Le monde est fou
Cette guerre caucasienne qui semble marquer le pas, si la paix est véritablement en route, devrait nous faire réfléchir tant sur les événements de ce monde qui est complètement fou que sur notre aptitude à l’appréhender en toute tentative d’impartialité. Et cela est malheureusement parfaitement impossible.

Un accord de cessez-le-feu en six points préparé par Medvedev en présence de Nicolas Sarkozy hier après-midi a été accepté ensuite par Saakachvili, mais avec le retrait du texte des termes "statut futur de l’Ossétie". La réalité est qu’à ce jour aucun accord n’est signé, que les ministres des Affaires étrangères des pays de la communauté européenne doivent se réunir aujourd’hui pour apporter son garant, qu’une résolution doit être, mais ne l’est pas encore, votée à l’ONU, que la Géorgie quitte la CEI et veut toujours rejoindre toujours l’Otan et enfin étaient présents hier soir à Tlibissi devant plus de cent mille manifestants fervents les présidents de l’Ukraine, de la Pologne et des pays baltes pour soutenir le président géorgien. La réalité de cet accord est aussi que le terme d’intégrité du territoire géorgien n’est pas écrit. La réalité de cet accord est que les troupes russes vont se retirer vers leurs positions antérieures, ce qui dans le flou de ces termes, peut laisser supposer que les troupes d’attaques russes - ce que du reste a déclaré Medvedev lors de son discours violent contre la Géorgie disant que ce pays était assoiffé de sang et que seule la chirurgie pouvait arrêter cette maladie - viendraient renforcer les troupes de maintien de la paix, elles aussi russes. En clair c’est une annexion militaire si elle n’est pas politique.
Là où je voudrais en venir c’est à deux réflexions dont l’une découle de la première. La première concerne cette folie qui se passe en Géorgie. Si l’on veut essayer d’être impartial, il faut évidemment ne pas être de parti pris dès le départ, regarder les faits connus, sans pour autant savoir s’ils sont vrais. Un des éléments primordiaux de toute réflexion est la chronologie. Mais cela est fort insuffisant. Par exemple, qui est responsable de cette guerre ? La Géorgie qui a envoyé ses troupes en Ossétie ? Peut-on faire commencer les hostilités par cette agression ? Ou alors peut-on se dire que cette agression n’est que la réponse à des attaques mineures, sourdes et répétées antérieures ? Peut-on dire que c’est parce que l’Ossétie au dernier moment a refusé les accords proposés d’autonomie par la Géorgie ? Mais doit-on s’arrêter à cela et doit-on remonter plus loin ? Par exemple à l’origine de la création de l’Ossétie, et même de la Géorgie ? Mais doit-on tenir compte qu’une partie des Ossètes sont ceux qui ont fui le régime stalinien ? Et de tout cela qui peut dire qui a raison et qui a tort ? Il y en a qui ont des réponses toutes trouvées : c’est la faute des Etats-Unis leur expansionnisme capitaliste est responsable de la folie de Saakachvili. Pour les autres, la Russie est impérialiste, elle a mal digéré la perte de son empire et trouve là le prétexte de reprendre la main. Pour d’autres, l’intérêt n’est que purement économique : le gaz et le pétrole de la mer Caspienne.
Ensuite, il y a ce règlement provisoire de paix. Alors que les faits et l’observation démontrent que l’Europe est fortement divisée, on se trouve pris au piège de ne pas pouvoir avoir une opinion divergente de félicitations à Nicolas Sarkozy car il est là et que la paix est essentielle. Toute critique reviendrait, dans l’ambiance actuelle, à de la plus pire mauvaise foi, du TSS indigne, de la bassesse. Vous êtes donc obligé de vous taire ou de vous faire insulter et mépriser si vous avez un discours légèrement différent, et que les faits et la chronologie vous donnent raison, cela ne fait rien vous serez de toute façon un horrible personnage. On a vu ce réflexe pour les soignantes bulgares. On vous montrera du doigt, celui qui n’est jamais content, celui qui cherche la petite bête, celui qui est aveuglé par sa haine, et autres douceurs. Eh bien, je serai celui-là. Quitte à en subir les foudres. Je vais énoncer ici un certain nombre de faits incontestables :
- Nicolas Sarkozy, bien que présent avec Poutine à Pékin, n’est intervenu que le dimanche soir, alors que les combats ont commencé dans la nuit de mercredi à jeudi et que, j’espère, les services de renseignements français avaient dû le tenir informé ;
- Bush est intervenu auprès de Poutine à Pékin le vendredi et aussi auprès de Medvedev ;
- la Pologne est intervenue le samedi, l’Allemagne a réuni à Tbilissi les protagonistes le dimanche soir ;
- tous les pays européens, l’Otan, les Etats-Unis avaient demandé un cessez-le-feu dès le vendredi ;
- lundi soir, Saakachvili avait fait une proposition de cessation de la guerre ;
- mardi matin (mardi matin avant la venue de Sarkozy), Medvedev avait annoncé l’arrêt des combats ;
- l’accord de paix n’est pas signé, les Russes sont donnés gagnants par l’ensemble des observateurs, et il y a une annexion militaire de l’Ossétie et de l’Abkhazie ;
- Nicolas Sarkozy a été non un négociateur, mais un messager entre les deux présidents russes et géorgien. Et à son habitude il s’est présenté, de façon usurpée, comme président de l’Europe. Mais il y a une phrase qui est lourde de conséquences : il a reconnu le droit aux Russes de se préoccuper des peuples russophones, non pas les Russes, les russophones. C’est ouvrir une boîte de Pandore. Et cela c’est une bourde extraordinaire. A vouloir toujours flatter le plus fort, c’est donner l’autorisation ultérieure de recommencer ailleurs.
Pour terminer, je vais développer cette notion d’impartialité, plutôt de partialité. J’ai lu avec attention les commentaires des différents articles sur ce sujet. J’avoue que j’ai été assez effaré de certains. La guerre finalement, avec ses morts, ses destructions et ses souffrances, ne devenait plus que le support à des beaux discours de stratèges internationaux, de donneurs de leçon, dont je ne m’exclue pas, ce qui me fait réfléchir pour le long terme, et a permis de déverser toute autre chose que le principal qui est la désolation et la folie de ces chefs d’Etats pour qui la vie humaine ne compte pas plus qu’un war game sur une console Nintendo. Ce fut des réflexions hallucinantes où certains trouvaient cette guerre finalement bien car cela remettait en place les Etats-Unis et leur puissance. Que cela reflétait enfin un monde multipolaire. Alors qu’un bon nombre d’intervenants ont un niveau culturel et intellectuel assez élevé, on se rend compte que, dès qu’il s’agit de politique ou de religion, l’aveuglement devient infini. Pour les uns, Israël et/ou les Etats-Unis c’est le mal absolu. Ils sont partout, ils voient tout, ils détruisent tout, ils sont responsables de tout, de cette guerre-ci, des désordres mondiaux. Pour les autres, les Russes ne sont que les dignes descendants d’Ivan le redoutable. Et tout cela fait dire des absurdités inimaginables que la constatation des faits pourtant devrait contredire. Ainsi, pour certains, les Russes ne sont-il plus communistes, sont une grande démocratie. Oublié Touslan, oublié le théâtre de Moscou, oubliée la Tchétchénie, oubliés les assassinats d’opposants russes en Angleterre et de journalistes sur leurs terres, oublié l’embastillement des opposants, oubliés les mafias gouvernementales et la mainmise du clan des dirigeants sur l’économie du pays, oublié Kasparov en prison, oubliées les élections truquées, oubliées les menaces à l’Ukraine, oublié que Poutine est un ancien du KGB et qu’il a des litres et des litres de sang sur les mains, oublié Poutine qui laisse crever des sous-mariniers parce qu’il ne veut pas l’aide de l’Occident. Il suffit donc que Poutine se dresse contre les Etats-Unis pour qu’il devienne blanc comme neige et sa nation un modèle de démocratie. Tout ceci est complètement hallucinant. Pour ceux-ci, les Américains non seulement sont responsables de tout, mais cela leur permet par contrecoup d’accepter les pires atrocités, les pires totalitarismes des autres pays parce qu’ils sont leurs ennemis. Hugo Chavez corrompu, fou à lier, mégalomane, devient une icône car il vomit les Américains.
Prenons un autre exemple : les pays Baltes prennent position pour la Géorgie. Deux voies s’ouvrent à nous : 1- ils le font car ils savent ce qu’est le régime de Moscou, ils en ont subi les avanies et parlent en connaissance de cause ; 2- ils sont manipulés par les Etats-Unis, la réponse fourre-tout des anti-américains maniaques. Plus cela va, plus je me rends compte que le monde est complexe, et que bien malin est celui qui sait d’où viennent les torts, je parle de tous les torts. Il y a des dominantes, les flux financiers non maîtrisés, l’appât du gain, les fortunes indécentes ont un impact moral dévastateur et un impact terrible sur la vie des plus pauvres. Les Etats-Unis avec leur modèle qui ne référence la réussite qu’à l’argent est un poison pour toute civilisation, mais la volonté de pouvoir des dirigeants religieux, des communistes est le poison de l’asservissement et de la dictature, les uns par la mise de Dieu comme régulateur, les autres par l’imposition d’une idéologie qui dénie à l’homme son libre-arbitre pour le remplacer par la toute-puissance de la société. C’est ainsi que l’aveuglement d’une position unique empêche de critiquer ce qui va mal ou très mal chez les ennemis de ceux que l’on combat. On perd tout libre arbitre, toute impartialité, on devient des machines stupides qui réagissent à la Pavlov. On ne cherche que des slogans, des arguments à charge. Et finalement on se met dans le même sac que ceux que l’on condamne. Le meurtre ici créera dix mille fois plus d’indignations que l’assassinat de mille personnes ailleurs. La Chine pourrait empêcher les massacres au Darfour et en Birmanie. Elle ne fait rien. Ils sont des centaines de milliers à en mourir et plus encore à être déplacés, mais cela est moins important que mille Palestiniens. Les morts n’ont pas le même prix selon le regard qu’on lui porte. Qu’est-ce qu’un Noir du Darfour ? De la poussière. Un Palestinien ? Un martyr. Et si la mort d’un innocent ici est terrible, la mort de mille innocents là est mille fois plus terrible et je suis contre cette stupide théorie que la vie n’a pas de prix et que la comparaison en nombre n’a pas de sens. Certes la vie d’une personne n’a pas de prix, mais la vie de deux hommes n’a pas deux fois de prix. C’est par définition deux malheurs à la place d’un. Et même on ira jusqu’à excuser terrorisme, ou destruction de vies innocentes pour des causes qui ne sont souvent même pas justes, car la mort d’un innocent qui se promène à la gare de Madrid ne peut être justifiée par aucune cause.
Et de tout ceci je retire que le monde est complètement fou et qu’il est temps d’y réfléchir pour ne pas être entraîné par lui vers le sectarisme, la haine sans recul, brute et dangereuse, celle qui aveugle. Avant d’essayer de changer le monde, commençons par nous, mais ne nous y arrêtons pas et engageons le combat pour tenter de le rendre moins fou, moins fou que deux leaders de deux pays ayant une frontière commune qui ont envoyé des hommes tuer et se faire tuer comme s’ils n’étaient que des soldats de plomb sur une carte d’état-major.
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