Le merdier afghan
C’est impossible à gérer : en l’état actuel des lieux, l’Afghanistan est un merdier sans nom, veuillez pardonner ma trivialité. Mais avec ce qu’on vient d’apprendre ce jour, franchement, je ne vois pas d’autre terme me venir à l’esprit. Ce n’est déjà plus un nouveau Viet-Nam, c’est bien pire encore ! En cause, toujours, des actions délibérées qui provoquent davantage de dégâts dans les esprits que le nombre (important) de victimes civiles qu’elles provoquent. Ces Guernica par semaine dont on vous a parlé, ces bombardements à l’aveuglette qui ne veulent pas cesser, à croire qu’on en est au stade de se débarrasser de stocks et non de mener des actions militaires véritables. Mais il n’y a pas que cela au menu du jour : il y a la corruption d’un pouvoir, qui prend des dimensions ahurissantes avec ce que je vais vous révéler. Hamid Karzaï n’est certainement pas l’homme qu’il faut à ce pays pour se reprendre, et il serait temps que les américains se décident à mener contre lui une action juridique visant à lui faire quitter le pouvoir. Avec ce que je vais vous dire aujourd’hui, ils en ont peut-être l’occasion rêvée. Karzai, avec son frère dealer était déjà allé bien loin, il vient de franchir cette fois la frontière de l’innommable. Chez lui, même le mot corrompu ne signifie plus rien. Karzaï a depuis longtemps dépassé le stade.

Automatiquement, les villageois (près de 500 selon des locaux !) accourent pour récupérer l’essence qui s’échappe encore du second camion. Une centaine de villageois au moins en tout cas, dont, évidemment des enfants, venus à la curée pour un bien rarissime en Afghanistan. Tous munis de ce qu’ils ont pu trouver pour récupérer la moindre goutte d’essence. Et soudain, deuxième passage de l’avion… et deuxième bombardement. La fête à l’essence tombée du ciel transformée en horreur et en cauchemar : la citerne explose et embrase tout le secteur sur un rayon d’une bonne centaine de mètres. Sur les premières annonces de la bourde, on annonce une dizaine de morts déjà. Deux heures après, on en est à une centaine, tous des civils, ou presque, affreusement brûlés, les Talibans ayant fui dès le premier survol, sauf un des responsables du secteur, "Abudur Rahman, et quatre autres Tchétchènes", affirme l’OTAN. Un massacre, le énième massacre délibéré. Evidemment, pour l’Otan, en première "explication", le camion n’a pas explosé en raison d’une bombe qui l’aurait atteint mais a été l"objet d’un tir de roquette RPG. Information impossible à vérifier, bien entendu.
Selon les premiers témoignages recueillis par l’AFP, on avait bien sur place des villageois, venus en masse se servir en essence : "Les villageois se sont rués avec tous les bidons et bouteilles qu’ils pouvaient emporter », a raconté Mohammad Daud, 32 ans, à l’AFP. Il y avait 10 à 15 talibans sur la citerne et plus de 200 personnes autour quand, à 1 h 50 du matin, les avions de l’OTAN ont bombardé leur cible". "Tous ceux qui se trouvaient là sont morts, ajoute Mohammad Daud. Aucun corps n’était en un seul morceau. Les gens les plus éloignés du camion ont été grièvement brûlés." L’AFP a vu huit corps calcinés à l’hôpital de Kunduz. Evidemment, démenti des forces de l’Otan juste après, via le chef de la police locale (entraînée par l’Otan, rappelons-le) : "le raid aérien mené vendredi par l’OTAN dans la province afghane de Kunduz a tué 54 personnes, a déclaré dimanche le gouverneur de la province. Parmi elles figuraient six civils, dont un enfant. Parmi les morts, "48 hommes étaient armés, tandis que les autres sont des civils", selon la même source". Or les cérémonies funéraires qui ont suivi ce sont tenues dans 12 villages avoisinants. Douze villages pour 56 morts ? Une photo particulière révélait l’impact et le cratère circulaire laissé par la bombe, visiblement guidée donc... puisque tombée en pleine nuit. En réalité, ce n’est pas la première fois que l’Otan ou l’armée américaine agissent de la sorte. Et pas la première fois non plus qu’on s’en prend à un camion d’essence. Ici, c’est un hélicoptère Apache muni de Hellfires comme en dispose le Predator. Et pas la première fois non plus que l’on bombarde en pleine nuit, en prenant donc le risque de ne pas distinguer un civil d’un taliban.
Dès l’annonce de la bavure, l’Otan va mettre en marche ses services de désinformation pour contrecarrer l’effet désastreux de l’annonce du bombardement de Kunduz. En un premier temps, en annonçant que le camion aurait été atteint par une roquette RPG et non par une bombe. La photo du cratère dément le lendemain l’hypothèse. En un second temps, en faisant ostensiblement poser les militaires aux côtés des victimes, notamment un enfant, ce qu’on peut considérer comme une grave erreur de communication : s’il n’y avait que des talibans, on ne voit pas ce que vient faire l’enfant blessé sur la photo. Cette photo, en deux jours, devient la seule référence à Kunduz ou presque. Elle est celle d’un blessé "présentable". Les visages ou les corps brûlés ne sont pas montrés. C’est le principe depuis toujours, Robert Gates pestant la semaine dernière encore car un photographe embarqué avait eu le malheur de fixer sur la pellicule les derniers instants d’un jeune soldat américain. C’est le principe de la guerre propre. Certaines photos sont mises à l’écart ou sont reléguées au second plan, notamment celle d’une immense fosse commune creusée à la hâte, fournie un temps par l’agence Reuters. Une fosse de taille respectable, contenant les restes des corps même pas conduits à la morgue, car tous méconnaissables : "Il est très difficile de récupérer des cadavres ou des restes après l’explosion parce que l’essence que les gens tentaient de se procurer est hautement inflammable", affirme le responsable de l’hôpital de Kunduz.
En dernier lieu, enfin, en faisant adroitement parler le représentant de la police locale, entraînée par l’Otan, pour lui faire infirmer le nombre de morts et surtout celui d’enfants. C’est ce qu’il fait le dimanche 6 septembre. Bref, la propagande de l’Otan et l’embargo habituel sur les images de l’horreur se met en marche. McCrystal, le général en chef des troupes de l’Alliance venu sur place, affirme dès samedi qu’il sera difficile de cacher la réalité des faits : "Je prends très au sérieux la possibilité que des Afghans innocents aient été tués ou blessés", pour se prémunir de tout débat ultérieur où on pourrait l’avoir accusé de ne pas reconnaître les victimes civiles. Dans toute l’histoire, on a déjà effacé le fait fondamental : c’était bien un bombardement de nuit. Ce qui augmentait les chances de fabriquer une bavure, car à proximité immédiate d’un village. Or, ce genre de dégâts "collatéral" a déjà eu lieu, et à plusieurs reprises dans la région. Finalement, pressé de toutes parts de révéler la vérité, l’Otan reconnaît dimanche soir 6 septembre... 125 morts. La taille de la fosse commune, qui nous avait semblé si imposante, l’annonçait déjà : les 56 décès annoncés précédemment pour minimiser le massacre étaient bien...une tentative de masquer l’ampleur des dégâts ! Le soir même, le Washington Post révèle que le tir provenait "d’une information en provenance d’un seul informateur", ce qui est en contradiction avec les ordres de l’Otan sur l’engagement des troupes ou des avions dans le conflit. Le Washington Post évoque aussi clairement l’idée comme quoi on a bien tenté de détourner l’attention des journalistes qui voulaient se rendre sur les lieux, au prétexte que la population locale était "en colère". Selon le Post toujours, le général allemand Georg Klein aurait eu connaissance de l’image donnée par la nacelle Lantirn du F-15E avant de donner l’ordre de bombarder : or, autour du camion, il y avait alors "plus de 100 personnes". Les accusations du Washington Post, le dimanche soir, sont gravissimes et mettent en cause et le commandant de la Bundeswehr et la tentative après de masquer les faits.
En 2002, mais on l’ appris que bien plus tard, à Mazar-el-Sharif, c’était encore un autre massacre, raconté par le témoignage d’un journaliste irlandais, Jamie Doran. Selon lui, sur les 8000 prisonniers faits après la chute de... Kunduz (curieux télescopage d’actualité) par les troupes de Rachid Dostum, il en manquerait ... 5000. Transportés en containers entre la forteresse de Qala-I-Zeini et la prison Sherberghan beaucoup seraient morts, par étouffement, par déshydratation ou par les tirs sur les containers de l’Alliance du Nord, alliée des américains rappelons-le. Selon Doran, un charnier existerait à Dasht-I-Leili. Selon des membres d’une organisation non gouvernementale, trois containers au moins auraient été enfouis au bulldozer à Dasht-I-Leili. Selon Doran, 200 à 300 prisonniers étaient entassés par container. Quinze corps seulement avaient été retrouvés, tous morts de suffocation. D’autres encore seraient enfouis dans la région de Kunduz, aujourd’hui touchée par le massacre aérien. Toujours selon Doran, plus de quarante soldats US avaient été témoins de l’ouverture des containers et du nombre de morts dedans. Ceux qui arrivèrent vivants à Sherberghan durent subir des tortures, dont certaines à l’acide, parait-il. Evidemment, depuis 2002, tout a déjà été oublié. Le 13 juillet 2009, pourtant, un article courageux du New-York-Times rappelait le devoir de mémoire de ce massacre ignoré.
Le 22 aout 2008, un autre massacre avait eu lieu à Azizabad, près de la frontière iranienne, dans le district de Shindan ou l’armée possède une base. Le lendemain, l’armée américaine avait alors parlé "d’opération réussie". Un "key taliban leader" avait été tué lors des opération : un franc succès. On n’en n’aura pas le nom, hélas. L’opération avait été l’œuvre des forces spéciales US, sous le vocable ordinaire de "Operation Enduring Freedom", à savoir les opérations en Afghanistan. On avait en fait relevé le lendemain sur place 90 morts, tous civils, dont 60 enfants.
Que s’était-il passé ce soir là ? Nul ne l’a su le jour même. Une frappe aérienne d’une sauvagerie monumentale, bien entendu, mais qui n’avait pas pour autant fait bondir la communauté internationale : faute d’images à montrer, tout simplement. Le responsable local de l’ONU, le norvégien Kai Eide s’était pourtant officiellement ému et inquiété… sans que le monde ne bouge pour autant et demande l’arrêt de ces frappes inutiles et dévastatrices.Un site avait répertorié la liste la plus exacte possible des victimes : il y en avait entre 76 et 91, de civils tués (61 enfants, 15 femmes, 15 hommes). Le plus jeune des enfants, Shafi Abdul Hakeem, avait... 4 mois à peine.
Le village n’avait en fait pas été bombardé, mais avait été passé au Hellfire, les missiles destructeurs des hélicoptères Apache et au C-130 Spectre, muni à bord d’un canon de 105 … un engin dévastateur comme il peut en exister dans l’arsenal américain. L’opération s’était faite de nuit, les pilotes d’Apache et ceux du Spectre muni de leurs jumelles infra-rouges. De nuit, sans réellement voir l’ennemi, et sans avoir la possibilité d’avoir quelque remords. Le nom du fameux "key taliban leader" mort soi-disant ce soir là n’avait jamais été révélé. Mais il fallait bien trouver une justification à cette boucherie sans objectif militaire véritable. L’avion et les hélicos avaient tiré dans le tas, à l’aveugle, visiblement aiguillés par une dénonciation indiquant la présence d’un leader taliban dans le village.
Le lendemain, le premier à se récriminer s’appelle… Hamid Karzaï. En personne. Le président Afghan, dépêché sur place, prend fait et cause pour les survivants du village et se perd en admonestations contre les militaires irresponsables ayant perpétré "ce crime horrible, tragique et irresponsable." C’est l’un des premiers grands clash entre le pouvoir choisi par W. Bush et l’administration américaine. Karzaï relève alors que les nombreuses frappes aériennes ayant tué des civils fabriquent un ressentiment croissant dans la population. En Irak, on avait déjà noté le même phénomène, évoqué chez Agoravox ici-même dès février 2008. Quarante-cinq tonnes de bombes étaient alors déversées par semaine sur le territoire, talibans ou pas en dessous. Des opérations "Linebacker bis" hebdomadaires. En cause, déjà, le plus souvent, je citais alors la "Combined Joint Special Operations Task Force"… les forces spéciales, cette fois encore. Celles qui se permettent tout, en quelque sorte. Karzaï avait donc soulevé un lièvre connu : les bombardements au jugé fabriquaient de nouveaux terroristes plus qu’ils ne rassuraient la population locale, littéralement martyrisée. En février 2009, un jugement de la justice afghane condamnait à mort un dénommé Mohammad Nader, pour avoir fourni "de fausses informations sur le villagge Azizabad". Histoire de se trouver un responsable autre que les militaires US, sans doute. Une enquête avait été ordonnée paraît-il du côté américain. Nul n’en a vu la couleur depuis.
Karzaï, qui sentait déjà le vent tourner à l’approche des élections, avait besoin du support de sa population et de ses chefs locaux pour se faire réélire. Etait-il donc sincère ? On peut en douter. Surtout avec ce qu’on vient juste d’apprendre à son égard.
Cela commence cette fois par une journaliste radio américaine, qui n’a pas froid aux yeux et à couvert tous les grands derniers événements américains, chez CBS ou CNN pour lequel elle travaillait avant (elle a même travaillé à Moscou dans les années 90 !). Cami McCormick, la quarantaine, une fort belle femme venue raconter au micro de CBS les horreurs journalières de la guerre en afghanistan. Une "embedded", suivant les soldats US dans leurs Humvees. Un de ces derniers reportages parlait des dégâts des "roadsides bombs", ou IEDs, ces obus ou ces mines télécommandées qui explosent sous les véhicules et tuent un nombre de plus en plus croissant de soldats. Manque de chance pour elle, elle est tombée sur l’une d’entre elles le 28 août dernier et a été grièvement blessée. Or, il vient de lui arriver une autre aventure, sur son lit d’hôpital allemand (elle a été transférée depuis au Landstuhl Regional Medical Center). Elle vient en effet d’y apprendre une autre horreur. Elle venait juste de couvrir les préparatifs de l’élection présidentielle, où Karzaï caracolait en tête, quand elle a été touchée par cette infernale IED.
Juste après l’attentat à la roadside bomb contre son véhicule, l’armée américaine avait raflé trois terroristes supposés et les avait emmenés sur la base de Bagram pour y être interrogés. Les trois hommes étaient les bons : chez l’un d’entre eux, on avait retrouvé des bombes en cours de fabrication, et sur les restes de l’explosion… des empreintes qui correspondaient point par point aux siennes. Aucun doute possible, donc, sur la participation du suspect. Mais ce n’est pas ça qui a le plus intrigué les militaires. Le lendemain même où les trois suspects avaient été arrêtés, un haut fonctionnaire de l’administration de Karzaï avait fait des démarches pressantes auprès des militaires américains pour qu’ils soient relâchés, car selon lui, ils ne pouvaient être des terroristes. Son insistance avait fini par intriguer les militaires. Qui avaient alors cherché à comprendre pourquoi, alors qu’eux détenaient les preuves indubitables de leur participation. Une autre preuve d’un tout autre genre les attendait dans l’un des téléphones d’un des suspects : il portait le numéro d’un bureau du ministère de la défense à Kaboul. Le gouvernement d’Hamid Karzaï, en contact direct avec le terroriste.
Alors, il peut bien prendre la pose à nouveau, Hamid Karzaï, et clamer qu’il défend son peuple. Il parle dans le vide, dans ce merdier qu’est devenu l’Afghanistan. Avec son aide, bien entendu.
Documents joints à cet article













239 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON