le dopage). Ainsi un sprinteur peut « avoir de la laine sous les ongles » lorsqu’il tire le maillot d’un adversaire pour le ralentir et se lancer lui-même. « Être dans le coffre », autrement dit profiter de l’abri et de l’aspiration d’un véhicule, est également interdit, de même, a fortiori, que « becqueter de l’aile », le coude appuyé plus que nécessaire sur la voiture d’un directeur sportif ou d’un soigneur.
D’autres pratiques ne sont pas interdites, mais à juste titre réprouvées. « Courir en rat », « faire de la patinette », ou bien encore « sucer les roues » consistent à laisser les adversaires faire les efforts pour mieux les « flinguer ». Pas élégant, c’est le moins que l’on puisse dire !
On peut encore citer « arroser les fleurs » (pisser sur le bas-côté), « prendre le bon wagon » (s’intégrer dans la bonne échappée) et, a contrario, « prendre l’autobus », autrement dit se placer dans un groupe de battus pour éviter les délais d’élimination en montagne. « Être dans la mafia » consiste à s’entendre entre équipiers rivaux pour neutraliser un adversaire commun. Un coureur peut encore « rouler en chasse patates », isolé entre le peloton et un groupe d’échappés qu’il ne parvient pas à rejoindre, ou bien « se refaire la cerise » après un passage à vide. Enfin, un coureur à l’attaque peut avoir... « la selle dans le trou du cul » (une position avancée sur le bec de selle) !
Il existe bien d’autres expressions, dont certaines plus techniques, et par conséquent moins accessibles au public. De plus, les temps changent, et de même que la langue commune, le langage du vélo est évolutif : des expressions nouvelles apparaissent, d’autres ne sont plus que rarement utilisées, certaines sont même complètement tombées en désuétude. Mais toutes ces expressions ont incontestablement leur charme et contribuent, pour notre plus grand plaisir, à alimenter légende des cycles !
* Cette expression a été faussement attribuée à Albert Londres en 1924. Contrairement à ce qui est souvent affirmé, il ne l’a jamais utilisée.
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