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Accueil du site > Tribune Libre > Le libéralisme rock n’roll

Le libéralisme rock n’roll

Ah ! Qu’on est loin du libéralisme à l’ancienne, celui qui affirme que l’on est libre de ses actes tant qu’ils ne nuisent pas à la liberté d’autrui.

Commençons par le départ. L’objet de départ de ce texte est le libéralisme, entendu comme défense de la liberté individuelle. Je propose un classement de différents types de libéralisme en 3 catégories :

1) Le libéralisme classique

2) Le libéralisme à responsabilité limitée

3) Le libéralisme rock n’ roll

Ce qui distingue ces trois niveaux de libéralisme est la notion de responsabilité.

Posons que le libéralisme classique soit celui qui affirme comme le préambule de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. » La notion de responsabilité exige à chaque instant un examen approfondi de son sens. L’homme libre est en fait condamné à se poser sans cesse la question de sa responsabilité, et ne peut agir librement. Il doit s’abstraire de sa morale pour être libre. Sinon c’est le débat sans fin, la réflexion prend le pas sur l’action, et on meurt tous de faim.

J’ai peine à croire que nous vivons dans un monde libéral selon cette définition de la liberté quand je pense au taux de chômage naturel, cet abominable instrument économique inventé par les néolibéraux des années 60 pour priver une certaine catégorie de population de travail et préserver un niveau de salaires et de prix bas.

Si on repense en termes libéraux classiques, l’utilisation avérée de l’outil taux de chômage naturel pour réguler l’économie signifie : « prendre la liberté de priver un homme de son travail en posant que le taux de chômage ne doit pas être en dessous de 8% (je prends ce chiffre au pif, pour exemple) ne nuit pas à autrui ». Bien entendu, un tel postulat est absurde, aucun honnête homme n’oserait débarrasser quelqu’un, même provisoirement, des moyens de sa survie.

C’est à ce point d’absurdité qu’on peut parler de libéralisme rock n’ roll, celui des djeunz à la noix, de James Dean et de Jerry Lee Lewis, celui qui consiste à dire : « je fais ce qui m’arrange et je vous emmerde » et qui une fois appliqué par les hautes sphères de la politique et de la finance donne les plus exécrables résultats pour les gens qui ont quitté l’adolescence : misère sociale, agressivité, délinquance, prolifération des mafias, prostitution, bestialité et grognements en tout genre.

Pour éviter ces tragiques conséquences, l’option numéro 2 semble constituer le juste milieu idéal. Puisque la définition n°1 demande un degré de civilisation trop élevé pour une réalisation quotidienne pacifique, nous adoptons la seconde, enfin pour l’instant, parce que les 8% de chômeurs coûtent très cher à la collectivité, c’est-à-dire aux gérants du système économique. On instaure un filet de sécurité type RMI ou allocations sociales pour assurer la survie de ces 8%. Si j’étais un chômeur conscient d’être utilisé à des fins de régulation économique, je réclamerais un salaire plus grand pour le service que je rends aux puissants. Mais j’entends déjà qu’ils ne sont point mes obligés, et que je vais être forcé de prendre un emploi de gigolo pour assurer mes fins de mois et ne plus faire partie des 8% de tampons, qu’on vient de réduire pour l’année qui vient à 3% étant donné que le salaire de base est suffisamment modeste pour que je puisse faire concurrence à des Chinois et à des Philippins que je ne connais pas personnellement.

J’apprends donc que la responsabilité limitée implique la liberté limitée, non pour celui qui exerce cette liberté, mais pour celui qui en subit les conséquences. Bref, le responsable, c’est moi. Et j’en ai ras le bol de faire les frais de la liberté des autres. Cette option 2 se révèle bien précaire au final.

Tout ça pour dire que nous progressons inexorablement vers la réalisation du libéralisme rock n’ roll, celui qui consiste à dire « je fais ce qui m’arrange et je vous emmerde ». Je me languis de voir le vainqueur agiter son drapeau blanc face à l’insurrection des masses. J’ai déjà préparé ma baïonnette.


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14 réactions à cet article    


  • Fergus fergus 3 janvier 2009 16:15

    Bien que n’étant pas un inconditionnel du genre et de ses serviteurs, j’avoue que je suis un peu gêné de voir une fois de plus le rock ’n roll appelé en renfort pour dénoncer une dérive. Est ainsi désigné rock ’n roll tout ce qui est déjanté, dépravé, drogué, névrosé, égotique, etc.

    Un peu facile, non ? Et très largement injuste, car le
    rock ’n roll peut aussi être de la poésie et de l’humanisme. Pourquoi, dans ces conditions, parler métaphoriquement de libéralisme rock ’n roll alors qu’il conviendrait tout simplement de parler de libéralisme pourri  ?


    • Nicolas Cavaliere Nicolas Ernandez 3 janvier 2009 20:13

      Je suis moi-même très amateur de toute la musique dérivée du rock, elle peut aussi être poétique, je suis d’accord. Mais le point de départ du rock n’ roll, c’est "Graine de violence", pas "A Hard day’s night". Mon point de vue s’appuie sur le constat que le rock n’ roll étiqueté "musique de dépravés" a été civilisée par des contraintes.

      Si je dis rock n’ roll, c’est pour appuyer sur le caractère adolescent de la "démarche" que je dénonce. On est passés de rebelles qui expérimentaient avec la morale en vue de trouver une vérité, comme Arthur Rimbaud ou Groucho Marx, à des personnes qui défendent leurs valeurs avant de défendre des valeurs, peu important qu’ils soient des jeunes en construction. "Crois en tes rêves", "affirme-toi", "je ne suis que moi", ce sont d’abord des slogans rock n’ roll avant d’être des slogans libéraux. Ce type de propagande a pourri le libéralisme originel et enterré la notion de responsabilité. Plus de cinquante années de permanence de ce discours, et on voit le résultat jusque chez les gens, qui sans qu’on ait à les représenter comme des saints, sont censés donner l’exemple.

      Je considère qu’un libéral véritable, qui se pose régulièrement la question de sa responsabilité, n’est pas autre chose qu’un socialiste. Le reste n’a rien à voir avec le libéralisme, et j’aimerais bien qu’on cesse d’utiliser ce vocable pour désigner des comportements qui n’entretiennent aucun rapport avec cette honorable philosophie.

      Le problème est d’ordre moral avant d’être idéologique. Plaignons-nous de la connerie, pas du libéralisme !


    • Fergus fergus 4 janvier 2009 09:28

      Sur le plan musical, Bill Haley et le film Graine de violence ont en effet marqué les esprits, mais en faire la date de naissance officielle du rock est artificiel, tant ce genre existait déjà dans les transitions venues du rockabilly, du blues, du boogie et surtout du rhythm and blues portées par de nombreux groupes. L’appellation rock a marqué en fait la blanchisation du noir rhythm and blues. Et des groupes comme les Dominoes, les Drifters étaient déjà rock.


    • Nicolas Cavaliere Nicolas Ernandez 4 janvier 2009 11:12

      Sur le plan abstrait du strictement musical, bien sûr. Sur le plan concret de la diffusion et du marketing, c’est une autre histoire.


    • Halman Halman 3 janvier 2009 19:34

      Le Rock n roll à la Patty Smith, qui se veut poëtique et cultivé, mais qui n’est qu’un genre de plus pour tout ramener au matérialisme le plus primaire, par rejet pubertaire de tout aveuglement sans condition.


      • Halman Halman 3 janvier 2009 19:37

        Le Rock n roll à la Patty Smith, qui se veut poëtique et cultivé, mais qui n’est qu’un genre de plus pour tout ramener au matérialisme le plus primaire, par rejet pubertaire de tout, aveuglément et sans condition


        • Gustm 3 janvier 2009 19:51

          C’est vrai que le terme "rock n’roll" peut renvoyer à énormément d’idées différentes, et que ça m’attriste un peu de le voir ainsi associé à ces pratiques ("libéralisme punk" aurait peut-être été plus évocateur, même si je suis aussi féru des Bérus que du rock). Bref, je rejoins fergus, "pourri" aurait très bien fait l’affaire. Même si avoir "rock n’roll" dans le titre est plus alléchant...

          (à part ça, très intéressante réflexion autour du chômage naturel)


          • Nicolas Cavaliere Nicolas Ernandez 3 janvier 2009 20:22

            Le punk, comme le hip-hop des débuts, est un mouvement réactionnaire qui s’ignore, un cri de jeunes en détresse. Il comporte également le même aspect communautaire que le mouvement hippie, donc des règles en commun, des normes, qui fondent un groupe et régissent sa vie. Dans le rock n’ roll d’origine, comme dans le hip-hop d’aujourd’hui, je ne vois pas cet élément.


          • Gustm 3 janvier 2009 21:51

            Exact, j’avais parlé du punk pour sa réputation égoïste et j’m’en foutiste, sans penser que l’aspect "mise au ban volontaire" ne collait pas vraiment à la notion actuelle de libéralisme comme modèle social parfait...


          • Fergus fergus 4 janvier 2009 09:07

            Le "punk", c’est beaucoup moins la notion d’égoïsme que celle de "no future". Personnellement, j’aime bien la musique punk, celle des Clash ou des Ruts, mais aussi des Sex Pistols.


          • Romain Desbois 3 janvier 2009 22:38

            Bon désolé de commenter sur le fond smiley

            Je suis d’accord avec vous, nous ne sommes pas dans le libéralisme.
            Ou alors c’est le libéralisme parasite !
            En effet c’est le "on partage : moi les gains, vous les pertes".

            Les subventions à l’exportation par exemple ; non seulement elles faussent les chiffres de la balance commerciale mais en plus elles détruisent les économies locales. Les poulets congelés, envoyés par conteneurs entiers au Sénégal ou au Mali sont vendus moins chers que les poulets des élevages locaux, mettant sur la paille des milliers d’éleveurs (que l’on verra ensuite se faire refouler de France par ceux qui pensent que l’on ne peut recueillir toute la misère qu’elle crée dans le monde).

            Le libéralisme parasite , c’est le RSA qui va permettre au patron de ne pas augmenter les salaires des nouveaux embauchés puisque l’Etat s’engage à mettre le complément . Hirch idée !!!

            Tiens puisqu’on parle de Hirch. Quand il a pris la tête d’Emmaüs et commencé à appliquer des méthodes managériales libérales parasites, l’Abbé Pierre s’est désolidarisé de sa propre fondation (ça n’a pas fait grand bruit dans la landernau).

            La raison ? L’actuel commissaire eu la Hirch idée de revendre les vêtements donnés pour les pauvres (ceux qui était neufs ou quasi neufs) ; pas seulement en France mais sur les marchés africains. Vendus à vil prix, souvent de marque ; la confection locale n’a pas pu résister longtemps. Hé hop ! Emmaüs qui fabrique des pauvres, c’est pas banal ! Mais Emmaüs en France sera là pour les aider, une fois ici.

            Attention je ne dénigre pas le travail immense de tous ces bénévoles ! Mais faire le bien ne justifie pas de le faire mal. Et comme qui aime bien châtie bien.....


            • Nicolas Cavaliere Nicolas Ernandez 4 janvier 2009 11:09

              "Moi les gains, vous les pertes", ce n’est pas le libéralisme, c’est l’argent et la malice simplement. Comme l’écrivait Alain Testart, du moment où il y a transaction monétaire, celui qui a vendu son bien se retrouve avec de l’argent en trop parce qu’il a su imposer ses conditions à l’autre, lequel a consenti à lui donner une masse plus importante de son bien. C’est la base du commerce. Après, pour le commerçant, faut savoir faire de la masse d’argent qu’il a récupérée un bon usage. Dans un tel système, c’est là qu’interviennent la liberté et la responsabilité.

              Quand les bourgeois ont fondé l’Etat moderne, c’était certainement pas pour faire plaisir au Tiers Etat. Le RSA, la subvention agricole, voilà des moyens de corporations bien françaises pour garder la main-mise sur les transactions et s’assurer que la circulation de la monnaie leur profite toujours en bout de course. Même Emmaüs d’ailleurs. Le problème n’est pas que celui qui a quelque chose puisse aider celui qui n’a rien, mais de constater que c’est souvent celui qui a peu qui aide celui qui n’a rien, ce qui profite toujours à celui qui détient la majorité des biens, lequel peut continuer à s’enrichir sur le dos des deux autres trop occupés à se soutenir mutuellement.


            • Leonidas 5 janvier 2009 16:57

              Il me semble que vous n’avez pas bien assimiler la notion de taux de chomage naturel. 
              Le libéralisme classique se définit du point de vu économique par le laissez-faire. Pour un libéral donc, l’état n’a pas vocation à lutter contre le chomage (et l’inverse non plus). La notion de taux de chomage naturelle a été introduite par Friedman notamment pour démontrer la vanité des politiques Keynésiennes de lutte contre le chomage qui n’engendraient en fait à long terme que de l’inflation.

              Et s’il vous plait, cessez d’appeler "libéralisme" ce qui n’est pas du libéralisme.


              • Nicolas Cavaliere Nicolas Ernandez 6 janvier 2009 15:24

                Du point de vue économique, la tradition parle de laissez-faire, c’est vrai. Du point de vue politique, on engage la notion de responsabilité. C’est assez schizophrène, mais surtout absurde. La libre circulation des marchandises est un concept invalide, pour la raison évidente que les marchandises ne se meuvent pas d’elles-mêmes. Les marchandises ne sont que des objets entre les mains des hommes, je considère donc que la liberté est une notion qui ne les concerne pas. Un homme libre et responsable a des droits et des devoirs, pas une marchandise, et je ne vois pas comment on peut parler de libéralisme économique. Une marchandise n’a ni liberté ni responsabilité. Quand les marchandises parleront, je changerai peut-être d’avis.

                Vous lisez mal quand vous sous-entendez que je pense que l’Etat, en tant qu’institution économique auto-décrétée, devrait réguler le chômage. Keynes ne m’intéresse pas dans cette histoire, d’autant que je ne crois pas à une quelconque représentativité du Parlement qui rendrait légitime des pratiques globales telles que la relance permanente ou le libre-échange total. C’est en tant que pourvoyeur de lois, écrites selon les principes d’une Constitution politique, que l’Etat, entendu comme somme des diverses collectivités locales et assemblées de citoyens, est censé jouer un rôle. Or notre Constitution garantit que l’exercice de la liberté d’un homme ne saurait nuire à celle d’un autre. Je considère simplement qu’une personne libre qui prend le droit de priver une autre personne, libre elle aussi, des moyens de sa subsistance alors qu’elle les lui fournissait jusque-là, sans en avoir été privée elle-même, manque à sa responsabilité et ne correspond plus à l’idéal de liberté tel que défendue dans la Constitution. D’une certaine façon très perverse, l’esclavage est plus moral que le salariat, puisque lorsque l’esclave-marchandise est échangé contre un autre bien, l’esclave-homme lui est assuré de pouvoir assurer ses besoins vitaux (manger, dormir à l’abri). Ce qui a été gagné en 1789 n’est pas la liberté, juste l’assurance de l’intégrité physique de la personne qui obéit dans ses relations avec la personne qui la commande, intégrité qu’on a préféré ensuite menacer en laissant pourrir les conditions de travail et les machines, bref en mettant un intermédiaire entre le commandant et le subalterne, mais c’est une autre histoire.

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