Le mental, la clé de la croissance ?
Au moment où la croissance est atone, le moral des Français en berne, la France en proie au doute sur son avenir économique, je vous recommande la lecture de cet ouvrage passionnant : « Du miracle économique » par Alain Peyrefitte. Il décrit les conditions initiales du développement des pays dits développés (des Pays-Bas, des Etats-Unis et du Japon) en les replaçant dans une perspective historique, celle de la première révolution industrielle. Il met l’accent sur un facteur manifestement négligé ou volontairement ignoré car politiquement incorrect pour expliquer leur réussite : le mental !
Avant tout Alain Peyrefitte rappelle une évidence oubliée de tous : "le non-développement est le sort commun des hommes depuis leur apparition sur la terre, voici quatre millions d’années". D’où cette question : "Pourquoi la quasi-totalité de l’histoire humaine a été marquée par le non-développement ?" Et ce postulat : "Ce n’est pas le non-développement qui est un scandale, c’est le développement qui est un miracle."
Une piqûre de rappel indispensable en ces temps où la France vit encore à l’heure du mythe de la croissance éternelle et de la prospérité perpétuelle. Or c’est un mirage. Faut-il rappeler que l’impermanence règne en tout et s’applique à toute chose sur terre ? L’économie n’échappe pas à cette loi implacable. Ce n’est pas parce que nous avons été riches une fois que nous le serons ad vitam eternam. Les Trente Glorieuses ont été une exception et non la règle. Contrairement à ce que l’on croit ou ce qu’on veut nous faire croire !
Au moment où nos responsables politiques cherchent des solutions, parfois "miracles" ou prêtes à l’emploi de l’étranger, Alain Peyrefitte écrit : "pas plus qu’on ne change une société par décret, on ne fait ’décoller’ une économie en lui imposant un modèle plaqué de l’extérieur". Bref, le clonage en la matière, mieux vaut oublier ! C’est loin d’être la panacée.
Les théories, généralement, expliquent les raisons ou les conditions de la croissance ou du développement par plusieurs facteurs, que ce soit en termes d’investissements financiers, de crédits, de main-d’œuvre, de volontarisme d’Etat, ou de parti, d’infrastructures. Mais toutes font l’impasse sur un facteur pourtant capital et, qui a joué, au regard de l’histoire des sociétés, un rôle majeur : le mental !
Ainsi, tout au long de cet ouvrage Alain Peyrefitte s’applique à démontrer l’importance de l’éthos dans le développement des principaux pays occidentaux développés que ce soit les Pays-Bas, l’Angleterre, les Etats-Unis et le Japon.
Une approche jugée généralement politiquement incorrecte. A tort. Car à la lumière des faits et replacée dans une perspective historique, cette approche met en évidence et de façon indiscutable ce facteur moral comme élément-clé dans la réussite ou non du développement des pays et de leur modernisation socio-économique.
Ce que Alain Peyrefitte appelle l’éthos de confiance compétitive. Cette disposition au changement, à l’innovation par rapport à une situation donnée, figée, au monopole, au régime corporatif, aux règlements, à l’encadrement de l’économie par le politique.
Selon l’auteur, "la source d’énergie principale" du miracle hollandais lors de la première révolution industrielle "est l’homme". Avant de poursuivre : "le miracle hollandais donne ainsi tout son sens au mot d’industrie : industrie industrielle, certes, c’est-à-dire activité manufacturière, mais surtout industrie industrieuse, inventivité, ingéniosité et énergie créatrice".
A cette époque, déjà, la Hollande assure son dynamisme commercial en se posant cette question toujours d’une brûlante actualité, en particulier en France : "Comment faire en sorte que l’Etat s’intéresse à l’économie, non pour la mettre à son service, mais pour se mettre au service d’elle ?"
Entre le retard de l’Espagne et les progrès de la Hollande à la même époque, Alain Peyrefitte y voit "une divergence mentale : volontarisme contre fatalisme, innovation contre archaïsme, liberté individuelle contre hiérarchie autoritaire, profit contre refus de déroger".
Pour l’Angleterre, Alain Peyrefitte parle de "religion de la confiance", et écrit : "la confiance dans le self-government n’est pas une vue de l’esprit ; c’est la pratique courante : on laisse carte blanche au responsable qui est sur place. Nous sommes aux antipodes du colbertisme colonial".
Au niveau social, autre élément porteur : "Si les Anglais se réunissent dans les clubs, c’est pour la communication et la compétition, tout le contraire de nos corporations, faites pour protéger, pour clôturer et pour contraindre."
Puis au sujet de la compétition, si rude à l’heure actuelle entre entreprises mais aussi entre nations, il précise toujours au sujet de l’Angleterre : "L’émulation et la compétition sont parfaitement et consciemment intégrées au processus créateur du développement."
Sans surprise, pour les Etats-Unis, "la compétition et l’innovation vont de pair". Comme il l’écrit justement les Etats-Unis sont à la fois l’invention d’un pays mais aussi le pays de l’invention par excellence. Les Etats-Unis font de l’innovation la pierre angulaire de leur développement et de leur mode de production. Au-delà de la valeur d’usage et/ou marchande d’un bien, ils intègrent la valeur ajoutée dès leur début ! Une inventivité dont ses traits principaux ont pour noms "élasticité, mobilité, opportunité, flexibilité".
A propos du Japon, je vous invite à découvrir les raisons de son succès.
Bien sûr ce livre est consacré à une époque bien particulière et définie de notre histoire économique. Toutefois une époque pertinente car elle présente de nombreuses similitudes avec la nôtre : nouvelle révolution industrielle, rythme effréné de l’innovation, concurrence acharnée entre les nations, montée en puissance d’entreprises puissantes en position de quasi-monopole, modification de l’ordre social...
Pour conclure : face à son non-développement ou son incapacité à suivre le rythme, Alain Peyrefitte rappelle qu’un pays a le choix entre deux options : soit il surmonte son ressentiment à l’égard des nouvelles puissances et il s’acclimate, gage de sa réussite et de sa pérennité, soit il s’enfonce dans son ressentiment et dans ce cas il signe fatalement à brève ou longue échéance sa perte.
Le mot de la fin : "L’invention, l’ingéniosité, l’initiative humaine, cela ne se commande pas. La réponse est dans le mental : faire face à la situation, refuser le fatalisme."
Selon vous, la France a-t-elle le mental d’un vainqueur ?
P.S : Du miracle économique, Alain Peyrefitte, Editions Odile Jacob. Ce livre reprend les notes d’après lesquelles, en 1994, Alain Peyrefitte est intervenu au Collège de France sur les leçons d’éthologie comparée du développement.
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