Le pourrions-nous ?

Nous avons sur ce site, beaucoup discuté de l'abstention, du boycott ou du vote aux élections européennes. Comme toujours, les avis s'affrontent, chacun sûr de sa vérité tente de convaincre l'autre, en vain. Il serait temps que chacun d'entre nous temporise, non pas ses ardeurs à la lutte, mais ses convictions ; si l'un trouve parole ou porte-parole à sa convenance, pris, il oublie que l'autre n'a ni le même âge, ni la même histoire, ni la même situation et il s'évertue à marteler son message comme pour l'imprimer de force, c'est dommage, car approfondissant le pourquoi de son adhésion à telle ou telle proposition, politique ou idéologie, il sortirait ses propres causes et aiderait les autres à faire le clair sur les leurs ; nos limites ne se repoussent que si nous le voulons bien !
À regarder les deux arguments contradictoires, je me surprends à les comprendre tous les deux mais surtout je prends conscience de ma difficulté à être du camp des abstentionnistes. Pourquoi ?
Je vote depuis 1981 ; à cette date, la gauche est passée et ce fut une fête pour tous ceux de « mon » camp, même si à l'époque, peu politisée, j'étais déjà écolo. Depuis 1981 j'ai voté, sauf à une ou deux cantonales oubliées, enfin pour lesquelles je n'ai pas eu le loisir d'honorer les horaires campagnards ! Mais, à chaque fois, je me jurais que ce serait la dernière et puis, au dernier moment, influencée par l'enthousiasme ou plus bêtement mue par une certaine volonté d'être comme tout le monde, je me laissais aller aux urnes. Sauf en 2002, me fâchant avec tous, je refusai d'aller voter Chirac ; et ce refus-là, je n'ai cessé depuis d'en être satisfaite, non pas que cela ait changé grand chose !! Je m'étais juré de ne pas voter Hollande, je n'ai pas suivi sa campagne, trop occupée par la nôtre ( FdeG) et n'ayant pu mobiliser le moindre intérêt pour les autres. Mais j'ai voté quand même puisque, la dernière semaine avant le deuxième tour, on nous dit que Sarko bondissait dans les sondages ! Par ailleurs, j'ai toujours foncièrement pensé que ma voix valait peau d'zébi et qu'au fond, cela n'avait guère d'importance que pour moi : être en accord avec moi-même.
Aux dernières européennes, j'étais très impliquée dans le tout jeune PG, et les réunions, les meetings me donnaient l'illusion de faire partie de l'Histoire. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.
Aujourd'hui, après m'être contorsionnée pour adhérer, l'âge venant, ma souplesse s'amenuise et le peu de temps qu'il me reste à vivre, je ne veux pas le passer en compromis. C'est une attitude très individuelle si bien que j'ai peu d'allant pour essayer le prosélytisme en cette matière.
Pourtant, cela fait longtemps que j'ai compris que face à un pouvoir agaceur, ravageur, violent, la seule réaction vitale efficace était le déni ; on tourne le dos, on n'écoute plus, on fait ce qu'on a à faire. Dans la vie professionnelle, peut-être beaucoup d'entre vous n'ont pas eu affaire à des petits cheffaillons que vous turlupinez et qui ne cessent de vous trouver des poux dans la tête, qui vous harcèlent, vous nuisent, toujours sans affrontement, de manière détournée ; je veux dire qu'entre adultes, le rapport de pouvoir se vit rarement au niveau des ordres, des contraintes imposées mais plus sur celui du chantage, des coups bas, des trahisons, et des.. inadvertances !! Sauf bien sûr si vous êtes à l'armée ou dans un coin de la grande distribution où les petits chefs affirment et imposent, en même temps qu'ils peuvent agir de manière détournée comme je viens de le souligner.
Quand on a compris que le chômage est une manne pour les profiteurs et qu'il est hors de question de le réduire – il est tellement utile, formidablement serviable-, quand on a compris que la dragée haute que l'on tient devant n'importe lequel des travailleurs du privé ( je reviendrai à un autre moment sur cette différence entre public/privé, entretenue sans vergogne et avec assez d'habileté pour que tous, ou presque, foncent dedans tête baissée) l'est dûment et formellement, sans états d'âme, on a compris qu'on ne vaut rien, que n'importe qui peut nous remplacer, qu'il y en a mille qui attendent à la porte, bref, on est tenu ; les pièges à loups en comparaison sont des inventions du moyen-âge . Dans toutes relations de dépendance et d'asservissement, il faut un courage énorme à l'asservi pour se libérer, et, bien entendu, inutile de brailler, de se retrouver dans les rues pour tenter de faire changer l'optique des asservisseurs !
Dans toutes les entreprises, dans tous les bureaux, on a instauré l'atomisation des travailleurs : grands secrets sur les salaires et autres primes, ce qui rend tout le monde méfiant de tout le monde, ce qui isole, ce qui tue. Dans les services publics règne une cacophonie de prétentions, d'ambitions, de mesquineries qui n'ont rien à envier, en ce qui concerne l'ambiance que cela crée, au privé.
Nous en sommes là, n'est-ce pas ? Nous en sommes à l'état d'animaux qui reniflent la pénurie, qui s'évitent ou se chassent ou qui parfois s'affrontent.
À quoi cela sert-il de se faire accroire qu'il reste des relents de civilité, sous prétexte qu'on les a connus et qu'on ne peut pas s'en passer ? À quoi cela peut-il servir de se faire croire que nous avons encore tout pouvoir citoyen, gentiment, entre gens du beau monde, poliment ou courtoisement, à voter ? Nous n'avons plus que le pouvoir de nous adapter, d'obtempérer et, pour les plus privilégiés d'entre nous, trouver encore à la maison le lieu de notre réalisation, de notre dignité et de notre reconnaissance. Ce n'est pas un hasard, la distribution des choix entre vote et abstention !! Question de caractère et de sensibilité, mais aussi de sécurité, bien plus que d'option politique.
Le constat est gravissime et j'ai beau y réfléchir depuis longtemps, avec le caractère qui est le mien, la vie qui est la mienne, bien sûr, je ne vois qu'une solution.
Je suis absolument convaincue que le vote ne sert à rien, donc l'abstention non plus ; quels que soient les résultats, le pouvoir en place trouvera le moyen de rester ; les forces qui ont porté les conditions de ce monde sont ce qu'est la force d'une foule comparée à une force individuelle. Irrationnelle , indomptable, ingérable ; nous sommes allés trop loin, trop de force d'inertie de la part d'un peuple qui a été lobotomisé, endormi si vous préférez, par les sirènes des chimères de la consommation, atomisé, dépolitisé c'est à dire rendu incapable d'actions courageuses. Il n'est qu'à voir ce qu'a été capable de faire le peuple de certains pays sud américains, comparé au peuple grec, dans des circonstances à peu près analogues. Personne ne sait où il veut aller, mais j'ai bien peur, qu'à l'instar des indignés, l'on croit possible un partage des richesses qui nous rendrait tous ou à peu près, hôtes d'une classe moyenne, parce que nous le vaudrions bien ! Or, bien entendu, le problème n'est plus là ; cette richesse aussi chimérique qu'usurpée ne reviendra pas, notre espèce est trop prolifique, notre terre trop pauvre. C'est un monde qu'il faut réinventer et, honnêtement et sans faire de prosélytisme, ici en France, je n'entends que Mélenchon pour tenter des pistes, faire des propositions ; tous les autres veulent garder leurs privilèges, présents pour les plus riches, ou passés pour les autres. Pour ma part, je me méfie des plans qu'il nous faudrait suivre, parce que je me méfie d'une vie imaginée par quelques spécimens humains ; je crois plus à l'acte initial qui induit, jour après jour, des ajustements, des choix, des pistes, je crois plus à la vigilance pour garder un cap que l'on peut appeler moral, politique ou philosophique, de manière à ne pas se laisser échouer dans des impasses. C'est cet acte initial que beaucoup n'imaginent pas ou ne veulent pas car il est la première pierre à poser après la rupture, et la rupture résonne en écho au chaos abhorré.
Je place donc cet acte initial dans ce que j'appellerais « le grand nettoyage ». Au point où nous en sommes il nous faudrait nous arrêter, redonner vie au sol, clarté à l'air, pureté à l'eau, panser, soigner, recycler nos déchets ; tout est possible déjà, faire de nos déchets plastiques du carburant et arrêter d'en reproduire, redonner au sol les déjections animales et chercher, trouver quoi faire de nos déchets atomiques ; il y en aurait pour tous les goûts, pour toutes les compétences à condition de réinventer un système d'échanges pour satisfaire nos besoins primaires, ne plus compenser nos manques et nos frustrations par des achats incoercibles,- manques et frustrations qui ne sont dus qu'aux conditions de vie que nous offre ce système-, ne plus dévaloriser ces tâches , ne plus attendre que l'autre le fasse, dans cette idée hiérarchique qu'il y a des tâches nobles et d'autres dégradantes, directement héritée de la féodalité ou des époques esclavagistes. Une belle prise de conscience et une belle remise en question sont donc indispensables pour s'attaquer à la réhabilitation de ce qui est nécessaire à notre survie ; ce n'est pas faire là œuvre de bêtise ou d'avilissement mais bien au contraire, remettre les valeurs à l'endroit. Peut-être aujourd'hui n'y a-t-il plus assez de gens qui ont connu l'immense bonheur d'un travail de groupe, même fatigant, même salissant, mais qui laissent à la fin une complétude, ce sentiment du travail bien fait, absolument nécessaire à notre dignité et, sauf à la campagne et surtout dans l'élevage où ceci est encore très vivant, cette satisfaction-là ne trouve plus guère son angle d'incidence.
Ce grand nettoyage peut commencer de multiple façons ; j'ai malheureusement l'impression que la plupart ne s'y mettraient que contraints et forcés d'obéir aux injonctions du pouvoir ; ce qui est notable dans la politique actuelle, c'est que les ordres et l'autorité ne jouent jamais en vue d'une amélioration, d'un respect de notre biotope, d'un nettoyage justement ou ne serait-ce qu'un début de prise de conscience mais bien au contraire dans la contrainte de consommer, gaspiller, polluer puisque aucune place n'est facilitée ni même laissée à ceux qui s'escriment à proposer des solutions, qui agissent en modèles ou qui pointent du doigt les dérives. Ou si elle veut le faire, cette autorité se déguise, la plupart du temps, en crédit d'impôts, en suggestions ou en expériences...
La preuve nous est donnée chaque jour que nous vivons dans un monde tellement totalitaire, tellement oppressant qu'on peut bien passer les films de Coline Serreau sur Arte, sans aucune crainte de révolution !!!
Il peut commencer aussi après un refus total de tous à rester les acteurs obligés d'une société d'injustices et d'aberrations, par une grève, comme on boude soudain, incapables de continuer son train-train parce que, un matin, nombreux se disent : c'est quoi ma vie ? C'est quoi la vie que je voudrais vivre ? Mais qu'est-ce que je fais dans mon job ? Comment en suis-je arrivé là ?
Oh, on sait bien les combines pour tenir, les histoires que l'on se raconte, les petites vengeances concoctées en secret qu'on ne réalise jamais mais qui nous donnent de l'assurance, les rêves de grandeur de richesse de gloire qui donnent parfois au ton un quelque chose de décalé. Mais on sait aussi les larmes, les maladies, les accidents, les solitudes... au bout desquelles aucun courage ne peut venir. Oui, et sachant tout cela, on sait aussi qu'une perle peut se construire sur un rien, un grain de sable, ici et là, car même tapi, même étouffé, tout au fond de chacun d'entre nous, reste le rêve de sa réalisation ; c'est vrai que cela est souvent confondu avec « vivre ses rêves », faire du cheval ou du ski nautique, enfin, vous voyez ; on se ramasse une ou deux fois et on l'oublie, son rêve ; non se réaliser, c'est se donner les moyens de se découvrir soi-même dans des circonstances inédites, oser ! Quelle est belle la nuit qui suit le premier pas ! Qu'ils sont beaux les rêves après les peurs bravées ! Et cela devient une drogue, on ne peut plus se plier à une routine où rien de se passe d'étonnant, on ne peut plus se rétrécir pour pouvoir rentrer dans les placards dits emplois qu'on nous réserve, une fois qu'on occupe toute sa place !
C'est ce moment qu'il faut préparer... les idéologues, les « penseurs », les observateurs sont nécessaires avec toutes les puces qu' ils accrochent aux oreilles de ceux qui les lisent ou les rencontrent, mais cette préparation a un autre sens : il faut savoir quand sera le bon moment, ni prématuré ni raté ! Alors, la moindre bonne femme qui vous paraissait bien soumise à son rôle, le mec qui vous semblait bien fat, le jeune qui ne faisait que des conneries, le vieux ronchon, soudain, trouveront leur place et l'on sera surpris de leur a-propos, leur sang froid, leur courage, leurs idées, leur persévérance, et les malfrats, les pauvres types qui profiteront de ce moment de désordre pour accabler les plus faibles, ne pourront pas empêcher l'histoire en marche, car ce sont jamais ces gens-là qui font l'Histoire, ni les penseurs non plus qui l'arrêtent à leur cadre rigide, mais le peuple ! De tous temps c'est le Peuple qui fait l'Histoire et il n'y a aucune raison que cela ait changé !
Je ne rêve pas ! La probabilité que ce moment arrive s'accroît, tout y concourt, mais j'ai vécu l'éclatement de la personnalité d'êtres qui paraissaient insignifiants dans leur routine. Ce n'est pas un miracle, c'est juste que nous sommes notre situation bien plus que notre essence, parce qu'il faut de l'espace à celle-ci pour se réaliser et, si on la garde confinée toujours dans un quotidien, un carcan, une certitude, elle restera ignorée et stérile. Là aussi c'est dommage.
Je n'ai jamais vu autre chose qu'un sourire quand un être dépassait ses peurs, je n'ai jamais vu autre chose qu'un soupir quand un être comprenait soudain un schéma, voyait les entrelacs qui forgent notre société ; pas une plainte, peut-être un désarroi, mais une porte qui s'ouvre sur une possible réalisation de soi. Il ne faut pas seulement savoir, mais comprendre et pouvoir mettre en perspective ; cela donne de la force et de la confiance en soi, sans elles, le peuple ne pourra rien. Tant que le peuple se vit comme un mineur face aux majeurs, il n'entreprendra rien : la préparation du moment initial passe obligatoirement par cet effort là, par cette prise de conscience là ; alors, construire un nouveau monde sera une fête, une vraie fête, vous savez...
Jusqu'ici le peuple mettait un nom sur les majeurs qui le flouaient ; aujourd'hui, nous sommes au pied du mur, plus personne à qui demander quoique ce soit, plus de têtes à couper, plus de bombes à poser, juste grandir, devenir adultes, prendre conscience de notre force et oser !!!
Un sacré boulot, surtout pour ceux qui détiennent des vérités !
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