Le « point D » de la démocratie
La démocratie est le moins mauvais des systèmes de gouvernement jusqu’ici expérimentés. Cette affirmation empruntée à Churchill recèle en germe l’idée de son amélioration possible, et donc nécessaire. Existe-t-il un « point D », point optimal que la démocratie puisse espérer atteindre pour un peuple donné ?
Rappelons d’abord ce que la démocratie n’est pas.
Elle n’est pas l’équivalence de la république : de nombreuses monarchies sont démocratiques. La démocratie ne se confond donc pas avec le régime de gouvernement de l’Etat. Elle ne se réduit pas non plus au droit de vote, qui n’est qu’un moyen, et non une fin. Enfin la démocratie n’est pas l’expression souveraine de la seule majorité, puisqu’il existe des modes de scrutin qui favorisent la représentation proportionnelle des différents courants.
1 - La démocratie et le droit de vote
Un droit de vote à étendue large (suffrage universel incluant les femmes) est le préalable à une véritable démocratie. Mais il s’agit ici du droit de voter pour élire les représentants, et non du droit de voter les lois elles-mêmes. C’est toute la différence entre la démocratie et la démocratie indirecte. Quelle est la forme capable de nous rapprocher du « point D » idéal énoncé ? Des tentatives de réponses ont déjà vu le jour, par l’introduction de démocratie directe, soit au plan très local, soit dans l’entreprise (autogestion).
La démocratie directe trouve aussi en France un fondement juridique dans la constitution de 1958, avec le référendum. Mais l’usage du référendum est limité au vote d’un « projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions » (article 11 de la Constitution). On a vu, pour le traité européen, dénommé faussement constitution européenne, que les Français n’étaient pas rompus à cette forme d’expression directe de la démocratie. Habitués à déléguer le vote des lois à leurs députés et sénateurs, ils se sont trouvés désemparés devant l’enjeu qui leur était présenté subitement : voter pour un document technique de plusieurs centaines de pages. L’utilisation parcimonieuse du référendum ne serait pas une illustration de la démocratie parfaite. Aujourd’hui, plusieurs partis politiques prônent le renforcement de la démocratie directe. Ainsi, par exemple, le projet du PS prévoit le droit de pétition législative, et le droit pour les citoyens de saisir le Conseil constitutionnel.
Pour conclure provisoirement, on pourrait dire que l’approche du « point D » de la démocratie passe par un emploi équilibré des modes directs, semi-directs et indirects, une alchimie difficile à trouver pour chaque Etat, selon le niveau de maturité démocratique du peuple et ses potentialités d’évolution, et selon l’échelle territoriale (européenne, nationale, régionale, locale).
Mais l’exercice du droit de vote ne suffit pas à la réalisation d’une démocratie idéale, si la formation des citoyens est défaillante, ou encore si la conception que se font les gouvernants de la démocratie se réduit à la convocation aux urnes des citoyens -qui n’ont alors qu’un simple rôle d’électeurs- à des dates fixées par eux pour se maintenir au pouvoir. Faisons connaître au passage cette anomalie récente dans la vie démocratique du pays : par la loi du 16 décembre 2005, les élus ont prolongé leurs mandats locaux d’un an (repoussant l’échéance de 2007 à 2008) en se passant du vote des électeurs ! On voit que l’on est bien loin du « point D » espéré...
2 - La formation des citoyens
Des citoyens mal formés font une démocratie informelle.
S’il existe une grande école pour former les élites dirigeantes, il n’en existe pas pour former les citoyens à des responsabilités participatives. (Voir ma proposition de créer l’ENC, l’Ecole nationale du citoyen) Mais veut-on réellement d’une démocratie participative ? Rien n’est moins sûr.
Que vaut l’information à destination des citoyens, si ceux-ci ne sont pas suffisamment formés ?
Cette information ne dérive-t-elle pas alors vers la manipulation démagogique, populiste, médiatique ? La parade médiatico-politique semble aujourd’hui davantage vouée à la production de signes (les élus sont des marchands de signes) qu’à l’appel à la réflexion. Si l’on peut parler de réflexion, c’est uniquement par comparaison au miroir : les élus se regardent au travers des nombreux sondages d’opinions, qu’il organisent pour pérenniser leur carrière et la porter à son point culminant. Or, si l’on se souvient de l’idée émise en préambule de cet article, c’est le point culminant, ou « point D » de la démocratie, qui devrait être recherché.
Outre la formation des citoyens, tout un éventail de solutions est envisageable.
- La modernisation du droit de vote : au droit de voter pour un candidat serait ajoutée la possibilité de voter contre un autre candidat. (Pour user de son droit à voter contre, il faudrait obligatoirement avoir voté pour un candidat). Ce droit nouveau pourrait inciter des abstentionnistes à se mobiliser. D’autre part, il aurait sans doute exclu Jean-Marie Le Pen du second tour en 2002.
- L’interdiction formelle d’entrer en campagne électorale avant la date fixée dans la Constitution.
- L’expression du débat : les débats de citoyens doivent s’étendre, même si ces débats ne conduisent pas automatiquement à un vote de règles. Cela peut prendre la forme d’organisation d’états généraux sur des aspects spécifiques de la vie de la nation. Mais si l’on veut accéder à une authentique expression de la démocratie, la création d’une Chambre nationale des citoyens représentant la société civile s’impose.
- La redéfinition du concept de travail comme valeur de civilisation (non comme valeur morale) afin de développer les initiatives de démocratie participative.
- L’attribution d’une « carte de citoyenneté » aux membres de la société civile qui ont bénéficié d’une formation à l’Ecole nationale des citoyens, avec indication de mentions en fonction de leur engagement concret dans la vie démocratique (exercice d’un mandat de représentant à la chambre civile, engagement local en faveur de la formation citoyenne auprès de jeunes de banlieues, etc.)
Si le peuple français veut aujourd’hui porter son modèle démocratique à son « point D » idéal, il lui appartient de prendre en main son destin avec l’aide de ses dirigeants élus, et dans la perspective européenne.
« D » comme défi !
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